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Décès de Robert Mugabe : autopsie d'un Zimbabwe à l'agonie (1/2)

Les Zimbabwéens fêtent la chute du président Robert Mugabe (Photo : rts.ch)

Auteurs : Gaal Dornick et Jean.

INTRODUCTION

Lorsqu'en 1980, la Rhodésie du Sud anglaise accède à l'indépendance et prend le nom de Zimbabwe, l'espoir est grand pour cette jeune nation. Mais sous l'égide de l'ancien chef de guérilla Robert Mugabe, qui ne quittera plus le pouvoir jusqu'au 21 novembre 2017, l'Etat africain va vivre des heures bien sombres de sa jeune histoire. La mort de l’ancien chef d’Etat au début du mois de septembre dernier pourrait permettre au Zimbabwe de s’acheminer vers un avenir meilleur mais rien n’est moins sûr. Retour sur le mandat d'un homme responsable de beaucoup des maux qui frappent son pays.

UN BILAN CATASTROPHIQUE

A l'heure de sa démission forcée le 21 novembre 2017, Robert Mugabe laisse derrière lui un pays exsangue, bien loin des espoirs nés près de quarante ans plus tôt à sa prise de pouvoir. La comparaison de la situation du pays entre ces deux époques est d'ailleurs sans appel : grenier à blé du Sud de l'Afrique sous domination britannique, le pays fait aujourd'hui face à une crise alimentaire dévastatrice. Selon un rapport du PAM (1) du 19 juillet 2019, plus d'un tiers de la population en zone rurale serait en insécurité alimentaire (2) (soit plus de 3,5 millions d'individus pour une population de 14,5 millions d'habitants), et cette proportion devrait vraisemblablement prendre encore plus d'ampleur. Le rapport pointe ainsi une augmentation de 73% de cette insécurité par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Pour nourrir ses citoyens le Zimbabwe doit désormais compter sur les aides humanitaires, et perd ainsi une part de cette indépendance que feu son président avait pourtant si chèrement défendu.

La litigieuse réforme agraire mise en place par ce dernier constitue d'ailleurs la cause principale de la crise alimentaire qui frappe le pays. Au début des années 2000, Mugabe, dans la continuité de son combat contre « l'Occident colonialiste » et ses représentants de toutes sortes, lance sa politique « one man, one farm ». La situation économique de l'Etat repose alors essentiellement sur l'agriculture, et le président ne tolère pas qu'environ 4000 fermiers blancs possèdent près de 70% des terres arables au sein de vastes propriétés. Avec force discours virulents et évoquant la lutte des classes, des races et le combat contre l'impérialisme occidental, il entreprend d'exproprier ces fermiers, dont la mort de certains provoque un tollé à l'international. Puis il place à la tête de ces exploitations des proches et amis médiocres voire incompétents dans le domaine qui laissent les plantations en friche. Dès lors c'est tout le pays qui paye le prix de la décision de Robert Mugabe, et paradoxalement les Blancs ne sont pas ceux qui en pâtissent le plus, mais bien les Noirs les plus pauvres.

En effet, les exportations agraires sont en chute libre et le Zimbabwe voit les investisseurs déserter peu à peu le pays. L'inflation qui en découle est terrible : le taux d’inflation passe de 59% en 1999 à 7 500 % en août 2007, alors un record mondial. La valeur de la monnaie nationale chute drastiquement, si 8 dollars zimbabwéens valent une unité de son équivalent américain en 1996, c'est 10 milliards de monnaie zimbabwéenne pour 1 dollar américain en 2008. Aucune des mesures prises par le gouvernement, que ce soit la création de nouvelles monnaies ou le gel des prix, n'améliorent la situation et certaines d'entre elles l'empirent dans certains cas.

La situation sanitaire du pays est également très préoccupante : selon un rapport de l’OMS de 2008, elle s'est fortement détériorée au cours des deux dernières décennies. Ce, alors même qu'elle était avec l'éducation le domaine sur lequel Robert Mugabe avait mis l'accent au début de son mandat. La faim et la malnutrition présentes dans le pays ouvrent la porte à de nombreuses et dévastatrices épidémies, dans une région où l'hygiène est le cadet des soucis des populations cherchant à survivre.

