Géopolitique du « Monde d'Après » : Vers la fin de l'Union Européenne ?
« La pandémie de coronavirus étant particulièrement importante, plus de 2 600 milliards d’euros sont injectés pour faire face à une situation déjà difficile. Dispositif relancé avec l’arrivée de l’épidémie qui nous plonge dans une crise économique d’une ampleur inédite et qui peut se traduire par une récession que je crains historique. Depuis mars, il faut prendre également en compte 1 000 milliards d’euros de rachats ainsi qu’un plan de 750 milliards directement liés à la pandémie ». Ce constat posé par Christian Hutin nous montre que si l’Union Européenne a mis du temps à réagir à la crise du coronavirus, elle semble avoir pris la mesure des difficultés à venir.
La crise économique qu’engendrera la crise du coronavirus et le confinement qui s’en est ensuivi dans bon nombre de pays européens nécessitait une réaction de la part de la BCE (Banque Centrale Européenne), qui décida alors de lancer de nouveaux programmes de rachat des dettes nationales des pays membres de la zone euro. Ce genre de mesure est en effet indispensable pour les pays du sud de l’Europe qui ont vu leurs dettes exploser : la dette italienne, déjà considérable, atteindra d’après Philippe Prigent 180 % du PIB, tandis que la France a finalement dépassé au cours de cette crise les 100 % du PIB et atteindra probablement les 120 %, voire plus.
Nous avons cependant vu la dernière fois (voir article « Géopolitique du "Monde d’Après" : l’Union Européenne et la crise du coronavirus ») que certains pays du nord de l’Europe, dont en particulier l’Allemagne, étaient franchement hostile à cette politique de rachat des dettes nationales par la BCE. À plusieurs reprises, des citoyens ou politiciens allemands ont saisi la cour de Karlshrue, équivalent du conseil constitutionnel français, au sujet de la légalité de la politique menée par la BCE. Ils l’accusent en effet de violer les traités européens en finançant de façon indirecte, à travers sa politique de « Quantitative Easing » (rachat massif de titres de dettes aux acteurs financiers, en particuliers les États), certains États de la zone euro en prenant pour prétexte son objectif de maintien de l’inflation autour de 2 %. La pertinence du Quantitative Easing comme régulateur de l’inflation fait de plus débat, et ainsi que l’affirme Philippe Béchade : « Ça fait 25 ans que la banque centrale du Japon a des taux quasi-zéro et monétise au prétexte d’obtenir 2% d’inflation, objectif qui n’a jamais été même approché. On sait bien que ça ne marche pas, que ce n’est pas en faisant du Quantitative Easing qu’on approche de l’objectif d’inflation ». Il ne fait aucun doute qu’en Allemagne, nombreux sont ceux qui souscrivent à cette analyse…
Cette question pose problème de longue date en Allemagne, mais c’est dans ce contexte de crise du coronavirus que la cour de Karlshrue s’est prononcée, en précisant que son arrêt ne concerne pas le nouveau plan de la BCE pour réagir aux conséquences économiques de la crise du coronavirus mais bien les plans précédents. Les conséquences de cet arrêt sont telles qu’il convient de lui consacrer un article entier.
L’arrêt du 5 Mai : L’Allemagne contre le Quantitative Easing
Le 5 Mai 2020 la cour de Karlshrue a rendu un arrêt d’une importance cruciale quant au futur de l’Union Européenne. Cette dernière met en effet en cause le PSPP (« Public Sector asset Purchase Programme »), un « programme d’achat d’actifs du secteur public sur le marché secondaire » qui s’inscrit dans le cadre du Quantitative Easing évoqué plus haut. La cour constitutionnelle allemande avait d’abord sollicité l’avis de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur cette question, et elle-ci avait répondu en 2018 que « le PSPP relève des instruments de politique monétaire permettant d’atteindre l’objectif de stabilité de sorte que la BCE est bien demeurée dans le domaine de compétence attribuée par le traité » (Martucci). Cette décision n’a cependant pas satisfaite la cour de Karlshrue, qui a répondu à la cour de justice de l’Union Européenne avec cet arrêt du 5 Mai. Il convient d’analyser cet arrêt de façon précise, et d’éviter d’y voir ce que l’on veut en affirmant de façon infondé qu’il marque incontestablement la disparition de l’euro, ou qu’à l’inverse il n’aura aucun impact sur la construction européenne.
