Géopolitique du « Monde d'Après » : l'Asie orientale, nouveau centre du monde?

 
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Le 10 Juin 2020, Philippe De Villiers affirmait : « Ce qui est en train de se passer, le confinement et le dé-confinement, c’est une débâcle. C’est un événement qui est de l’importance de la chute du mur de Berlin, c’est un événement qui va être un tournant. »

Il y aura incontestablement un avant et un après « crise du coronavirus », cet événement marque déjà et va continuer de marquer les esprits des européens pendant de longues années. Aura-t-il cependant, plus qu’un simple impact psychologique, un impact politique tangible ? Plus largement, marquera-t-il une rupture aux niveaux politiques ou géostratégiques ? Il est encore trop tôt pour le savoir, mais quelques semaines après la fin du confinement, nous pouvons déjà dresser un 1er bilan de l’impact de cette crise, dont beaucoup affirment déjà sans attendre qu’elle rentre dans l’histoire comme l’élément déclencheur du changement de trajectoire de l’Occident.

Ayons déjà en tête qu’on ne peut percevoir l’histoire comme une succession d’étapes « figées », il n’y a pas « la paix, puis soudainement la guerre », il n’y a pas « la monarchie, puis d’une façon parfaitement inattendue la République », et il n’y aura pas « la situation avant le coronavirus », puis « la situation après le coronavirus ». L’histoire ne saurait s’analyser par la description de situations historiques prises comme figées, immobiles, et auxquelles d’autres situations vont succéder et qu’il convient de décrire à leur tour. Il n’y a que des dynamiques à l’œuvre, des tensions, qui provoquent la transformation de situations historiques dans un sens ou dans un autre. Aussi l’analyse historique, pour être pertinente dans l’éclairage des phénomènes politiques, passe plutôt par la mise en évidence des dynamiques à l’œuvre et l’évolution de ces dynamiques. Il y a en effet nécessairement dans chaque situation historique les germes de son évolution future, rien n’apparaît de façon purement fortuite. On peut constater a posteriori qu’aucune guerre ne se déclare de façon absolument imprévisible, de même qu’aucune révolution politique ou idéologique : on peut après coup toujours trouver dans l’analyse des dynamiques économiques, démographiques ou politiques des explications des phénomènes historiques clés.         

L’étude des dynamiques ayant abouties au déclenchement des grands événements historiques peut par ailleurs être d’une grande aide pour qui tente de mettre en lumière les dynamiques du présent (même si l’on ne peut bien évidemment tout anticiper sur le moment par manque d’informations), ou encore de les orienter si l’on est au commande dans le sens du futur que l’on souhaite voir advenir. Dans cette optique, la crise du coronavirus est particulièrement intéressante : elle a permis au grand nombre de prendre conscience, et d’une façon plutôt brutale, des dynamiques qui étaient à l’œuvre depuis déjà plusieurs décennies, et de leurs conséquences concrètes. Nous nous intéresserons ici spécifiquement à une dynamique géopolitique concrète que cette crise du coronavirus fit apparaître de manière éclatante : le basculement du « centre du monde » vers l’Asie orientale.

 

Le coronavirus comme révélateur d’une dynamique de basculement du centre du monde

 
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Tout d’abord, que penser du développement du virus dans le monde ? Parti de Chine à la fin de l’année 2019, il semblerait qu’en ce mois de Juin 2020 les régions les plus touchées soient l’Europe et les États-Unis (bien qu’on commence à observer une hausse du nombre des personnes contaminées en Amérique du Sud). On peut par ailleurs observer que le continent le plus pauvre du monde, l’Afrique, et ce malgré des systèmes de santé a priori bien moins performants qu’en Europe, est relativement épargné par le virus. De même, bien que l’Asie soit le continent duquel le virus est parti, le nombre de cas et de morts est bien inférieur à celui de l’Europe ou des États-Unis.

