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Histoire militaire de la France (2/3)

Batailles de Bouvines, gagnées par Philippe Auguste

La France est le pays le plus belliqueux et victorieux de l’histoire humaine. Au terme d’innombrables guerres et batailles, la renommée de ses armées s’est faite mondiale. Mais au-delà de tels exploits, on oublie souvent que c’est la guerre qui a forgé notre pays ; la guerre contre l’Europe, contre l’islam, contre la décentralisation du pouvoir. Considérer la France en tant que nation militaire, c’est embrasser pleinement une histoire aujourd’hui trop peu mise en avant – à dessein.

Les rois très chrétiens contre l’islam

La France, depuis le baptême de Clovis, est considérée par l’Église catholique romaine comme sa « fille aînée ». Plus puissant royaume d’Europe occidentale, il est normal qu’elle se retrouve en première ligne des conflits religieux. Face aux invasions musulmanes, les Francs font honneur à ce titre. La bataille de Poitiers (732 EC) en est la synthèse. Menacés par des peuples venus d’Afrique du nord, les royaumes germaniques du sud-ouest français en demandent à l’aide des rois francs mérovingiens. Ceux-ci voient déjà se renforcer l’influence de la noblesse sur la Couronne en la personne de Charles Martel, maire du palais (équivalent médiéval de Premier ministre) et duc des Francs (plus haute distinction nobiliaire du royaume). De facto à la tête de la monarchie depuis des années, il fait réunir une vaste armée confédérée franque, aquitaine et gasconne pour repousser les troupes arabes. Ce sera un succès militaire bien sûr, mais aussi politique. Sur le champ de bataille, le fondateur de la future dynastie royale carolingienne démontre la supériorité militaire de l’armée franque tout en se posant ainsi comme protecteur de fiefs jusqu’ici hors de portée (Aquitaine, Gascogne). Dès lors, les chefs francs (rois ou maires du palais) mettront un point d’honneur à défendre les intérêts de la chrétienté, que ce soit face au Califat omeyyade ou aux tribus païennes d’Europe centrale.

Autre exemple faisant de la France un défenseur inconditionnel de la Foi catholique, les Croisades. Certes, peu de grands seigneurs prirent part à la Première qui concernant essentiellement des puînés en manque de titres et de gloire. Mais la participation de Louis VII de France et son fils Philippe II Auguste aux Deuxième et Troisième éditions concourra à renforcer le prestige tant militaire que religieux du Royaume. Sans oublier Louis IX dit « Saint-Louis » qui trouva la mort en Tunisie au cours de la Huitième expédition. L’art militaire franc, pourtant peu adapté aux conditions climatiques et géographiques de l’Orient fera la renommée des troupes vis-à-vis des populations proche-orientales.

Les conflits face à l’islam ont forgé une conviction française d’incarner la défense de la Foi catholique sur Terre. Mais rapidement, la géopolitique européenne transforma les confrontations en alliances pragmatiques comme celle de la France de François Ier avec l’Empire ottoman de Soliman le Magnifique dans le but de contrer l’empereur Charles Quint. Louis XIV fera de même alors que les troupes ottomanes sont aux portes de Vienne. Cette « union sacrilège de la fleur de lys et du croissant » durera jusqu’en 1856 lorsque Napoléon III et Victoria du Royaume-Uni trouvèrent en Constantinople un allié contre Saint-Pétersbourg.

L’école militaire française : seule contre toute l’Europe

Au Moyen-Âge, la France est le plus puissant, prestigieux et influent royaume d’Europe. Paris est le centre du monde catholique, d’autant plus après le règne et la canonisation de Louis IX. Pourtant, beaucoup lui conteste ses richesses. Pendant plus de quatre siècles, la France royale est confrontée à une lutte à mort pour sa survie. Malgré son triomphe contre les Musulmans à Poitiers et les Vikings à Paris, le pouvoir central est concurrencé dans le cadre de la féodalité. En 1066, un certain Guillaume de Normandie accède au trône anglais. Sa victoire décisive à Hastings consacre son avènement à la tête des îles par-delà la Manche. Jusqu’en 1485, les Normands vont administrer et forger le Royaume d’Angleterre ainsi qu’une rivalité séculaire avec la Couronne française. Usant du mariage, de la guerre et des alliances de revers, les dynasties royales anglo-normandes vont tenter de s’emparer du prestigieux trône de Paris.