Le choléra a ainsi frappé de plein fouet les zimbabwéens à l'aube du deuxième millénaire. Au plus fort de la crise, une épidémie de choléra s’est déclarée dans le pays et a atteint plus de 55000 habitants en 2009. Ainsi, le taux de létalité (3) relevé par l’OMS à cette période a atteint un pic de 6% sur l’ensemble du pays, allant jusqu’à 50% dans les régions les plus reculées. Parallèlement, l’espérance de vie a chuté et l’ONU l’estimait à 53 ans pour les femmes et 54 ans pour les hommes en 2015, ce qui classe le Zimbabwe parmi les 20 Etats les plus faibles pour cette statistique.

Le Zimbabwe est actuellement un pays en grande difficulté économique (141e PIB (4) mondial en 2015) et sociale (156e IDH (5) mondial en 2017). De fait, près de 80% d'habitants vivent sous le seuil de pauvreté au plus fort de la crise.

Robert Mugabe laisse également derrière lui un pays extrêmement fragilisé politiquement par quatre décennies de répression. La démocratie proclamée n'a en réalité jamais réellement été effective et l'espoir de changement incarné par le MDC s'est effondré aussi rapidement qu'il est apparu. Il faut ainsi reconstruire un système viable sur fond de divisions profondes entretenues par le pouvoir depuis 4 décennies. L'actuel président du Zimbabwe Emmerson Mnangagwa a d'ailleurs accédé au pouvoir grâce à un coup d'état, ce qui ne traduit pas une évolution positive de la situation politique. En deux ans à la tête du pays, il semble ainsi davantage s'orienter sur les pas de son prédécesseur que sur la voie d'un renouveau politique.

En près de 37 années à la tête du pays, Robert Mugabe a donc été à l'origine de crises majeures et dévastatrices et il est l'un des plus mauvais dirigeants de ce dernier demi-siècle. Il est cependant un domaine dans lequel il a excellé pendant toutes ces années sous différentes pressions internes et externes : la conservation du pouvoir.

Notes :

(1) : Programme Alimentaire Mondial (PAM) : organisme d'aide alimentaire de l'ONU. Son objectif est d'éradiquer la faim dans le monde

(2) : insécurité alimentaire : état dans lequel une personne ou un groupe de personnes se trouvent lorsque la disponibilité d'aliments sains et nutritifs, ou la capacité d'acquérir des aliments personnellement satisfaisants par des moyens socialement acceptables, est limitée ou incertaine.

(3) : taux de létalité : proportion des individus décédés à la suite de la contamination par une maladie par rapport au nombre total d'individus touchés par cette contamination.

(4) : Produit Intérieur Brut (PIB) : agrégat de l'ensemble des valeur ajoutées réalisées au sein d'un territoire. Bien qu'imprécise, cette statistique est souvent utilisée en tant que reflet de la santé économique d'un pays. Elle est le plus souvent calculée sur un an.

(5) : Indice de Développement Humain (IDH) : indice statistique relevé par les Nations Unies afin d'estimer le développement humain. Il repose sur les calculs de l'espérance de vie, du niveau d'éducation, et du niveau de vie

Sources :

La prétendue « réforme agraire » au Zimbabwe, par Daniel Compagnon dans Etudes de 2003/3, pages 297 à 307 : https://www.cairn.info/revue-etudes-2003-3-page-297.html

Zimbabwe : plus d'un tiers des ménages ruraux sont en insécurité alimentaire selon le PAM, du 19 juillet 2019 : https://news.un.org/fr/story/2019/07/1047841

UN data : Zimbabwe : http://data.un.org/CountryProfile.aspx/_Images/CountryProfile.aspx?crName=Zimbabwe

UN social indicators : Zimbabwe : https://unstats.un.org/unsd/demographic/products/socind/default.htm

OMS : choléra au Zimnbabwe : bulletin de 2008 : https://www.who.int/csr/don/2008_12_26/fr/