Brève histoire de Taïwan : Des origines à 1945

 
Port de Dayuan (actuel Tainan). D’après une peinture de Johannes Vingboons (1616/1617-1670), commandée vers 1640 par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Copie réalisée par l’Ambassade japonaise à Vienne dans les années 1930, à la demande…

Port de Dayuan (actuel Tainan). D’après une peinture de Johannes Vingboons (1616/1617-1670), commandée vers 1640 par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Copie réalisée par l’Ambassade japonaise à Vienne dans les années 1930, à la demande du musée du Gouverneur.

 

Le 11 Janvier 2020, la présidente sortante Tsai Ing-wen (蔡英文) du Parti Démocrate Progressiste (民進黨) remportait les élections présidentielles taïwanaise face à son challenger Han Kuo-yu (韓國瑜) du Kuomintang (國民黨) avec 57,13 % des voix. Ces élections furent bien sûr d’une importance capitale quand au futur de l’île et ses relations avec les autres acteurs géopolitique de la région, et sont l’occasion de dresser un portrait détaillé de l’île. Commençons ce zoom par un rappel historique sur ce que fut Taïwan avant de devenir la « République de Chine » que nous connaissons aujourd’hui.

Foyer austronésien et lieu de rencontre

L’île de Taïwan a d’abord été un lieu particulièrement important de l’anthropologie mondiale, puisque elle est considérée comme le lieu d’origine des langues et cultures austronésiennes, qui se répartissent aujourd’hui de Taïwan à l’Indonésie, les Philippines, la Malaisie, les îles de Micronésie, de Mélanésie, de Polynésie et atteignant de manière certifiée la Nouvelle-Zélande et jusqu’à Hawaï, l’île de Pâques et même Madagascar. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce pays se réclamant officiellement comme étant la « seule et vraie Chine » est historiquement le point de départ d’une aire civilisationnelle parallèle à l’aire civilisationnelle chinoise qui est celle des austronésiens.

Les « premiers habitants » de Taïwan sont donc des peuples austronésiens, qui s’y seraient installés autour de 6 000 ans avant notre ère, et les 1ers contacts avec les chinois, selon la tradition de ces derniers, auraient eu lieu vers le VIIème siècle de notre ère avec un début de migrations originaires du continent, mais l’île de Taïwan reste cependant quasi exclusivement peuplée par ses aborigènes, organisés en une multitude de tribus.

En 1544, des explorateurs portugais en route pour le Japon croisèrent l’île qu’ils baptisèrent « Formosa » (du portugais « Ilha Formosa », « la belle île »), mais ce n’est qu’au XVIIème siècle que l’histoire de Taïwan prit une tournure nouvelle. Après deux tentatives d’invasions japonaises repoussées par les aborigènes, les néerlandais s’implantèrent, de manière initialement pacifique, au sud de l’île afin de favoriser leur commerce avec la Chine et le Japon, l’emplacement de l’île étant particulièrement favorable. Dans un contexte de rivalités entre puissances commerciales, les espagnols s’implantèrent au nord de l’île en 1626, d’où ils furent chassés en 1642 par les néerlandais. L’impact sur l’île de ces derniers fut beaucoup plus décisif puisqu'ils furent responsables de l’importation de main d’œuvre chinoise pour favoriser l’exploitation de l’île, marquant ainsi le point de départ de l’immigration chinoises de masse sur Taïwan. Taïwan devint donc, durant quelques décennies, une zone d’intenses échanges économiques et culturels entre aborigènes, néerlandais, espagnols, japonais et chinois.

 
Migrations austronésiennes

Migrations austronésiennes

 

L’intégration à l’Empire chinois

En 1661, le général chinois Zheng Chenggong (鄭芝龍 ; « Koxinga »), se battant pour la dynastie chinoise Ming (« 明朝 » ; 1368-1648) aux prises avec les mandchous, envahit Taïwan avec l’objectif d’en faire une base-arrière pour la reconquête de la Chine occupée par ces derniers. Avec son armée et la complicité de la population chinoise installée sur l’île, il expulsa les néerlandais de l’île et en prit le contrôle (puis son fils après sa mort) jusqu’à la défaite finale des Ming devant les mandchous en 1683. Durant cette période, une forte immigration de loyalistes Ming afflua sur Taïwan. Les relations avec les aborigènes furent mitigées. Une forte immigration chinoise combinée à une politique de redistribution des terres très défavorables aux aborigènes et à une politique de mariage d’hommes chinois avec des femmes aborigènes abouti à une sinisation des territoires à l’ouest de l’île, les aborigènes se réfugiant à l’intérieur des terres, mais aussi à de nombreuses révoltes matées par l’administration des Zheng.

