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Histoire politique du Centre en France

Statue de Mirabeau - Palais de Justice d’Aix en Provence

S’il est facile de définir la Droite et la Gauche dans le paysage politique français à travers les âges, la tâche devient plus ardue quand vient l’heure de se pencher sur le « Centre ». L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République (2017) a été vu par beaucoup comme le triomphe des idées centristes sur le traditionnel clivage Gauche/Droite. Synthétique et rassembleur, le Centre se définit également comme modéré – sorte de « troisième voie » politique. Quel fût son parcours idéologique à travers les siècles ? Le Centre est-il plus que la simple synthèse des idéaux de Droite et de Gauche ?

La modération face à la fièvre révolutionnaire

Le Centre naît – comme la Droite et la Gauche – au cours de la Révolution française. Sous le court règne constitutionnel de Louis XVI, il défend un régime monarchique modéré où les pouvoirs législatifs et exécutifs cohabitent dans un genre de système semi-parlementaire. Sa figure de proue est le comte de Mirabeau (1749-1791). D’un point de vue comptable, les députés « centristes » représentent la majorité du pouvoir législatif et représentatif jusqu’à la proclamation du Directoire. Ils prennent tantôt le nom de « Constitutionnels », tantôt de « Plaine » ou « Marais ».

Avec la chute de la monarchie, le Centre va bientôt devenir une majorité silencieuse, disputée par les différents groupes politiques de Gauche comme de Droite. Girondins, Feuillants, Jacobins ; tous vont chercher à obtenir l’approbation grégaire de ces députés. La Terreur terminée, le Centre va progressivement s’effacer pour laisser place à une confrontation entre Gauche et Droite sous le Directoire. Ainsi est-il possible de dire qu’il aura été victime de sa propre modération à une époque extrême.

Napoléon Bonaparte ou l’incarnation du compromis centriste

Alors que le Directoire se meurt dans ses contradictions, un certain général Napoléon Bonaparte rentre de son expédition égyptienne pour « sauver la République ». Devenu chef d’un nouveau pouvoir politique (le Consulat), il profite d’un vide politique sans précédent. Alliant républicanisme et légitimité populaire avec une certaine tradition monarchique, le Premier consul finit par être proclamé empereur des Français. C’est le retour (déguisé) de la royauté en France ! Mais cette royauté est bien différente des précédentes, sorte de synthèse entre Gauche révolutionnaire et Droite réactionnaire. Centré autour de sa figure héroïque voire légendaire, l’Empire va consacrer les idéaux de la Révolution en leur donnant les apparats royaux. À bien des égards, il est possible de qualifier l’Empire napoléonien de régime centriste – synthèse des excès de la décennie précédente.

Louis-Philippe Ier et la naissance du centrisme contemporain

Le Premier Empire était l’alliance entre les deux régimes politiques français : d’un côté la République, de l’autre la Royauté. Ainsi, si le bonapartisme qui en résultera pourra être classé au Centre de l’échiquier politique moderne, un autre régime va consacrer la conception contemporaine : la Monarchie de Juillet. Sous le règne du « Roi-Citoyen », la France va assister à une union singulière : celle de la noblesse et de la bourgeoisie sous l’égide du libéralisme. Alors que la France connaît la Révolution industrielle, les grandes fortunes trouvent dans cette monarchie parlementaire d’inspiration anglo-saxonne un creuset fondamental pour comprendre le Centre contemporain. La petite noblesse acquise au progrès scientifique et technique par opportunisme postrévolutionnaire rencontre la grande bourgeoisie d’affaires et de négoce international.

Être « centriste » au XIXème siècle

Le XIXème siècle français est celui de la discorde politique. Moins d’une dizaine de régimes politiques différents sont expérimentés entre 1799 et 1871. Sur l’échiquier politique, on retrouve les légitimistes nostalgiques de l’Ancien Régime et de la France prérévolutionnaire (Droite). Ceux-ci sont contrebalancés par les républicains favorables aux idéaux de la Révolution et de la démocratie à savoir le pouvoir de la majorité sur la (les) minorité(s) : la Gauche. Entre ces deux idéologies gravitent deux mouvements politiques identifiables : l’orléanisme et le bonapartisme. Le premier défend une monarchie parlementaire d’inspiration anglo-saxonne quand le second défend un royalisme républicain d’inspiration impériale romaine. Le principal élément de distinction vient de la conception de la légitimité du pouvoir. L’orléanisme défend la souveraineté nationale et une puissance politique oligarchique (suffrage censitaire). Le bonapartisme défend une souveraineté populaire et des consultations régulières (suffrage universel direct). Ainsi, jusqu’à la chute du Second Empire napoléonien, le Centre sera divisé entre une influence gauchiste – le bonapartisme plus proche des idées républicaines – et droitière – l’orléanisme plus modéré que la réaction antirévolutionnaire.

