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Histoire militaire de la France (3/3)

Bataille de Fleurus, victoire française du général Jourdan, le 26 juin 1794, contre l'armée autrichienne menée par les princes de Cobourg et d'Orange. A gauche de Jourdan, Saint-Just en mission, à droite Marceau, Kléber et Championnet - Jean-Baptiste Mauzaisse, 1837

La France est le pays le plus belliqueux et victorieux de l’histoire humaine. Au terme d’innombrables guerres et batailles, la renommée de ses armées s’est faite mondiale. Mais au-delà de tels exploits, on oublie souvent que c’est la guerre qui a forgé notre pays ; la guerre contre l’Europe, contre l’islam, contre la décentralisation du pouvoir. Considérer la France en tant que nation militaire, c’est embrasser pleinement une histoire aujourd’hui trop peu mise en avant – à dessein.

L’hégémonie française en Europe

C’est au début du XVIIème siècle chrétien que le Royaume de France acquiert un rang hégémonique en Europe. Malgré les revers militaires essuyés en Italie ainsi que la guerre civile née de la Réforme protestante, il demeure une grande puissance continentale avec laquelle il faut toujours composer. Sa démographie, ses révolutions doctrinaires et le développement de son administration centrale sont autant d’armes qui vont permettre à la France de s’imposer sur l’Europe pendant deux siècles. En 1600, on compte 20 millions de Français pour 112 millions d’Européens. À elle seule, la nation française et ses membres représentent autant que toute l’Europe orientale. Elle n’est égalée en nombre que par l’Allemagne et l’Italie qui sont alors des territoires divisés en une multitude d’États souverains aux intérêts divergents. Cette masse démographique est un facteur déterminant du règne français sur l’Europe continentale car elle permet un renouvellement militaire plus important qu’ailleurs. Seule, la France dispose d’autant de soldats qu’une demi-douzaine de ses adversaires. Si la mémoire collective a conservé l’image des levées en masse de la Révolution – la République écrasant l’Europe par le nombre de ses hommes – il convient également de citer les guerres de Louis XIV et son successeur Louis XV. Ainsi, au cours de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714) où la France affronte quasiment seule toute l’Europe coalisée, le Roi-Soleil dispose à lui seul d’autant de soldats que tous ses adversaires réunis (dont l’Autriche, l’Angleterre, le Saint-Empire et la Prusse). Un demi-siècle plus tard, les armées françaises égalent seules en nombre leurs adverses anglais, prussiens et portugais au cours de la guerre de Sept-Ans. La quantité, voilà l’une des principales qualités de l’Armée française d’Ancien Régime, et ce jusqu’à la chute de l’Empire napoléonien.

La France est un pays riche de ses récoltes, de son patrimoine immobilier mais aussi de sa pensée militaire. Alors que peu de choses la démarque des autres armées européennes à la fin de la Renaissance, l’adoption massive de l’organisation régimentaire, du mousquet ou de la baïonnette (invention française) va permettre au pays de disposer de la première armée mondiale. À Rocroi (1643), la France confirme son avantage technologique en décimant les piquiers espagnols, consacrant ainsi le règne de la poudre à canon sur les champs de bataille européens. Évolution logique, de nouvelles doctrines font leur apparition dont celle des campagnes-éclair en territoire ennemi suivis de sièges appuyés par l’artillerie lourde. Rapidement, le royaume se débarrasse de la menace espagnole puis se tourne contre les prétentions autrichiennes. Pendant un siècle, Paris et Vienne vont se livrer un ensemble de conflits destinés à fixer les frontières naturelles de la France. Sous Louis XIV, l’armée française devient la meilleure du monde et le restera au moins jusqu’aux années 1860. Grâce au travail herculéen du secrétaire d’État Louvois, le pays devient comme invincible. D’une grande qualité militaire, les armées du Roi-Soleil triomphent et permettent un agrandissement certain du territoire national : Franche-Comté, Roussillon, Alsace… Au plus fort de la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), la France dispose de 357 000 hommes uniformisés, très bien équipés et entraînés.

Sur le champ de bataille, la France emporte nombre de succès militaires. Mais sous l’impulsion de Richelieu, le pays brille également sur mers où la Marine royale tient tête à ses concurrentes britanniques et espagnoles. Le développement de la Nouvelle-France, des compagnies marchandes coloniales et la politique mercantile de Colbert jouent un rôle fondamental dans la constitution de la première véritable marine de guerre française. Pourtant, Paris ne réussira jamais à devenir une grande puissance maritime pour nombre de facteurs que nous ne détaillerons pas ici.

La guerre des Trois-Nations

Louis XIV meurt le 1er septembre 1715 à l’âge de 76 ans. Après une longue et éprouvante guerre de Succession d’Espagne qui vît toute l’Europe coalisée contre la France, les forces armées françaises sont considérées comme les meilleures du monde. La marine royale est puissante bien que modeste en comparaison aux flottes britanniques. Louis XV, son arrière-petit-fils et successeur, va ainsi hériter d’un potentiel fantastique ainsi que d’une position hégémonique en Europe. Mais toute domination nationale tend à être concurrencée – la France ne fit pas exception. Le fait que, durant la Succession espagnole, toute l’Europe se soit coalisée contre la France n’est pas un événement anodin. Il marque le début d’une longue période pluriséculaire de guerres internationales entre la France et ses concurrents dont, principalement, la Prusse (devenue Allemagne en 1871) et l’Angleterre. Cette succession de conflits tripartites, nous pouvons aisément la qualifier de Guerre des Trois-Nations.