Les chinois entretenaient un rapport très spécial avec les aborigènes, et en distinguaient trois sortes : les « barbares cuits », aborigènes relativement assimilés et « sinisés » ; puis les « barbares en phase de soumission », « assimilables » ; et enfin les « purs barbares » ou « barbares crus » non assimilés, qui vivaient dans les montagnes ou sur la côte pacifique. La politique du gouvernement des Qing (dynastie mandchou ; « 清朝 » ; 1644-1912) vis-à-vis de Taïwan se révéla cependant différente, cette « île peuplée de barbares inhospitaliers » n’ayant que peu d’intérêts aux yeux de l’Empereur qui ne l’a conquise que pour abattre ce qui restait des loyalistes Ming qui s’y étaient réfugiés.

Les anciens fidèles aux Ming furent rapatriés sur le continent et les migrations du continent vers Taïwan interdites par l’Empereur jusqu’en 1760, bien que de nombreux chinois continuaient d’y migrer à la recherche d’une vie meilleur. La population chinoise passa de 120 000 à l’époque des Zheng à deux millions en 1810 et dépassait les trois millions en 1895. Pour éviter les conflits entre aborigènes et chinois, qui s’aventuraient toujours plus loin pour cultiver des terres, l’Empereur instaura une frontière entre une « zone chinoise » et une zone appartenant aux « barbares » que les chinois avaient l’interdiction formelle de traverser. Cependant, le déclin de l’administration Qing au cours du XIXème siècle suite aux diverses défaites chinoises qui parsèment cette période rendirent l’autorité de l’Empereur de moins en moins prégnante.

La colonisation japonaise

En 1895, un événement bouleversa un équilibre qui n’avait jamais été contesté en plus de 2000 ans d’Histoire. « 中國 » (« Zhōngguó »), « l’Empire du Milieu », avait déjà dû revoir ses ambitions à la baisse après les défaites successives face aux « barbares de l’ouest », les britanniques en particulier, lors des guerres de l’opium (1842, puis 1860), défaites qui furent déjà un traumatisme lourd pour ce peuple habitué à considérer sa civilisation comme le meilleur de l’espèce humaine. Mais la nouvelle défaite qui lui fut infligée en 1895 par le Japon, pays considéré par l’élite chinoise comme profondément arriéré dans lequel habite un peuple de barbares qui tirent la quasi-totalité de leurs culture de ce qu’ils ont imité de la Chine (technologie, religion, écriture) est plus douloureuse et plus humiliante encore. Le minuscule Japon qui, depuis son ouverture forcée en 1853 devant la puissance de feu américaine, est entré dans une phase de modernisation suivant le modèle occidental, a réussi l’exploit historique de vaincre cet immense Empire chinois qui, humilié, sombre toujours plus dans le désordre et le chaos.

Le traité de paix de Shimonoseki (« 下関市 ») fut signé en 1895, la Chine cédant au Japon, entre autre compensations de guerre, l’île de Taïwan et les îles Pescadores. Les chinois de Taïwan, furieux de se voir séparés de la Chine et rattachés par la force à l’Empire japonais, se soulèvent et proclament l’indépendance de la « République de Formose » (« 臺灣民主國 »), qui ne tiendra que cinq mois, le Japon matant dans la violence les révoltes des chinois. L’Empire du Japon ne parviendra à pacifier l’île qu’après 2 ans d’intense et sanglante répression.

Le calme étant finalement imposé sur Taïwan, « 日本 » (« Nihon »), « le pays du soleil levant », va pouvoir développer une politique de japonisation de l’île qui touchera de manière parfaitement égale les chinois et les aborigènes par des écoles se développant dans tout le pays et dans lesquelles l’apprentissage du « 国語 » (« kokugo »), la « langue nationale » (à savoir le japonais), ainsi que l’histoire et la culture du Japon étaient obligatoire. Les résultats de cette politique de japonisation furent relativement efficace puisqu’en 1940, plus de la moitié de la population de Taïwan parlait le japonais, 70 % des aborigènes étaient scolarisés en japonais, et la population, incitée par le gouvernement, avait tendance à donner des noms japonais à leurs enfants. L’usage domestique des langues locales était cependant toléré.

