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Décès de Robert Mugabe : autopsie d'un Zimbabwe à l'agonie (2/2)

Robert Mugabe en 2009 - US Navy

Auteurs : Gaal Dornick et Jean.

UNE MAINMISE SUR LE POUVOIR PHÉNOMÉNALE

Dès l'instant où il prend le pouvoir en 1980 et donne le nom de Zimbabwe à son pays, Robert Mugabe est immédiatement un héros, un libérateur, vainqueur du colonialisme. Pendant toutes les années à la tête de son pays, il cultive savamment cette image, et n'oublie jamais d'évoquer inlassablement la lutte contre l'envahisseur occidental. Il utilise régulièrement les vieilles rivalités qui habitent le pays pour justifier nombre de ses actions, comme l'opposition raciale (noirs et blancs), sociale (riches et pauvres), ou la résistance à l'oppression colonialiste occidentale. Ces justifications sont souvent utilisées ensemble dans ses discours. De plus, son passé glorieux de libérateur d'une nation lui donne un crédit important auprès de la population. Ce sentiment est d'autant plus renforcé par le culte de la personnalité mis en place, soutenu par une propagande massive.

Pour autant, dès les premières réformes structurelles des années 1990, une vague de mécontentement se forme, qui aboutit à l'émergence d'un nouveau parti opposant, le MDC (1) de Morgan Tsvangirai. Celui-ci s'incline d'une courte tête aux élections présidentielles de 2000 face au ZANU-PF (2) du dictateur. Il a cependant plané un certain nombre de soupçons concernant l'équité de ces élections. Robert Mugabe n'hésite ainsi pas à utiliser tous les moyens de pressions nécessaires pour garder le pouvoir, des trucages électoraux aux menaces sans oublier les potentielles tortures. Le président a de plus su façonner la Constitution de son pays de manière à préserver son mandat et a notamment obtenu le pouvoir discrétionnaire (3) de nommer de 20 députés (en plus des 120 élus démocratiquement) au parlement.

Toutefois, la défaite électorale de 2000 du MDC ne semblait être qu'une étape vers le renversement du despote, et le mécontentement grandit d'autant plus dans les années 2000 avec la chute libre économique du pays. Mais l'opposition politique est bien trop divisée, et de nombreux conflits internes au MDC voient le jour, habilement utilisés par Robert Mugabe au sein de ses discours.

En dehors du domaine purement politique, le leader du ZANU-PF s'est révélé fin stratège dans le contrôle de sa population. Il bénéficie en premier lieu du soutien de l'armée, un outil tout aussi puissant que dangereux en cas d'insurrection. Conscient de ce risque, il use une fois de plus de son aura de libérateur du pays et crée une importante milice d'anciens combattants qui devient son bras armé. Elle lui permet ainsi de maintenir les cadres du parti majoritaire sous pression et de réduire sa dépendance envers l'armée. Les milices agissent également pour réprimer les mouvements de population et tuer quelconque soulèvement dans l’œuf. Il bénéficie ainsi d'une grande marge de manœuvre à la tête de son pays.

Cependant, face à la ruine économique du pays, l'on peut légitimement s'interroger sur la provenance des fonds sollicités pour entretenir la domination de Robert Mugabe sur le pouvoir. En réalité si la plupart des citoyens vivent dans une situation extrêmement précaire, les cadres du parti s'enrichissent considérablement. Nombre d'entre eux spéculent sur la valeur de la monnaie, la vendent au marché noir pour une fortune et la rachètent à des prix ridicules aux taux établis nationalement. De même, l'attribution de nombreux privilèges à ses proches par le président participe à ce phénomène. Ce dernier détourne allègrement les fonds publics et profite notamment de la découverte de nouvelles mines de diamants en 2007 pour s'enrichir de l'argent des investisseurs étrangers.

La dictature menée par Robert Mugabe ne passe pour autant pas inaperçue à l'étranger, et la gestion relations internationales est l'un des sujets brûlants que le dirigeant doit affronter.