S’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives, une certaine logique se dégage cependant : le virus n’ayant de graves conséquences que principalement sur les personnes âgées ou les personnes ayant des problèmes de santé notables (on a beaucoup souligné la vulnérabilité des personnes souffrant d’obésité), une population aussi jeune que celle de l’Afrique n’était pas la plus à risque. De même, la répartition des cas dans les différents pays est toujours la même : ce sont les grandes villes qui sont les plus touchées. Aux États-Unis au cours du mois d’Avril, la ville de New-York représentait le tiers des cas de contamination dans le pays ; en Italie la Lombardie et les régions du nord sont de loin les plus touchées ; en France l’Île-de-France reste le principal foyer de contamination (bien que la région Grand-Est soit aussi particulièrement touchée, en particulier le département du Haut-Rhin ; un rassemblement évangélique qui s’est tenu à Mulhouse en Février et qui a regroupé plus de 2000 personnes est parfois montré du doigt comme responsable de ce cas particulier). Le virus étant supposé être originaire de Chine, l’explication de sa diffusion semble on ne peut plus clair : il s’est surtout répandu dans les zones de plus forte circulation de la planète, dans les zones où le monde entier se croise et se rencontre, c’est-à-dire en priorité dans les centres économiques et financiers du monde : l’Europe occidentale, les États-Unis et l’Asie orientale. Cette situation renforce d’ailleurs l’explication de la faible contamination de l’Afrique, à la fois continent très jeune et au sein duquel la circulation internationale, que ce soit sur les plans touristiques ou commerciaux, est très faible.

 
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La différence de situation entre d’une part l’Asie orientale, et de l’autre l’Europe occidentale et les États-Unis, s’explique maintenant en termes de politique brute et de gestion de crise de la part des gouvernements. Il ne surprendra personne si nous affirmons que la gestion de cette crise du coronavirus par l’Europe à été bien inférieure à celle de l’Asie orientale. La situation de l’Europe orientale à part – qui s’explique selon nous surtout par une faible exposition de ces pays du fait de la faiblesse de la circulation internationale dans cette région du monde, bien que nous ne nions pas qu’ils aient menée une politique de prévention bien plus sérieuse que des pays comme la France en contrôlant immédiatement les flux humains sur leurs territoires –, la gestion de cette crise sanitaire par le Vieux Continent est significative des bouleversements à l’œuvre depuis de nombreuses décennies. La majorité des pays européens furent en effet contraints au confinement généralisé de la population, pratique qui fut abondamment qualifiée de « moyenâgeuse » et dont les conséquences économiques seront, après la crise, désastreuses.

Ce choix, du point de vu de la situation française, fut cependant éminemment rationnel et s’explique en 1er lieu par le manque de matériel médical (en particulier de masques, gels et tests) en mesure de protéger la population, la volonté de préserver les hôpitaux de la submersion par un nombre trop important de malades dans un contexte de places limitées, et le manque d’informations au sujet de ce virus a priori nouveau et dont on ne savait, en définitive, que peu de choses. C’est ainsi le principe de précaution qui a prévalu, et le choix du confinement pour faire primer les vies humaines sur l’économie est un choix qui, bien que contestable, semble malgré tout raisonnable. Mais raisonnable conjoncturellement et à la vue de la situation dans laquelle était le pays au moment du déclenchement de la crise. Le fait que la France se trouvait dans cet état nécessite cependant de se poser un certain nombre de questions. Il va en effet sans dire qu’il est honteux pour la 6ème puissance économique du monde de se retrouver dans une telle situation de pénuries de matériel médical, qui plus est quand de précieuses semaines lui furent accordées par la Providence pour se préparer à une contamination qui frappa d’abord sans crier garde des pays frontaliers comme l’Italie ou la Suisse.

La comparaison des politiques de gestions de la France et de l’Asie Orientale présente un intérêt particulier, car elle prouve qu’il était dans l’absolu parfaitement possible de mener une autre politique. Jean-Pierre Roche met en avant, avec un œil très critique, ces différences : « Constatant les manques de masques, de gels, de pailles, de tests, de respirateurs, de sur-blouses, de lunettes, de personnel, de lits, les autorités responsables de cette situation l’ont empiré en choisissant le confinement général comme pis-aller. Le manque de tests est emblématique de ce naufrage : alors que la Corée du Sud, Hong Kong, Taiwan, Singapour en faisaient la priorité absolue, et alors que l’OMS le recommandé avec insistance, nous avons été dépassés. En un temps record la Corée du Sud, pays très libéral mais très démocratique, a prouvé que des tests systématiques sont possibles, pour autant qu’on en fasse une priorité sanitaire ».