L’un des points le plus fondamentaux de cet arrêt est d’abord le rejet par la cour de Karlshrue de l’accusation de la part des plaignants de financement illégal par la BCE des pays membres de la zone euro. Cette dernière a en effet refusé d’accuser la BCE de mener cette politique de Quantitative Easing uniquement pour financer les États en acceptant l’argument consistant à affirmer que cette politique se justifie par un objectif de stabilité de l’inflation (et qu’elle n’était en ce sens pas illégale dans son principe, l’objectif de stabilisation de l’inflation autour de 2 % étant l’un des objectifs officiels de la BCE). La cour de Karlshrue rejoint ainsi sur ce point la décision de la Cour de Justice de l’UE, et « reconnaît que les politiques quantitatives sont parfaitement légales, relèvent de la politique monétaire et non pas du financement monétaire des États membres » (Chaney). Cependant, avant d’établir ce constat, la cour de Karlshrue a remis en cause le jugement de la Cour de Justice de l’UE qu’elle jugeait incomplet et insatisfaisant, et a décidé de juger elle-même la conformité de l’action de la BCE aux traités européens. C’est sur cette base que la cour de Karlshrue a finalement rendu cette décision d’absence d’éléments suffisants pour établir le manquement de la BCE aux traités européens.
La cour de Karlshrue a en revanche mit en évidence l’hypothèse que les inconvénients économiques de ce programme (« L’injection massive de liquidités effectuée de 2015 à 2018 affecte "pratiquement tous les citoyens", en tant "qu’actionnaires, propriétaires, épargnants ou détenteurs de polices d’assurance", entraînant "des pertes considérables pour l’épargne privée" » (Laurent)) pouvaient cependant être supérieurs à ses avantages. La cour jugea ainsi, à partir du « principe de proportionnalité », que l’efficacité du Quantitative Easing pouvait, en définitive, ne pas être « rentable » relativement aux autres conséquences économiques qu’engendre cette politique : « L’impact économique très important (soutien aux émissions obligataires des Etats, impact négatif sur les taux d’intérêts et donc les épargnants, soutiens d’entreprises non viables pour les rachats de dette privée, etc.) n’est en rien "proportionnel" aux très maigres résultats obtenus en matière de remontée de l’inflation vers la cible de "un peu en-dessous de 2%" » (Prigent).
Aussi, la cour de Karlshrue donne 3 mois (donc jusqu’au 5 Août) à la BCE pour justifier ses programmes d’achats de titres, et si ces justifications ne sont pas convaincantes, alors elle interdira à la Bundesbank, la banque centrale allemande, de participer à ces opérations de rachat de dettes. Si les conséquences économiques de cet éventuel retrait restent encore très floues (mais serait un signal extrêmement négatif quant à la solidité de la zone euro), les conséquences juridiques induites par cette décision sont d’une importance cruciale.
Les conséquences de l’arrêt du 5 Mai : un coup de tonnerre juridique
Les conséquences juridiques de cet arrêt sont immense puisque par cet arrêt la cour constitutionnelle allemande a jugé irrecevable le jugement de la Cour de Justice de l’UE, et refusé ainsi de lui accorder un statut hiérarchique supérieur au sien (statut qu’elle n’a en effet pas dans les traités mais qu’elle s’était vue accordé de façon quasi-coutumière du fait de la primauté du droit européen sur les droits nationaux). C’est ainsi la prééminence du droit européen sur les droits nationaux qui est remis en cause par la cour de Karlshrue, qui affirma en effet qu’« en limitant son contrôle juridictionnel (en ne tenant pas compte du principe de proportionnalité pour juger l’action de la BCE), la Cour de justice ne garantit pas le respect de la répartition des compétences prévue par le traité FUE (Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne) auquel le peuple allemand avait consenti par un vote du Bundestag » (Martucci). À ce titre, la cour de Karlshrue a estimé qu’il était de son devoir de procéder elle-même à ce contrôle de la BCE au regard de la constitution allemande, afin de garantir les principes constitutionnels de démocratie et de souveraineté populaire.