UNE RÉACTION INTERNATIONALE DÉSORDONNÉE

Comme évoqué précédemment, la colonisation a été un des fers de lance de la ligne politique du leader zimbabwéen. Parallèlement, l'ancien détenteur de la Rhodésie, la Grande-Bretagne, n'a de cesse de condamner les actions du dictateur et dans l'ensemble l'Occident, sous l'impulsion américaine, désapprouve le mandat du zimbabwéen. La France, au gré des mandats présidentiels, conserve une certaine distance, et joue la carte de la passivité. L'axe anglo-saxon forme ainsi le principal adversaire du Zimbabwe à l'international, et il déploie une multitude de sanctions économiques qui se révèlent plus nuisibles à la population qu'à ses dirigeants. L'ONU est quant à elle préoccupée par la situation alimentaire et sanitaire et envoie des missions humanitaires, mais comme bien souvent son action politique se résume à des alertes lancées dans le vide.

A l'inverse, les russes se présentent comme un soutien de poids à Mugabe, et ils cherchent à entretenir des relations économiques plus avancées avec le pays africain riche en métaux précieux. C'est cependant la Chine qui, dans la continuité de son action en Afrique, investit massivement et dispense de nombreuses aides au pays, ce qui lui permet de garder la tête hors de l'eau économiquement. En échange, elle obtient notamment une place privilégiée quant à l'exportation des richesses brutes du pays. L'Empire du Milieu s'impose progressivement comme le meilleur allié du Zimbabwe, et ses nombreux vetos imposés au conseil de sécurité de l'ONU ont préservé la jeune nation de plus grandes sanctions économiques venant de l'Occident.

La position des voisins africains de l'ancienne Rhodésie du Sud se révèle beaucoup plus précaire. Partagés entre combat symboliquement fort du colonialisme et condamnation des actes dévastateurs de Robert Mugabe, la plupart des Etats de l'UA (4) optent pour une passivité empreinte de louanges pour le dirigeant héros de l'indépendance de son pays. L'Afrique du Sud, partenaire historique du Zimbabwe, s'est montrée particulièrement bienveillante dans son silence, prêtant le flanc à de nombreuses critiques internes et externes.

Ces rapports de forces interétatiques ont pu être particulièrement mis au jour, entre satisfaction du changement et éloges à un héros d'indépendance. La mort de celui qui a dirigé le pays d'une main de fer pendant près de quarante ans pourrait signifier le début d'une nouvelle ère mais les premiers retours sur le gouvernement de l'actuel président, Emmerson Mnangagwa, semblent renvoyer l'image d'un système avec les mêmes tares. La renaissance attendra.

Notes :

(1) : Movement for Democratic Change (MDC) : Mouvement pour le Changement Démocratique : parti politique fondé en 1999 par Morgan Tsvangirai, il incarne l'opposition politique dans le pays, avant de disparaître en 2005 suite à de nombreuses scissions internes.

(2) : Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU-PF) : fondé en 1963 par notamment Robert Mugabe qui en deviendra le leader historique, le parti lutte pour l'indépendance du Zimbabwe qu'il obtient en 1980 en arrivant au pouvoir. Il ne le quitte plus jusqu'à ce jour.

(3) : pouvoir discrétionnaire : pouvoir de décision laissé à la libre appréciation de l'autorité qui en bénéficie. En d'autres termes, il s'agit d'un pouvoir qui ne dépend que de celui qui l'exerce.

(4) : Union Africaine (UA) : organisation d'Etats africains créée en 2002, elle a pour but la collaboration économique et culturelle de ses membres, et lutte selon ses propres termes contre les derniers vestiges du colonialisme et de l'apartheid.

Sources :

Zimbabwe ; un an après la chute de Mugabe, le désenchantement, par AFP dans Jeuneafrique, le 18 novembre 2018 : https://www.jeuneafrique.com/depeches/666624/politique/les-zimbabweens-desenchantes-un-an-apres-la-chute-de-mugabe/

Zimbabwe : réflexions sur la dictature durable, par Marc-André Lagrange et Thierry Vircoulon dans Politique étrangère 2008/3 pages 653 à 666 : https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2008-3-page-653.htm

Zimbabwe national statistics : http://www.zimstat.co.zw

Zimbabwe: The Movement for Democratic Change (MDC) : https://www.refworld.org/docid/3ae6ad8338.html