Les pays d’Asie orientale ont en effet menée une politique très différente de celle de la France, en refusant généralement le confinement et menant une politique de tests systématiques. Taïwan, par exemple, mit même des distributeurs automatiques de masques à disposition de sa population, quand la France n’en disposait pas suffisamment pour son personnel médical. Et les résultats furent sans appel : au début du mois de Juin, Taïwan comptait à peine 400 cas confirmés et 7 morts, tandis que malgré une contamination plus importante Hong Kong ne dénombre que 4 morts, Singapour 25 et la Corée du Sud, touchée très tôt et très violemment par le virus, 273. Même la Chine, pays d’origine du virus, ne dénombre que 4 600 morts sur une population d’1,3 milliard d’habitants (ce chiffres est certes contesté, mais quand bien même on le multiplierait par 10 il resterait exceptionnellement bon). En Europe occidentale, la Belgique dénombre 9 600 morts, l’Espagne 27 000, la France 29 000, l’Italie 34 000 et le Royaume-Uni 40 000. Et les États-Unis ne font pas beaucoup mieux (étant entendu que leurs 110 000 morts sont à mettre en relation avec leur population de 330 millions d’habitants).

Analysons honnêtement la situation : si la « méthode asiatique » de tests systématiques fut incontestablement plus efficace que le confinement européen, cette différence ne saurait s’expliquer par une mauvaise appréciation et des erreurs de gestion de la crise par les pays européens. Ces derniers n’avaient simplement pas les moyens de mener la même politique que les pays asiatiques ; la France ne disposait pas de ces masques que Taïwan se permettait de mettre à disposition de sa population dans des distributeurs, ne disposait pas de tests, ne disposait pas de places suffisantes dans les hôpitaux… Cette crise met ainsi la lumière sur un phénomène particulièrement évident depuis désormais une décennie, mais que l’on peine à réaliser en Europe : l’Europe occidentale tend, petit à petit, à devenir une « périphérie » du « monde civilisé » dont le cœur bascule vers l’ouest de l’océan Pacifique. De plus en plus, le sort du monde se décide en Asie. La situation d’une Europe désœuvrée qui suspend les libertés de sa population, son économie et compte ses morts par milliers face à des pays asiatiques qui, tout en n’ayant pas suspendu pas les activités quotidiennes, connaissent une mortalité parfois 100 fois moins élevée, est un parfait symbole de cette dynamique. La seule exception dans cet échec général de l’Occident dans la gestion du coronavirus est la situation allemande, que nous ne traitons volontairement pas ici mais qu’il faut souligner.

Les pays européens conservent bien entendu une grande importance dans le monde contemporain, mais l’analyse des dynamiques générales à l’œuvre, tant au niveau économique qu’aux niveaux politiques et culturels, tend à montrer que leur importance décroît progressivement.  Cette gestion du coronavirus et l’absence criante de matériel médical, que l’on a longtemps considéré comme « impossible dans des pays développés comme les nôtres », est symptomatique d’une situation qui pourrait nous amener à nous questionner à moyen terme, si la dynamique se poursuit, sur la pertinence d’inaugurer le nouveau concept de « pays dé-développés ».

 

Faiblesse et dépendance de l’Occident : un modèle à l’épreuve du réel

Comment expliquer cette situation ? On pourrait proposer de nombreuses hypothèses : la « satellisation politique » des pays européens derrière les États-Unis sur l’échiquier géostratégique, l’auto-neutralisation de la puissance politique et économique des pays européens par l’Union Européenne, la fuite des cerveaux, la destruction progressive du sentiment d’unité nationale, la délégitimation des gouvernements… Nous ne nous intéresserons cependant ici qu’à un élément particulier, qui est la déconnexion de l’économie Occidentale de la réalité, à l’origine de sa dépendance en 1er lieu vis à vis des pays asiatiques. Les pays Occidentaux (Allemagne à part) ont en effet décidé, depuis un certain nombre de décennies, de laisser advenir une désindustrialisation qui représente aujourd’hui, d’après Qiáo Liáng (« 乔良 »), la principale faiblesse de l’Occident.