En effet, la cour de Karlshrue met en avant le fait que « Si elle outrepasse les compétences dévolues par le traité, l’institution de l’Union adopte un acte qui remet en cause le consentement donné par le Parlement allemand. Dans une démocratie représentative comme la République fédérale, une telle remise en cause constitue une violation du droit de vote consacré par la Loi fondamentale » (Martucci). C’est à ce titre que la cour de Karlshrue a appelé les institutions allemandes (Bundestag, Bundesbank, gouvernement…) à respecter la constitution allemande. En effet, si la cour de Karlshrue ne peut contraindre les institutions européennes, elle a en théorie tout pouvoir sur les institutions allemandes ; aussi la cour de Karlshrue « impose seulement au gouvernement, au Parlement et à la banque centrale d’Allemagne de prendre les mesures nécessaires au respect de leur Constitution, sans pouvoir s’abriter derrière les opinions de la "cour de justice" de l’UE » (Prigent). En effet, à moins que ces institutions allemandes n’entrent dans un bras de fer avec la cour de Karlshrue et n’affirment qu’elles soient des institutions européennes avant d’être des institutions allemandes, ces dernières se verront contraintes d’obtempérer et de refuser d’appliquer toute décision européenne qui ne serait pas conforme à la constitution allemande. Ce qui inclus pour la Bundesbank l’impossibilité de participer aux programmes de rachats de dettes décidés par la BCE si cette dernière ne peut justifier du fait que ce programme soit légal (c’est-à-dire ne vise pas un autre objectif que la stabilité de l’inflation autour de 2 %, étant entendu que le financement des États est interdit).
Avec cette décision, la cour de Karlshrue a ainsi rappelé que les prérogatives de l’Union Européennes reposent uniquement sur le principe d’attribution par les États qui la composent. Si la Cour de Justice a répliqué le 8 Mai en rappelant qu’elle "seule compétente pour constater qu’un acte d’une institution de l’Union est contraire au droit de l’Union" et que "tout comme d’autres autorités des États membres, les juridictions nationales sont obligées de garantir le plein effet du droit de l’Union", cette décision fragilise néanmoins l’autorité du droit européen et ouvre une brèche par laquelle pourraient s’engouffrer ultérieurement d’autres pays (pensons en particulier à la Hongrie et la Pologne, régulièrement accusé de ne pas respecter ce droit européen).
Perspectives d’avenir en Europe : éléments de réflexion
Si les conséquences économiques immédiates de cette décision de la cour constitutionnelle allemande sont encore difficiles à concevoir, ses conséquences juridiques sont d’une portée considérable. Il convient cependant de les croiser avec les derniers événements et la politique qu’entend mener la BCE après la crise du coronavirus.
Si cet arrêt ne concernait que le programme PSPP et n’avait rien à voir avec le plan de rachat des dettes nationales de 750 milliards d’euros, le PEPP (« Pandemic Emergency Purchase Programme »), il y a cependant de fortes chances pour que la cour de Karlshrue ait à statuer sous peu sur ce programme. En effet, « le PEPP, est plus "libre" que le PSPP, puisqu’il ne comporte pas de limite précise sur la part d’obligations d’une souche donnée (donc d’un émetteur donné) comme c’était le cas du PSPP, un point sur lequel le tribunal de Karsruhe s’est appuyé pour rejeter l’accusation de financement monétaire. On peut s’attendre à ce que les plaignants mécontents du PSPP soient encore plus mécontents du PEPP, et saisissent à nouveau la Cour » (Chaney). Dans ces conditions, si le PSPP put éviter l’accusation de servir de moyen officieux de financement des États, il n’est absolument pas exclu que la cour de Karlshrue condamne la prochaine fois le plan d’urgence de la BCE comme violant le TFUE et donc l’accuse d’être illégal ; d’autant que la BCE a, dans le cadre du PEPP, acheté pour les mois d’Avril et de Mai la totalité des nouveaux bons du trésors émis par l’Italie, ce qui représente bien évidemment beaucoup plus que ce que les traités lui permettent. Dans ces conditions, il est certain que si la cour de Karlshrue est de nouveau saisie (et il n’y a aucune raison qu’elle ne le soit pas), elle condamnera sans aucun doute l’action de la BCE comme contraire aux traités européens signés par le peuple allemand, et les qualifiera donc d’anti-démocratiques. Peut-être même qu’elle en tiendra compte dans sa réponse aux explications qu’elle a réclamée à la BCE, étant donné qu’il est dans la situation actuelle absolument incontestable que la BCE fasse tourner la planche à billets à plein régime pour financer les États. Et alors, qu’adviendra-t-il ?