Seule contre tous, régulièrement confrontée à des coalitions continentales contre elle, la France va briller et innover. À Bouvines (1214), les troupes de Philippe II Auguste vont infliger une lourde défaite aux forces alliées de l’empereur romain germanique Otton IV. Là, naît le sentiment national français – sur un champ de bataille, autour du Roi et de la Foi (la victoire ayant lieu un dimanche). Peu de temps après, Londres tombe aux mains du futur Louis VIII, couronné roi d’Angleterre. L’histoire aurait pu s’arrêter sur l’union royale des deux pays, mais la méfiance des barons anglais envers le pouvoir centralisateur français va ruiner les espoirs de paix à long terme. S’en suivront des conflits longs et meurtriers où la France dominera jusqu’à une triste année 1415. Deux siècles après Bouvines, la chevalerie française – considérée comme la meilleure du monde – est massacrée par les archers longs anglais. Mais elle reviendra plus forte et déterminée à Patay (1429) où elle vengera le massacre d’Azincourt. Plus encore, la fin de la guerre de Cent-Ans marque un événement crucial : l’innovation militaire française. Désormais, Paris impose ses visions stratégiques et doctrinales avec la première introduction opérationnelle et décisive de l’artillerie lors de la bataille de Castillon (1453). De même, l’instauration d’une armée permanente et professionnelle par Charles VII marque l’avènement d’une nouvelle ère militaire mondiale.

Après l’Angleterre, vaincue et devant renoncée à ses prétentions en France, la monarchie se tourne vers la Bourgogne et l’Italie. La première avait trahi la Couronne, préférant s’allier aux Anglais, la seconde par revendications dynastiques. La mort sans héritier mâle du duc Charles le Téméraire permet le retour pacifique du duché bourguignon au domaine royal. Mais sa fille Marie, femme de l’empereur Maximilien de Habsbourg empêche le retour des Pays-Bas. C’est le début d’une rivalité franco-autrichienne qui durera trois siècles. Cet affrontement aura des conséquences profondes sur la diplomatie royale qui se voudra pragmatique et anticonformiste, allant jusqu’à s’allier aux Ottomans musulmans comme aux nations protestantes afin d’éviter tout encerclement du pays par les possessions impériales. C’est également à cause de ce choc des titans que l’idée de « frontières naturelles » voit le jour. En Italie, les Français triomphent initialement avant d’être confronté au mal du vainqueur : le manque de remise en question. Dépassé par les avancées doctrinales mises en application sur le sol italien, les troupes françaises perdent jusqu’à faire renoncer les rois. Malgré tout, ces expéditions permettront d’importer la Renaissance et de faire briller les arts français en Europe et dans le monde.

La guerre, creuset du premier État-nation moderne

La guerre extérieure a assurément forgé la France que nous connaissons. Face aux Anglais et Européens, la Couronne a su créer un lien indéfectible entre ses membres : un sentiment national qui aurait rendu impossible l’épopée de Jeanne d’Arc par exemple. Mais il ne faut pas non plus oublier la guerre intérieure comme moyen d’affirmer le pouvoir central dans une France féodale. Si le mariage et l’achat de terres était préféré à la violence, c’est cette dernière qui permit de soumettre les vassaux trop véhéments. À commencer par la Normandie…

En cas de félonie, c’est-à-dire en cas de rébellion d’un vassal contre son suzerain, ce dernier a liberté d’action pour récupérer son fief. C’est ce que fît Philippe II Auguste contre les rois Richard Ier et Jean Sans Terres, également ducs de Normandie. De plus, il ne faut pas sous-estimer l’impact psychologique des contre-félonies de Louis VI le Gros en son domaine royal afin de réaffirmer l’autorité monarchique directe. Face à l’hérésie cathare sévissant dans le comté de Toulouse, le roi de France en profita pour annexer ces terres languedociennes et soumettre des seigneurs bien trop autonomes. Les guerres contre la Bourgogne et la Bretagne sont encore des exemples de soumission par la force armée, seul moyen à disposition des monarques pour ramener à eux des terres bien trop ambitieuses.

Finalement, ces défaites n’ont fait que renforcer la puissance de l’État central français sur des provinces ramenées à leur condition inférieure. Couplée aux guerres extérieures, l’intégration des peuples se fît d’autant plus vite que la seule institution compétente en bien des domaines était celle de la Couronne, s’inscrivant dans le rôle juridique de Saint-Louis comme seule et unique cour suprême du Royaume. Ainsi, il est possible d’affirmer que c’est par la guerre que la France accouche du premier État-nation moderne de l’histoire – archétype qui deviendra la norme à partir des traités de Westphalie (1648).

Conclusion

Au cours du Moyen-Âge, la France s’est construite en tant que nation, État et armée. Cette construction aurait été rendu impossible sans les affrontements réguliers et incessants avec ses voisins européens comme les lointains Hérétiques musulmans. Autour du Roi, de la Foi catholique et du sang de la guerre, la France a accouché du premier modèle d’État-nation moderne. Au sortir de la Renaissance, le pays est fort d’une tradition militaire puissante et influente. Mais les défis des siècles à venir vont mettre à rude épreuve les leçons du passé…