Ce général de l’armée chinoise à la retraite, auteur du traité stratégique La guerre hors limite (« 超限战 »), a donné une interview en Mai 2020 particulièrement éclairante, où il mit l’accent sur la dépendance économique de l’Occident vis à vis de la Chine : « Au cours du dernier demi-siècle, les États-Unis ont ouvert la voie, puis l’Europe et les pays occidentaux ont suivi, ils se sont engagés dans une voie économique virtuelle et ont progressivement abandonné l’économie réelle. Pour ces pays, cette tendance peut sembler être un avantage que les pays développés obtiennent pour rien, mais en fait, elle a entamé leurs forces vives ».

La question des masques, qui s’est posée durant la crise du coronavirus et qui provoqua la situation ridicule de pays Occidentaux se volant mutuellement des masques commandés en Chine (la Tchéquie subtilisant des masques à destination de l’Italie transitant par son territoire, les États-Unis détournant ceux à destination de la France directement sur les tarmacs des aéroports chinois…), est d’ailleurs abordée par le général chinois : « Lorsque les États-Unis ont besoin d’un grand nombre de masques comme aujourd’hui, le pays tout entier ne dispose même pas d’une chaîne de production complète. Dans de telles circonstances, ils ne peuvent pas réagir à l’épidémie aussi rapidement et avec autant de force que la Chine. Par conséquent, ne sous-estimez pas l’industrie manufacturière bas de gamme, et ne considérez pas l’industrie manufacturière haut de gamme comme le seul objectif du développement manufacturier de la Chine ».

Ce dernier met en évidence un élément indubitable dont l’Occident a (enfin) pris conscience. Si la spécialisation d’après les avantages comparatifs, prônée par Ricardo depuis le XVIIIème siècle et qui inspire la mondialisation que nous connaissons aujourd’hui permet effectivement de réduire les coûts de production, elle rend l’Occident dépendant de l’étranger pour l’accès à un certain nombre de produits qu’il préfère importer plutôt que produire (les coûts de production étant supérieur aux prix d’achats si ces derniers sont produits à l’étranger). Il est cependant bien évident que les pays producteurs des biens nécessaires à la gestion des crises servent d’abord, lorsque ces produits leurs sont aussi nécessaires, leur propre population ; ils mettent ainsi sans la moindre vergogne les pays incapables de produire ces biens et qui fonctionnent uniquement par des importations dans une situation de pénurie telle que celle que nous avons connue. Dans ce contexte, la spécialisation devient un facteur de faiblesse et d’impuissance d’un Occident dépendant.

Un tel raisonnement ne tient en rien à une incroyable découverte des chinois, et il suffisait de revenir à Aristote et son Éthique à Nicomaque pour se rendre compte du problème : les familles, 1ères communautés naturelles, se regroupent pour former des villages du fait de leur incapacité à satisfaire tous leurs besoins, et ces villages se regroupent en cités du fait, une nouvelle fois, de leur incapacité à les satisfaire tous. La raison d’être de la cité, et a fortiori de l’État, est de permettre à une communauté de pouvoir satisfaire tous ses besoins pour atteindre, à cette échelle, l’autosubsistance. Dans ce contexte, que penser d’États qui organisent délibérément, par le processus qu’on appelle communément « mondialisation », leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur ? Que penser d’États qui décident, par un acte de volonté consciente, de renoncer à ce rôle qui fait leur raison d’être, qui renoncent ainsi à leur définition ? Devait nécessairement venir un jour où l’Occident se verrait confronté aux limites de la compatibilité de ses systèmes politique et économiques, et sa faiblesse en puissance inhérente au choix de ne plus rien produire se transformer en une faiblesse en acte. C’est désormais chose faite.