Il est de toute façon certain que la BCE n’est pas capable de mener une politique monétaire qui convienne à tous les pays membres de la zone euro, leurs intérêts sont bien trop divergents. Les pays d’Europe du sud, comme la France ou l’Italie, ont besoin de cette politique de Quantitative Easing menée par la BCE que les pays d’Europe du nord comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Finlande rejettent. Ces 2 volontés antinomiques ne sont pas conciliables ; l’Union Européenne ou les gouvernements parviendront peut-être à gagner du temps, peut-être même beaucoup, mais ils ne feront pas disparaître ce problème fondamental d’opposition des intérêts des pays du nord et du sud de l’Europe quant à la politique monétaire à mener, à moins bien sûr de faire de l’Union Européenne un unique État – solution qui ne serait acceptée par aucun pays dans les conditions actuelles. « L’Allemagne ne cédera pas et veut que la BCE devienne allemande dans sa logique et son fonctionnement. Or la France n’a pas la possibilité d’accepter la fin de la monétisation du QE sous sa forme actuelle. Et l’Italie ne survivra pas non plus dans l’euro sans le QE » (Prigent).
Quelles sont les perspectives d’évolution ? On peut tout à fait imaginer que les tensions entre l’Allemagne et la BCE se cristalliseront sur le PEPP, intolérable pour les allemands, et que la cour de Karlshrue imposera cette fois le retrait de la Bundebank de l’opération (si elle ne le fait pas dès la réponse qu’elle donnera à la BCE une fois que cette dernière aura tenté de se justifier comme l’a demandé la cour de Karlshrue). Et ensuite ? Philippe Prigent propose une trajectoire : « Lorsque la Bundesbank (...) se sera retirée des opérations de rachats de titres de la BCE, elle commencera, comme le lui demande la Cour, à remettre sur les marchés les centaines de milliards de Bunds acquis dans le cadre du QE. Ces reventes devraient faire remonter les taux de marché en Allemagne, effet ardemment souhaité par les épargnants mais qui sera contrebattu par la fuite de capitaux en provenance d’Italie et de France pour acheter justement de la dette allemande. L’Allemagne elle-même sera donc poussée à mettre en place un contrôle des capitaux, antichambre de sa propre sortie de l’union monétaire. En résumé, soit l’Allemagne sort de l’euro, soit l’Allemagne reste car elle aura eu gain de cause avec la BCE. Mais dans ce cas la France et l’Italie doivent elles sortir pour reprendre le contrôle de leur banque centrale afin de rendre leur dette soutenable Cette opposition frontale est irréductible ».
Mais gardons en tête que la politique européenne reste pleine de mystères et de rebondissements ; même si l’Allemagne obtenait gain de cause, l’hypothèse d’une France restant dans une zone euro contrôlée par une BCE entièrement germanisée est-elle si improbable, compte tenu du comportement de la France ces dernières années (pensons au traité d’Aix-la Chapelle de 2019) ? De même, la politique allemande est aujourd’hui très peu lisible ; le gouvernement allemand est contrôlé par Angela Merkel pour encore quelques mois, et qui fait bien évidemment tout pour conserver une image de bonne européiste avant son départ ; c’est la principale hypothèse expliquant sa participation à l’« Initiative franco-allemande pour la relance européenne face à la crise du Coronavirus », dont elle sait pertinemment qu’il sera rejeté (l’Autriche, les Pays-Bas et le Danemark l’ont immédiatement critiqué). La principale question est aujourd’hui celle de savoir qui lui succèdera à la tête de l’exécutif allemand. Les récentes déboires du proche collaborateur d’Angela Merkel et ministre des finances de la Hesse Thomas Schaeffer révèlent-ils que la politique allemande soit soumise à des phénomènes plus complexes encore que ce que l’on imagine ? Le plan de sortie furtive de l’Allemagne de la zone euro, consistant en une réforme du système Target par l’obligation de nantissement des soldes Target (voir la vidéo de Trouble Fait « L’euro va-t-il tuer l’Allemagne ? (Avant que ce ne soit l’inverse?) »), fait son chemin depuis de nombreuses années ; le président de la Bundesbank Jens Weidmann avait déjà plaidé en la faveur de ce système auprès de l’ancien président de la BCE Mario Draghi en 2012. Le dernier arrêt de la cour de Karlshrue et l’évolution de la politique de la BCE après la crise du coronavirus semblent de nature à rendre de plus en plus concrète l’hypothèse de la destruction de la zone euro par l’Allemagne – à moins que l’Italie ne décide de prendre les devants. Dans une telle conjoncture, nul doute que le Président Macron a tout prévu pour que la France évite le pire.
