Histoire des religions (1/3)

 
Sculpture ancienne, religieuse dans un temple à Ubud en Indonésie - Getty Images

Sculpture ancienne, religieuse dans un temple à Ubud en Indonésie - Getty Images

 

La religion en tant qu’adoration d’un ensemble de divinités, d’êtres sacrés et l’application de rites codifiés a accompagné l’humanité dans son développement et sa construction civilisationnelle. De l’animisme des premiers hommes à l’expansion mondiale du monothéisme abrahamique, le fait religieux est constitutif de l’humanité tout entière à tel point que ces croyances ont conduit à des répressions, souvent au nom du blasphème, ou guerres. Comprendre l’évolution de ces cultes à travers l’Histoire permet de mieux appréhender les différentes nations et civilisations de la planète Terre ; en d’autres termes, mieux décrypter la nature humaine.

De l’animisme primitif aux premiers cultes codifiés

Les premières croyances n’ont pour sources que de rares peintures rupestres et des corps enterrés de façon rituelle par les premiers hommes modernes (Homo sapiens). Conscient de la fatalité de sa propre mort, à la différence de toutes les autres espèces animales, l’Homme a sans doute cherché dans les rituels et mythes une réponse à l’angoissante méconnaissance de la Mort. Par ailleurs, la prédominance de récits traitant sur la vie après le trépas, tant en Égypte qu’en Grèce ou au sein des civilisations sumériennes et asiatiques, tend à traduire cette préoccupation universelle.

Les peintures rupestres et les rites funéraires préhistoriques traduisent une importance de la nature animale environnante et de la propriété privée, les morts étant inhumés avec leurs objets de valeur ou vêtements caractéristiques. Sans certitude, il est possible de penser que les différentes tribus humaines vouaient un culte à leur environnement tant animal que météorologique. Ces croyances se rapprochent de nombreuses tribus animistes présentes encore aujourd’hui sur le continent africain ou américain.

Peu à peu, les forces naturelles prennent une figure humaine à mesure que les premiers mythes cosmogoniques voient le jour. Si les divinités ont donné vie au Monde, ils ont aussi créé l’Homme comme espèce supérieure du fait de son intelligence unique. Tout logiquement, comme c’est le cas en Égypte prédynastique, les premiers dieux apparaissent sous forme d’animaux puis d’animaux anthropomorphes à l’image d’Horus, le souverain divin tutélaire de la ville de Nekhen (Hiérakonpolis en grec ancien) : un homme à tête de faucon.

 
Admiratifs des exploits de la nature, les premiers Hommes commencèrent à vouer un culte envers les animaux comme le faucon à Nekhen (Hiérakonpolis)

Admiratifs des exploits de la nature, les premiers Hommes commencèrent à vouer un culte envers les animaux comme le faucon à Nekhen (Hiérakonpolis)

 

Le Croissant fertile, berceau des premières religions humaines

Historiquement, deux civilisations se démarquent des autres du fait de leur religiosité développée : l’Égypte et la Mésopotamie. Dans ces terres fertiles, baignées d’une part par le Nil et d’autre part par les Tigre et Euphrate, la richesse agricole amena à un développement humain important et l’apparition de rites et cultes bien plus avancées qu’ailleurs dans le monde connu.

Comme exposé précédemment, les animaux vénérés pour leurs différentes qualités prennent de plus en plus des aspects humains. Pour autant, l’étude d’une des premières cités égyptiennes – Nekhen – démontre le rôle politique, social et diplomatique des divinités. Ainsi, l’annexion ou l’assimilation des tribus environnantes conduisent à l’apport de nouveaux dieux et rites. Ces importations ne sont pas forcément involontaires, la tribu conquérante décidant de vénérer les divinités des vaincus dans une optique de pacification sociale. Le triomphe d’une cité s’apparente également à la puissance d’une divinité tutélaire et vis-versa. Les événements historiques, tels que les guerres ou les famines sont rapidement transformés en mythes à une époque où l’Histoire au sens propre du terme n’existe pas encore. Ainsi, la lutte à mort entre Horus et son oncle Seth pour la domination de l’Égypte unifiée renvoie aux tensions et guerres qui animèrent les villes de Nekhen et Nebout (Ombos) où étaient respectivement vénérés ces dieux comme figures patronales.

En Égypte comme en Mésopotamie (à travers les Sumériens), la fascination envers la Mort prend une tournure toute particulière pour ces peuples dont la vie est réglée par les cycles de crues et de décrues. Les premiers Égyptiens en viennent à créer toute une mythologie entourant la vie après la mort et à considérer cette dernière comme une étape plutôt qu’une fin définitive. Nombre de religions reprendront ou développeront d’elles-mêmes cette conception : la réincarnation et l’immortalité de l’âme (voire du corps).

 
La Mort occupe une place particulière dans toutes les religions. Les Égyptiens y vouèrent un culte très complexe via des textes riches : les textes des Pyramides.