 Qiáo Liáng, qui se préoccupe plus des États-Unis que de l’Europe dans ce contexte de choc entre cet États-continents et le sien, met en évidence la faiblesse de la production industrielle des États-Unis comme leur faiblesse majeur. Si leurs capacités scientifiques et technologiques restent de très haut niveau, le général met en avant le fait que les États-Unis n’ont désormais plus la capacité de produire de façon industrielle les produits qu’ils conçoivent, et qu’ils sont en ce sens dépendants en tout du monde extérieur, et de la Chine en particulier. Il semble en ce sens avancer l’idée que la puissance américaine n’est dorénavant une réalité qu’en temps de paix, et que la 1ère puissance économique du monde ne représenterai pour la Chine plus une menace, ni même un rival sérieux, en cas de crise ou encore de guerre prolongée : « Si le monde est en paix et que tout le monde est en paix avec les autres, il n’y a pas de problème. Les États-Unis impriment des dollars américains pour acheter des produits du monde entier, et le monde entier travaille pour les États-Unis. Tout cela est très bien. Mais en cas d’épidémie ou de guerre, un pays sans industrie manufacturière peut-il être considéré comme un pays puissant ? Même si les États-Unis continuent à disposer de la haute technologie, à avoir des dollars et à avoir des troupes américaines, tous ces éléments ont besoin d’un soutien manufacturier. Sans industrie manufacturière, qui soutient votre haute technologie ? Qui soutient votre dollar ? Qui soutient votre armée américaine ? ».

Ce constat est tout bonnement implacable. La mondialisation initiée par l’Occident s’est finalement retournée contre lui ; en faisant le choix de convertir leurs économies en économies de services, et renonçant ainsi à la production industrielle locale pour minimiser les coûts de production, la majorité des pays Occidentaux –  et les États-Unis en 1er lieu – ont progressivement déconnecté leurs économies de la production de biens matériels et tangibles qui constituent, en définitive, la réalité de l’économie. Alors que la Chine s’est concentrée sur la production réelle, l’Occident s’enfonçait – et s’enfonce toujours – dans un mouvement général de mépris du réel à tous les niveaux. Et c’est finalement « l’esclave chinois » produisant tous les biens consommés par le « maître Occidental » qui, selon la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, est devenu le nouveau maître. Lénine ne nous avait-il pas prévenus ? « Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons. »

 
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Une réaction est-elle possible ?

Cette crise du coronavirus a eu le mérite de mettre en évidence la nécessité du retour à une production industrielle locale. Mais un retour en arrière est-il encore possible ? L’Occident a visiblement eu la naïveté de croire que la Chine accepterait de lui servir d’ouvrier pour toujours ; cette dernière ne pensait qu’à laver l’humiliation qu’elle a connue au cours des 2 derniers siècles et à redevenir « 中国 », « le pays du milieu », « le centre du monde ». Et c’est avec une stratégie pensée de longue date que la Chine a placé ses pions.

On affirme souvent que l’Occident pense la géostratégie comme un jeu d’échec et l’Orient comme un jeu de go. L’objectif du jeu de go est d’encercler l’adversaire, la stratégie reine consistant à le faire en permettant à cet adversaire de se rendre compte qu’il a perdu seulement lorsqu’il est devenu trop tard et qu’il n’a plus aucune possibilité de se libérer. Avons-nous atteint ce stade ? Qiáo Liáng affirme : « Il n’est pas si facile pour les pays développés de se "découpler" de la Chine et de reprendre la fabrication locale. Le dilemme est que si vous voulez reprendre la fabrication, vous devez (…) recevoir un salaire égal pour un travail égal, afin que les produits et la main-d’œuvre soient au même prix que la Chine (sinon les produits ne seront pas plus compétitifs que la fabrication chinoise). Cela équivaut à renoncer à l’hégémonie de la monnaie et au pouvoir de fixer les prix des produits et à descendre du sommet de la chaîne alimentaire ; ou à continuer à être au sommet de la chaîne alimentaire, de sorte que le revenu des employés continue à être plus de 7 fois supérieur à celui de la Chine, ce qui rend le produit non compétitif et les entreprises peu rentables. Si le premier objectif est recherché, les États-Unis et l’Occident devront revenir au niveau des pays ordinaires, en particulier les États-Unis. Si cela n’est pas possible, le retour des industries manufacturières aux États-Unis et en Occident ne sera qu’une vue de l’esprit ».