Si explosion de l’euro il y a, et après un moment de flottement durant lequel la France se verrait considérablement appauvrie, le retour du franc représenterait incontestablement à moyen terme une véritable bouffée d’oxygène pour la France (il conviendra de revenir sur cette question ultérieurement). Cependant, entre la crise du coronavirus et l’explosion de l’euro, nous risquons de connaître une crise économique dont nous peinons tous à imaginer la gravité. Si l’Allemagne bloque toute politique de rachat des dettes par la BCE, la situation française sera incontestablement catastrophique ; mais même si la BCE peut poursuivre sa politique, Charles Gave met en évidence l’hypothèse d’une crise très violente. Il affirme en effet que le rachat de la dette des États par la BCE passe nécessairement par l’augmentation de la masse monétaire, se traduisant à la fois par une hausse de l’inflation en Europe et une baisse de la valeur du taux de change. Il affirme ainsi : « Je crois que la 3ème vague (inflationniste), celle qui vient de commencer, se portera sur le cour de change. C’est-à-dire que nos monnaies vont s’écrouler. Toutes les monnaies en Asie vont monter comme des fusées, et toutes nos monnaies vont s’écrouler. Parce que si vous doublez la quantité de monnaies européennes et que vous ne doublez pas la quantité de monnaies asiatiques, le taux de change va s’ajuster, il ne peut pas en être autrement » ; ce qui nous fait revenir au point de départ de notre réflexion sur le « Monde d’Après » : le basculement du centre du monde vers l’Orient (voir « Géopolitique du "Monde d’Après" : l’Asie orientale, nouveau centre du monde ? »).
Conclusion
Tout ça à cause du coronavirus, tout ça à cause de la Chine ? Comme nous l’avons vu, cet argument (qui risque de se répandre bien vite si les problèmes se multiplient) n’est pas pertinent. Nous avons vu que cette situation résulte de dynamiques qui étaient déjà présentes avant la crise du coronavirus qui n’aura fait que les accélérer. Qiáo Liáng (« 乔良 ») disait, avec pertinence, la même chose : « Pour tout changement, la cause externe est le facteur déclenchant, et la cause interne est le facteur décisif. (…) Pourquoi l’épidémie qui se produit aujourd’hui embarrasse autant l’ensemble du monde occidental ? L’essentiel n’est pas de savoir à quel point l’épidémie est terrible, mais de réaliser que les États-Unis et l’Occident ont tous deux connu leur heure de gloire, et qu’ils sont confrontés aujourd’hui à cette épidémie alors qu’ils déclinent. L’épidémie arrive à ce moment, et même si ce n’est qu’une brindille, elle peut faire briser le dos du chameau qui a déjà du mal à marcher. C’est la raison la plus profonde. »
L’effondrement de l’Occident, et de l’Europe en particulier, n’aura pas eu lieu – s’il a lieu – à cause d’un virus, à cause des chinois ou à cause d’une chauve-souris ou d’un pangolin. Les racines de cet effondrement seront bien plus profondes. Nous avons évoqué, au cour de ces 3 articles, des causes conjoncturelles qui étaient déjà à l’oeuvre depuis quelques décennies, à savoir l’influence de la mondialisation et la dépendance économique de l’Occident envers l’Asie, puis les dysfonctionnements de l’euro. Mais ces éléments ne sont que des explications conjoncturelles témoignant d’un déclin matériel, et faisant abstraction de toutes les causes structurelles – qui sont en 1er lieu philosophiques et morales – de ce déclin général. Qiáo Liáng en est, lui aussi, parfaitement conscient : « Les Occidentaux devraient réfléchir à de nombreux aspects de cette séquence, y compris à leur système médical et à leur système de valeurs. Lorsqu’ils ont été confrontés à l’épidémie, ces systèmes étaient presque impuissants et sans défense. Quelle en est la raison ? Si vous n’arrivez pas à le comprendre, pouvez-vous résoudre le problème en rejetant simplement la responsabilité sur la Chine ? ».
Si nous voulons redresser la situation de notre pays, il ne faudra pas tomber dans le piège et chercher d’autres coupables que nous-même ; chercher un bouc émissaire ne fera que détourner le problème et ne règlera rien. Il nous faudra porter un regard lucide sur les dynamiques qui auront conduites l’Occident dans la situation où il est actuellement, et orienter les dynamiques du présent dans le sens de notre résurrection, que ce « notre » représente l’Occident tout entier, uniquement l’Europe, ou même la France si personne d’autre ne semble disposé à changer de trajectoire. Mais le choix des français de faire de leur 1er combat post-coronavirus celui de l’importation des guerres raciales américaines dans notre pays ne semble pas aller dans le bon sens.
Sources :
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