Cette égalité devant la politique de japonisation entre chinois et aborigènes ne doit pas faire oublier que les deux populations étaient toujours traitées différemment, les japonais continuant d’utiliser la distinction de « barbares cuits » (調理された野蛮人 ; « Chōri sa reta yaban hito ») et « barbares crus » (生の野蛮人 ; « Nama no yaban hito ») reprises du chinois et traduites en japonais pour désigner les aborigènes. Si les aborigènes furent assez passifs au moment de la cession de l’île à l’Empire du Japon, ils se sont soulevés à de très nombreuses reprises durant l’occupation, appelant à des réponses d’une grande brutalité de la part des japonais qui n’hésiteront pas à canonner les villages et utiliser du gaz de combat contre les civils aborigènes, toujours majoritaires dans les montagnes. Les japonais avaient en effet délimités des « réserves » desquels les aborigènes avaient interdiction de sortir et dans lesquelles les chinois, majoritaires dans les plaines et sur la côte ouest, avaient interdiction de pénétrer, reprenant la « séparation » instaurée précédemment par l’Empereur mandchou.

Les japonais ne firent cependant pas que massacrer et faire régner la terreur sur cette île, intégrée à l’Empire durant 50 ans avec initialement une vocation définitive. Outre l’explosion des rendements agricoles dus à l’importation des techniques japonaises, l’île s’industrialisa fortement. Un réseau de chemins de fer fut construit, l’éducation s’y démocratisa et la qualité de vie y augmenta considérablement. Les peuples aborigènes furent étudiés par de nombreux anthropologues et linguistes japonais dont les études nous sont aujourd’hui indispensables pour les connaître. Ils purent continuer d’utiliser leurs langues et conserver leurs cultures traditionnelles en échange de l’acceptation des décisions des autorités politiques. Leur niveau de vie s’améliora considérablement, les japonais construisant de nombreuses écoles où l’enseignement était dispensé dans leurs langues et des dispensaires de santé.

A partir des années 1930, les rapports entre japonais et taïwanais étaient beaucoup plus détendus, ces derniers obtenant toujours plus de libertés et de droits, et il ne fait aucun doute que si la défaite japonaise de 1945 (guerre à laquelle 200 000 taïwanais avaient participé, en particulier les 4000 à 8000 « volontaires de Takasago » (高砂義勇隊), aborigènes engagés volontaires pour se battre au nom de l’Empereur) n’avait pas contraint le pays à restituer l’île à la République de Chine, les taïwanais seraient devenus des citoyens japonais au même titre que les habitants de la métropole.



Sources :

LECLERC, Jacques. L’aménagement linguistique dans le monde, Asie et Proche-Orient, Taïwan, (1) Situation générale [en ligne ; version du 09/05/2019]. Disponible sur : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/taiwan-1general.htm

LECLERC, Jacques. L’aménagement linguistique dans le monde, Asie et Proche-Orient, Taïwan, (2) Données historiques [en ligne ; version du 09/05/2019]. Disponible sur : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/taiwan-2HST.htm

LECLERC, Jacques. L’aménagement linguistique dans le monde, Asie et Proche-Orient, Taïwan, (4) La question des minorités et des aborigènes [en ligne ; version du 09/05/2019]. Disponible sur : http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/taiwan-4Pol-lng-minorites.htm

Histoire de Taïwan [en ligne ; version du 20/08/2019]. Wikipédia, l'encyclopédie libre. Disponible sur : http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Histoire_de_Ta%C3%AFwan&oldid=161981415

Taiwanese indigenous people [en ligne ; version du 30/12/2019]. Wikipédia, The Free Encyclopedia. Disponible sur : https://en.wikipedia.org/w/index.php?title=Taiwanese_indigenous_peoples&oldid=933048198

Statut de Taïwan [en ligne ; version du 05/12/2019]. Wikipédia, l'encyclopédie libre. Disponible sur : http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Statut_de_Ta%C3%AFwan&oldid=165138006