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Du traité de l’Élysée, entre fumisterie et propagande européiste

Lors d’une émouvante messe de réconciliation dans la cathédrale de Reims, qui avait été pendant des siècles le lieu de couronnement des rois français, Konrad Adenauer et Charles de Gaulle rendirent publique l’amitié franco-allemande, ouvrant la voie à la signature du traité d’amitié franco-allemand le 22 janvier 1963, au palais de l’Élysée.

Le 22 janvier 1963, le président de la République française Charles de Gaulle et le chancelier de la République fédérale d’Allemagne Konrad Adenauer signent un traité d’entente et de coopération binational à Paris. La propagande et le révisionnisme européistes ont longtemps épilogué sur ce traité « historique » qui fonde « l’amitié franco-allemande » – terme qui n’existe qu’en France d’ailleurs. En réalité, les démarches gaulliennes envers l’Allemagne ont un but bien plus pragmatique et national, n’en déplaise aux Européens convaincus, prompts à réécrire l’Histoire selon leurs seules vues idéologiques.

Contexte

Revenons sur le contexte. Après la Seconde Guerre mondiale, la France est paradoxalement dans une situation précaire. Vainqueur du conflit in extremis, elle est cependant traitée avec condescendance et mépris par ses anciens alliés anglo-saxons pour sa défaite initiale contre l’Allemagne nazie et l’insoumission de son chef de guerre Charles de Gaulle. Le pays est donc traité comme une nation vaincue au même titre que l’Italie par exemple. Les différents refus gaullistes et communistes vis-à-vis d’une Europe de la défense – synonyme de réarmement allemand – accentuent le mépris américain dans un contexte de Guerre Froide. Même s’ils ont obtenu gain de cause en permettant la renaissance d’une force armée nationale, les Américains doivent soumettre cette France trop impétueuse et rebelle. Ils misent alors sur la « construction européenne » et son caractère d’interdépendance nationale pour tenter de combattre les velléités germanophobes françaises. De plus, ils profitent de la guerre d’Algérie pour mener une propagande à l’égard de la France destinée à affaiblir son autorité à l’international.

Vient alors Charles de Gaulle – appelé à la rescousse par le régime républicain agonisant – qui va instaurer un nouveau pouvoir stable et autoritaire. Débarrassé du « boulet algérien », l’homme du 18-Juin va désormais disposer des pleins pouvoirs en matière de politique extérieure, de diplomatie et de stratégie militaire – ce qu’il appelait « les domaines réservés » du chef de la Cinquième République.


Une politique d’émancipation vis-à-vis du pouvoir suzerain américain

Charles de Gaulle connaît bien les États-Unis d’Amérique. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, il les a combattus afin que la France ne soit pas traitée comme un pays vaincu, l’heure de la Libération venue. Hostile au redécoupage de l’Europe que prévoyait Roosevelt – francophobe convaincu – et qui faisait de la France un territoire vassal, occupé et administré par un gouvernement militaire américain. Roosevelt – présenté par son pays comme un défenseur de la Liberté et le libérateur de l’Europe – voyait en De Gaulle un « dictateur en puissance » et un homme bien trop difficile à manipuler et soumettre. Son retour aux affaires, quinze ans plus tard, signe la résurrection de la France comme grande puissance via une volonté politique forte et assumée.

Quid de la construction européenne ? De Gaulle – opposé à l’idée d’États-Unis d’Europe qui nierait l’évidence et la vérité même des nationalités – lui accorde une utilité. La carte continentale en 1960 est peu ou proue celle de la France napoléonienne voilà un siècle et demi plus tôt, notamment grâce à une Allemagne divisée. La Communauté économique européenne (CEE) instituée par le traité de Rome forme un ensemble historiquement proche de l’Empire français. De plus, l’État allemand occidental est culturellement francophile. Commence une politique européenne bien éloignée des récits fabuleux de la propagande européiste.

En initiant un rapprochement avec l’Allemagne d’Adenauer, le président français entend constituer un bloc européen indépendant, dominé par la France et soutenu par la puissante industrie lourde allemande. Si Paris ne peut annexer la Rhénanie, alors il faudra s’en emparer par la diplomatie. Voilà l’objet du traité de l’Élysée signé entre les deux chefs français et allemands. De Gaulle veut faire du voisin allemand – et a fortiori de la CEE – une vaste zone d’influence et de puissance française. En somme, un tremplin pour Paris.

L’échec de la politique européenne gaullienne : le véritable visage allemand

L’amitié entre Charles de Gaulle et Konrad Adenauer était sincère. Mais ce que ne disent pas les discours européistes c’est l’après-traité. Car un texte de cette importance n’a aucune valeur s’il n’est pas ratifié. Six mois plus tard, il entre au parlement allemand pour être validé. Il le sera, non sans être dénaturé et déformé par un préambule réaffirmant l’attachement allemand à l’atlantisme, à la protection américaine et à l’anglophilie. Ainsi, le Parlement réaffirme la nécessité d’une association étroite entre l’Europe et les États-Unis, d’une admission de la Grande-Bretagne dans la CEE et d’une tutelle de l’OTAN dans le cadre de la défense.

Dès lors, et face aux refus répétés de l’Allemagne, qui obtiendra d’ailleurs la démission d’Adenauer en 1963, De Gaulle entame une politique hostile vis-à-vis de l’Allemagne et des Anglo-Saxons. En plus du blocage total des institutions européennes, il se lance dans un politique international tout azimut s’appuyant sur l’imposant réseau diplomatique du pays. L’Amérique est dénoncée pour son impérialisme (profitant du bourbier vietnamien), des régimes communistes sont reconnus officiellement (Chine en 1964) et la France décide de recouvrer sa pleine capacité décisionnelle en quittant le commandement intégré de l’OTAN tout en expulsant les Américains du sol national.

Conclusion

Cette attitude américanophobe ne sera pas sans conséquences funestes pour la France et son chef. De plus en plus gênant pour l’Amérique, les services secrets, diplomatiques et économiques américains font tout leur possible pour discréditer le héros de la France libre. Engagée dans cette « guerre de Trente-Ans », la CIA encourage la corruption tout en ralliant la classe politique nationale. L’opposition à De Gaulle se fait de plus en plus forte jusqu’à exploser en mai 1968. Conscient de l’abandon de ses « alliés » politiques, il limoge Georges Pompidou – son Premier ministre depuis six ans – et compte bien entamer des réformes constitutionnelles qu’il n’avait pu mener à bien auparavant. En avril 1969, il échoue à convaincre un peuple manipulé par les élites politico-médiatiques à l’image de la trahison de Valéry Giscard d’Estaing. De cet épisode, il en tiendra une comparaison tragique : « Comme [Napoléon], j’ai été trahi par des jean-foutre que j’avais faits et nous avons eu le même successeur : Louis XVIII ». Dès lors, la France sera gouvernée par une élite atlantisme, européiste et apatride, avide de révisionnisme historique dont souffrira d’abord et avant tout le traité de l’Élysée…


Sources :

C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte (1994-2000)

Le Suicide français, Éric Zemmour (2014)

L’ami américain, Éric Branca (2017)