France et tensions turco-grecques en Méditerranée
L’été 2020 aura été le théâtre d’un regain de tensions entre la République hellénique et la République de Turquie. Sur fond de prospections pétrolières en Méditerranée, les deux nations ennemies de l’Histoire montrent leurs muscles tandis que, contre tous ses alliés et amis, la France fait cavalier seul dans la défense des intérêts grecs en mer Égée. Contre l’Union européenne, contre l’ami allemand, contre le protecteur américain, Paris fait front commun avec Athènes pour mettre en échec les ambitions turques renouvelées. Mais est-ce suffisant ? La France et la Grèce – deux nations alliées de longue date – peuvent-elles gagner le choc idéologique et s’imposer sur la scène géopolitique en Méditerranée ? Forte de la nostalgie ottomane, la Turquie est-elle en passe de réussir son pari ?
Les tumultueuses relations gréco-turques méritent un traitement complet tant celles-ci sont vieilles et ancrées. Déjà au temps des cités-États et de la philosophie antique, les Grecs entretenaient des liens étroits et complexes avec l’Anatolie. Depuis, toutes les grandes menaces existentielles pour la civilisation hellénique vinrent de l’est : Perses, Seldjoukides, Arabes, Ottomans, et aujourd’hui les Turcs. Pourtant héritière des traditions de l’Empire romain d’Orient et centre religieux du christianisme orthodoxe, la Grèce faillit et fut longtemps dominée par son voisin ottoman jusqu’à l’indépendance acquise en 1832. C’est fort de ce passé qu’Istanbul et Athènes s’affrontent à nouveau. Mais cette fois-ci, ils sont en théorie alliés car membres tous deux de l’OTAN (1952). Si la raison d’être de cette alliance militaire mériterait elle aussi un développement propre, rappelons simplement que la chute du communisme a fait disparaître tout élément fédérateur qui pouvait tenir assemblée l’unité atlantiste. Désormais, ses membres reviennent à leurs histoires nationales et redécouvrent leurs vieux démons mis en suspens par la Guerre Froide.
Quid de la France ? Si les relations diplomatiques entretenues avec la Turquie sont historiquement fluctuantes, passant d’ennemis farouches au temps des Croisades à alliés cordiaux sous François Ier comme Louis XIV, force est de constater qu’Istanbul est un partenaire de premier ordre. Depuis la chute de l’Empire ottoman, la France entretient même des relations cordiales sur bien des domaines tout en gardant une neutralité toute particulière à l’égard de la Grèce. Alliée inconditionnelle de la France depuis 1914, la petite nation méditerranéenne entretient d’excellentes relations diplomatiques avec Paris. Le français est la langue de l’élite tandis que l’Hexagone comprend la 8ème diaspora grecque la plus importante du monde. Comme pour le conflit israélo-palestinien, la République française affiche une neutralité toute compréhensible. Mais depuis 2020, tout semble changer.
Seule contre tous, la France d’Emmanuel Macron fait front commun avec la Grèce pour contrer les ambitions impérialistes de la Turquie. Conscient de la faiblesse de l’Occident – tant au niveau culturel que politique – son chef d’État (Recep T. Erdogan) multiplie les provocations et manœuvres agressives en Méditerranée, comptant sur le pacifisme européen et son rang dans l’OTAN pour jouir d’une certaine impunité. Comme prévu, l’Allemagne et l’Amérique refusent tout bras de fer pour des raisons politiques (communauté turque allemande) ou géostratégiques (position capitale d’Istanbul contre la Russie). Que dire de cette France isolée ? Elle s’impose sur la scène internationale comme lui dicte son passé glorieux. Mais en même temps, elle multiplie les contradictions, refusant de combattre le fondamentalisme islamique et l’immigration de masse sur son propre sol alors qu’elle en fait un cheval de bataille contre la Turquie. Dans cette confrontation, il semble que la Turquie ait remporté l’essentiel de ses objectifs en divisant davantage l’Europe et l’Occident tout en s’assurant une certaine impunité. De plus, doté d’une grande culture historique, son chef Erdogan profite du négationnisme occidental concernant l’Histoire pour reprendre le statut impérial perdu en 1922. Les Occidentaux, si naïfs et convaincus que l’Histoire ne peut se répéter, refusent d’admettre la réalité : les grandes puissances historiques se réveillent et aspirent à concurrencer l’Amérique pour la détrôner. Il en va ainsi de la Turquie mais aussi de la Russie et de la Chine. La France conserve un minimum de réflexes géopolitiques salvateurs en s’interposant mais pour combien de temps ? Car c’est bien un changement total de paradigme qui attend le chef de l’État français : l’acceptation d’une Europe divisée et impossible à unifier, la remise en question de l’hégémonie américaine et la reconquête de la souveraineté nationale. Affaire à suivre donc…
Sources :
Face à l’Info du 31 août 2020, Cnews