La Mort occupe une place particulière dans toutes les religions. Les Égyptiens y vouèrent un culte très complexe via des textes riches : les textes des Pyramides.

 

L’Égypte pharaonique, berceau des religions modernes

C’est en Égypte que la religion va atteindre une nouvelle dimension en même temps que se construisent l’État et l’administration centrale. Contrairement aux idées reçues, le pays, même unifié, n’est pas une structure centralisée ou unitaire mais s’apparente plutôt à une confédération de cités-États réparties le long du Nil sinueux. Ainsi, toute l’histoire ancienne de l’Égypte sera animée par les luttes d’influence et les volontés de suprématie des différentes villes qui la composaient.

Cependant, à l’aube du IIIème millénaire avant l’ère chrétienne, les anciennes chefferies et confédérations se retrouvent unifiées par le Royaume de Haute-Égypte et son monarque mythique Narmer (Ménès pour les Grecs). Les différents cultes locaux sont tolérés et même protégés par Pharaon. Depuis la nouvelle capitale royale de Ineb-Hedj (Memphis), les souverains vont développer un culte national sans commune mesure avec les pratiques du passé.

Les temples, palais, tombeaux, mastabas et grandes pyramides vont étroitement associer le pouvoir politique aux croyances religieuses à tel point que le chef d’État lui-même sera considéré comme un dieu vivant, fils d’Horus (les premiers rois étant originaires de Nekhen) puis de Râ, le dieu solaire à tête de faucon et créateur de l’Univers, originaire d’Iounou (Héliopolis).

La religion ancienne égyptienne va perdurer, malgré les troubles sociaux et politiques nombreux, jusqu’à son interdiction par les différents empereurs romains au cours des IVème et Vème siècles. Elle sera caractérisée par une hégémonie du culte des Morts, une fascination pour l’Au-Delà et une prédominance variable de certains dieux sur d’autres parallèlement à la domination de leurs villes d’origine sur l’Égypte.

Un événement singulier va toutefois profondément marquer l’histoire religieuse égyptienne : l’hérésie du roi Akhénaton. Monarque du Nouvel Empire (1580-1077 avant l’ère chrétienne), il va tenter d’imposer le monothéisme, soit l’adoration d’un dieu unique, à toute la population nationale. Cette divinité, Aton (le disque solaire sous sa forme la plus pure) est pourtant proche des dieux royaux mis en avant par les différents rois de cette période comme Râ et son équivalent de Haute-Égypte, Amon. Malgré cela, l’imposition étatique conduit à un rejet dans une société décentralisée et d’apparence confédérale. Accusé d’hérésie par ses successeurs polythéistes et les différents clergés locaux, Akhénaton va profondément inspirer les fondements de la première religion monothéiste d’importance : le judaïsme.

 
Les Grandes Pyramides de Gizeh. Ce sont les Égyptiens qui vont les premiers faire entrer la religion dans le cadre étatique et national.

Les Grandes Pyramides de Gizeh. Ce sont les Égyptiens qui vont les premiers faire entrer la religion dans le cadre étatique et national.

 

L’exception spirituelle asiatique

L’Asie voit se développer plus tardivement différentes spiritualités associées à la philosophie comme le bouddhisme ou l’hindouisme au sein du berceau civilisationnel indien. Contrairement à leurs équivalents égyptiens et mésopotamiens, les religions asiatiques se veulent des doctrines philosophiques devant optimiser l’épanouissement du corps et de l’esprit. Cependant, comme pour les civilisations du Proche et du Moyen-Orient, la chose religieuse est étroitement associée au pouvoir politique, le lien entre contrôle social et pouvoir spirituel n’étant pas étranger.

Peut-on parler de théocraties ? Très rarement. Dans les sociétés primitives ou traditionnelles, le « clergé » est séparé de l’autorité politique et militaire ; c’est la « répartition tripartite indo-européenne ». Même quand le chef de l’État devient celui du culte, les principaux détenteurs du pouvoir spirituel sont avant tout les prêtres, que ce soit en Égypte ou en Inde.

 
Les philosophies religieuses asiatiques sont difficilement comparables aux religions occidentales. Même si elles ont des mécanismes similaires, leurs approches spirituelles sont complètement différentes.

Les philosophies religieuses asiatiques sont difficilement comparables aux religions occidentales. Même si elles ont des mécanismes similaires, leurs approches spirituelles sont complètement différentes.

 


Sources :

Traité d’histoire des religions, Mircea Eliade (1949)

Mythes et Épopée I. II. & III., Georges Dumézil (1995)

The Bible Unearthed, Israël Finkelstein & Neil Asher Silberman (2001)

Curieuses histoires de la pensée. Quand l’homme inventait des religions, Jean Baudet (2011)

Les Religions. Des origines au IIIe millénaire, Collectif (2017)