D’abord en 1740, la France et la Prusse font cause commune au cours de la guerre de Succession d’Autriche contre le Royaume-Uni. Le triomphe français à Fontenoy (1745) confirme le rang des armées du roi Louis XV mais la diplomatie de ce dernier – refusant de provoquer Londres en s’emparant enfin des Pays-Bas – renforce la jeune monarchie allemande. La conséquence d’une telle grâce royale sera l’humiliante défaite française à l’issue de la guerre de Sept-Ans (1756-1763) où Berlin et Londres vont faire front commun contre Paris, Vienne et Saint-Pétersbourg. La France perd ses colonies américaines durement gagnées par Colbert et le Roi-Soleil tandis que les Britanniques prennent enfin pleinement possession des mers et océans.

Pour venger cet affront, Louis XVI n’hésitera pas longtemps à intervenir dans la guerre d’indépendance américaine, quitte à conduire le pays vers la banqueroute. Sur mers comme sur terre, l’Angleterre est vaincue par la puissance militaire française (Yorktown, Chesapeake…). Confrontés à la Révolution puis à l’Empire, les puissances européennes n’auront ensuite d’autres choix que de subir défaites sur défaites – les batailles navales d’Aboukir et de Trafalgar mises à part. Face aux menaces monarchiques, la République mobilise jusqu’à 800 000 hommes à la fin de l’année 1793. Lors de la bataille de Fleurus (1794), les armées républicaines vont accomplir la volonté millénaire des rois : annexer la rive occidentale du Rhin. Le nombre s’impose dès lors comme un facteur déterminant qui propulse l’Europe dans l’ère des guerres totales et massives. La purge aristocratique révolutionnaire permet l’émergence d’une nouvelle classe méritocratique d’officiers brillants qui constitueront l’échine de la Grande Armée impériale et napoléonienne. Cinq coalitions internationales vont être défaites entre 1792 et 1812 par une France conquérante et impériale lancée dans une lutte à mort contre le Royaume-Uni qui lui conteste l’hégémonie européenne. Là s’imposent les plus glorieuses victoires militaires françaises : Rivoli (1797), Marengo (1800), Ulm & Austerlitz (1805), Iéna & Auerstedt (1806), Eylau & Friedland (1807), Wagram (1809), ou encore La Moskova (1812). Le génie napoléonien, la valeur des officiers révolutionnaires et impériaux, le nombre et l’artillerie imposeront un règne français inédit sur l’Europe.

Mais une telle ascension ne pouvait que liguer l’Europe contre la France. À l’usure, les nations européennes vont vaincre la France et mettre fin à son règne. La Prusse et le Royaume-Uni sont les grands vainqueurs de la guerre. L’Angleterre s’impose sur les mers et dans les colonies tandis que l’art militaire prussien va accoucher de l’unification allemande. Victime collatérale de ce dernier événement, la France assiste à un revirement d’alliance sans précédent depuis des siècles : Londres et Paris font front commun contre Berlin devenu, à son tour, hégémonique en Europe. De cette rivalité nouvelle vont naître les deux conflits mondiaux (1914-1945). Mais les affrontements industriels et massifs ne favoriseront aucun camp. Exsangues, les trois nations européennes vont devoir s’incliner face aux géants russe et américain. Allemagne, France et Angleterre sont désormais alliés forcés et contraints contre le communisme russe aux côtés des États-Unis d’Amérique (ceux-ci n’ont souffert d’aucun dommage matériel au cours des guerres mondiales). La France, malgré les exploits de la Marne (1914) et de Verdun (1916-1917), subit d’importants revers qui affecte violemment sa combativité. La Libération du territoire national en 1944 permettra de venger l’affront de 1940 – temporairement du moins…

La France, pays de tradition militaire… pour combien de temps ?

Après la Seconde Guerre mondiale, la France est exsangue mais encore fière. Refusant la soumission américaine malgré les pressions de la classe dirigeante libérale, le pays poursuit une politique militaire indépendantiste et souverainiste. Sous Charles de Gaulle, la France rentre dans le rang des puissances nucléaires.

Malgré ce sursaut d’orgueil, les politiques libérales atlantistes et européistes sapent un réarmement traditionnel et historique. Après la Guerre Froide, le service militaire national (officiellement en vigueur depuis 1798) est suspendu afin de prévenir une quelconque mutinerie ou désobéissance civile ainsi qu’une complète soumission des militaires professionnels. En chute libre depuis 1969, le budget militaire français accouche d’une crise majeure au tournant des années 2010. En 2017, le chef d’État-major Pierre de Villiers s’oppose frontalement et publiquement au nouveau président de la République élu Emmanuel Macron concernant les questions budgétaires. Son limogeage suscite l’émotion et permet une prise de conscience – au moins en apparence – conduisant à une sensible amélioration de l’équipement et de la condition du militaire.

En 2020, l’Armée française est face à de multiples menaces politiques dont le fantasme de Défense européenne vieux de 50 ans (première itération avec la CED en 1954). Toujours plus sollicitée, elle continue pourtant d’assurer un travail admirable et digne des Anciens de l’Histoire…