Alors, quelles possibilités ? Les États-Unis, dans leur guerre avec la Chine, n’ont que peu de possibilités : ou maintenir la dépendance matérielle vis-à-vis de la Chine, ou renoncer à la supériorité du niveau de vie américain et à l’hégémonie du dollar. Qiáo Liáng précise en effet que non seulement la relance de l’industrie américaine nécessiterait, pour que les produits locaux soient compétitifs par rapport aux produits chinois, une réduction considérable des coûts de production, mais aussi une renonciation au rôle du dollar dans le système monétaire mondial : « La canne à sucre n’est pas douce aux deux bouts, et pour fournir des liquidités aux autres, il est nécessaire d’acheter les produits des autres. Mais si vous relancez l’industrie manufacturière, vous n’avez pas besoin d’acheter les produits des autres. De cette façon, il y aura moins de dollars qui circuleront vers les autres pays, et lorsque d’autres pays commercent entre eux, ils devront trouver d’autres devises. Y aura-t-il encore une hégémonie du dollar ? ».

Comment sortir de ce piège mortel tendu par la Chine ? La situation de dépendance matérielle que l’Occident connaît à son égard n’est pas tenable, mais une ré-industrialisation nécessiterait une « abolition du privilège Occidental » que représente son niveau de vie supérieur à tous les autres pays du monde, induit en 1er lieu par sa monnaie. L’Occident aurait-il perdu la partie, et serait-il contraint d’observer son déclin sans pouvoir rien faire ? À part un retrait unilatéral de la mondialisation passant par une abolition de la libre circulation et un retour au protectionnisme, qui présenterait malgré tout de nombreux inconvénients, nous sommes à ce jour bien incapable de proposer d’autres solutions. Un retour à l’isolationnisme des États-Unis, voire son adoption par l’Europe, serait-il même suffisant pour échapper à la menace que fait peser la Chine ? Le Japon fit ce choix, en décidant au XVIIème siècle le Sakoku (« 鎖国 ») ; il se retrouva en 1853 impuissant et contraint à la réouverture par les mêmes puissances Occidentales dont il avait cherché à se préserver 2 siècles plus tôt.

           

Et dans toute cette situation, qu’en est-il de l’Union Européenne ? On affirme généralement que l’union est le meilleur moyen pour les pays européens de continuer à compter sur la scène internationale. Au vu des dynamiques à l’œuvre aujourd’hui, quel rôle est susceptible de jouer l’Union Européenne dans le « monde d’après » ?

 

 




Sources :

YouTube. « Philippe de Villiers -"S’il y avait le Puy-du-Traoré, on aurait pu rouvrir !" », Sud Radio, 10/06/2020. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=E_vkYswmmtg

Le Figaro avec AFP. « Le pessimisme de Houellebecq: "Le monde après le coronavirus sera le même, en un peu pire" » [en ligne]. Le Figaro, 04/05/2020. Disponible sur : https://www.lefigaro.fr/culture/le-pessimisme-de-houellebecq-le-monde-apres-le-coronavirus-sera-le-meme-en-un-peu-pire-20200504

GAYARD, Laurent. « La Chine dominera la monde. Entretien avec le Général Qiao Liang » [en ligne]. Conflits, 07/05/2020. Disponible sur : https://www.revueconflits.com/general-qiao-liang-hegemonie-chine-laurent-gayard/

GAVE, Louis-Vincent. « Chine, États-Unis, UE : qui gagnera la guerre ? » [en ligne]. Conflits, 01/04/2020. Disponible sur : https://www.revueconflits.com/louis-gave-covid-19-chine-europe-euro/

COVID-19 Dashboard by the Center for Systems Science and Engineering (CSSE) at Johns Hopkins University (JHU) [en ligne]. Disponible sur : https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6

WAECHTER, Philippe. « La Nouvelle Géographie De La Production Mondiale » [en ligne]. Forbes, 12/01/2017. Disponible sur : https://www.forbes.fr/business/la-nouvelle-geographie-de-la-production-mondiale/

DELUERMOZ, Charles. « Coronavirus aux États-Unis : 300.000 cas recensés, envolée des décès à New York » [en ligne]. RTL, 05/04/2020. Disponible sur : https://www.rtl.fr/actu/international/coronavirus-aux-etats-unis-300-000-cas-recenses-envolee-des-deces-a-new-york-7800360452

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ALBERTINI, Dominique. « Une commande française de masques détournés vers les États-Unis sur un tarmac chinois » [en ligne]. Libération, 01/04/2020. Disponible sur : https://www.liberation.fr/france/2020/04/01/une-commande-francaise-de-masques-detournee-vers-les-etats-unis-sur-un-tarmac-chinois_1783805