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Canada : la crise ferroviaire frappe l’économie du pays

Barrage installé dans la réserve de Tyendinaga sur un axe stratégique pour les transports de marchandises entre l’ouest et l’est du pays, ont entrainé la suspension d’une grande partie du traffic de fret - Photo de Carlos Osorio, Reuters

Au Canada, le mouvement Wet’suwet’en fait la une depuis plusieurs jours. En effet, le pays subit un blocus ferroviaire soutenu par certains chefs autochtones héréditaires et leurs fidèles afin de dénoncer le projet de gazoduc Coastal Gaslink en Colombie-Britannique. Malgré les désagréments occasionnés, notamment des déplacements annulés et des cycles de production paralysés, la plupart des Canadiens est réfractaire à ce que le gouvernement fasse usage de la force pour régler le conflit. C’est particulièrement le cas au Québec où la Crise d’Oka est encore dans les mémoires. Mais pour comprendre ces réticences, un retour en arrière s’impose.

Nous sommes en 1990. Vingt ans auparavant, octobre 1970 évoque pour les Québécois la «Crise d’octobre ». Les Québécois se souviennent des soldats à Montréal, de l’application de la Loi des mesures de guerre et des arrestations arbitraires. L’élément déclencheur de cette crise était la tentative d’insurrection séparatiste d’inspiration marxiste du Front de libération du Québec qui a débouché notamment sur la mort du ministre provincial Pierre Laporte. En 1990, quand des Autochtones bloquent la construction d’un terrain de golf à Oka parce que celui-ci empièterait sur leurs terres ancestrales et aurait été construit sans consultation, le gouvernement Bourassa n’hésite pas et envoie la Sûreté du Québec mener une opération musclée. Le conflit dégénère alors qu’un policier est tué. La police fédérale, puis l’armée, sont appelées en renfort. Après des négociations au cours desquelles le pays a retenu son souffle, le conflit se termine avec le statu quo. À l’époque, la population avait massivement soutenu l’intervention de l’armée afin de rétablir l’ordre alors que les dirigeants avaient été présents et rassurants.

Source: native-land.ca

Trente ans plus tard, les temps ont bien changé. La population est devenue beaucoup plus pro-autochtone et est réfractaire à l’usage de la force comme premier recours. Surtout, il y a un vide. Il manque une figure importante, une figure qui rassure et qui guide le peuple dans ce genre d’épreuves. Cette figure, c’est le chef du gouvernement. Justin Trudeau a refusé de mener le combat et l’a laissé aux ministres responsables des Autochtones, généralement des subalternes. Cette absence s’explique en partie par le voyage du Premier ministre en Afrique et en Europe afin de mener campagne pour que le Canada obtienne un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies pour deux ans. Or, pour le grand public, invoquer cette absence ne passe pas. On ne cache pas le chef dans son palais alors que des pénuries commencent à se faire sentir. La Vice-Premier ministre Chrystia Freeland, que certains soupçonnent d’avoir des ambitions pour plus tard, a payé quelques frais en raison de l’inaction de son patron alors qu’elle a été refusée d’entrée à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique.

Ceci dit, que le Premier ministre soit ou non sur le terrain, la question la plus brûlante reste celle du recours à la force pour dénouer l’impasse. Est-ce que l’usage de la force mettrait fin au blocus en évitant des pénuries nuisibles à l’économie ou conduirait plutôt à une escalade de violence aux conséquences imprévisibles? Cette question est très sérieuse et les autorités feraient bien d’y répondre avec rigueur. D’ailleurs, le mouvement étant illégal, rien n’empêche la police d’intervenir pour faire appliquer la loi et les injonctions aidant à la mettre en œuvre. Or, l’enjeu est politico-militaire. Une intervention policière, voire militaire, musclée pourrait envenimer un conflit qui prendrait encore plus d’ampleur vu l’impact des réseaux sociaux. Il est donc peu probable qu’un tel conflit reste circonscrit à une seule localité comme la Crise d’Oka en 1990.

Toutefois, il faut garder en tête que cette crise ferroviaire est, et sera un événement marquant du mandat minoritaire de Justin Trudeau. Pour le moment, les négociations continuent et l’usage de la force est explicitement exclu par le gouvernement. Si la confiance semble de mise pour le moment, cela n’empêche pas l’inquiétude de monter au sein de la population canadienne, et ce, peu importe son opinion sur le fond des choses.