Le principal changement idéologique intervient au détour des premières décennies de la Troisième République avec la conquête des urnes par les républicains. Alors que l’opinion bascule à Gauche d’un point de vue politique, les débats d’idées vont maintenant se concentrer sur le modèle économique et social à adopter. Entre la Gauche socialiste et la Droite libérale, un acteur majeur de la vie politique va émerger : le Parti radical (PR). Plutôt classé au Centre-Gauche, il domine la Troisième République et s’impose comme un intermède vital pour qui veut gouverner. On y retrouve de grandes figures historiques du XXème siècle comme Léon Gambetta, Édouard Herriot, Édouard Daladier ou encore Georges Clemenceau dit « le Tigre ». Parti opportuniste par essence, naviguant de la Gauche à la Droite au gré des élections législatives, le PR va dominer la vie politique républicaine jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ni socialiste, ni libéral, il va construire la France républicaine.

Le Centre : un phénix politique ?

Après la Seconde Guerre mondiale, la vie politique traditionnelle reprend son droit – renforcée par les institutions parlementaristes de la Quatrième République. Le Centre y retrouve sa place primordiale aux côtés des socialistes et communistes dans le Mouvement Républicain Populaire (MRP). Se définissant comme démocrate-chrétien et centriste, ce parti politique va profiter du vide créé par l’extinction de la Droite des suites de la Libération et de l’Épuration post-Vichy. Europhile, fédéraliste européen et atlantiste, il va concourir à la soumission de la France aux États-Unis d’Amérique, aidé en cela du parti socialiste (SFIO). À ce titre, il concourt à l’élaboration des partis et mouvements politiques contemporains. Antigaulliste malgré une communication s’appuyant sur la « fidélité » envers l’homme du 18-Juin, le MRP se déchire sur la question algérienne. En désaccord avec la politique européenne du Général, le parti poursuit sa longue descente aux enfers avec la constitution du parti officiel gaulliste : l’Union pour la Nouvelle République (UNR).

Malgré cela, les idées centristes continuent de séduire une élite française atlantiste et progressiste qui voit en De Gaulle un frein ou une menace pour le futur de la France américaine et américanisée. Finalement, le départ du Général et la mort de son successeur « désigné » Georges Pompidou signent définitivement le déclin inexorable de la Droite traditionnelle et nationale. Ainsi, entre les années 1970 et 2000, le Centre ne cesse de s’imposer idéologiquement à une Droite complexée et enfermée dans un contre-argumentaire antifasciste. « L’Union du Centre et de la Droite » actée en 2002 par la naissance de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP) consacre le triomphe de l’atlantisme et de l’europhilie fédéraliste en France. Parallèlement, le lent déclin socialiste initié après la désillusion de 1983 marque la fin du clivage traditionnel Gauche/Droite. Ainsi, de l’« UMPS » tant décrié par le Front National au cours des années 2000 à « La République en Marche », il n’y a plus qu’un pas. Enfin, chose notable, on assiste ici à une sorte d’union des bourgeoisies similaire à l’union de la monarchie de Juillet : une alliance entre la grande bourgeoisie d’affaires mondialisée et la bourgeoisie humaniste et droit-de-l’hommiste issue de Mai-68.

Conclusion

Comme la Droite et la Gauche, le Centre a bien changé au fil des siècles. Sur la question politique, il milite d’abord pour une modération institutionnelle raisonnable et philosophique. Mais victime des extrêmes du temps, il ne trouve grâce qu’en Napoléon Bonaparte, véritable synthétiseur de régime politique. Par la suite, et au gré des errements politiques du XIXème siècle, le Centre va lui-même proposer deux versions édulcorées et alternatives de la Droite et de la Gauche qu’il combat : le bonapartisme (Centre-Gauche) et l’orléanisme (Centre-Droit). C’est d’ailleurs sous ce dernier mouvement que naît le centrisme contemporain – alliance de deux groupes oligarchiques dominants à l’origine rejetés par leurs homologues traditionnels et constitués. Acteur majeur de la vie politique française sous la Troisième République à travers le Parti radical, le Centre va profiter du vide laissé par la Droite pour la remplacer progressivement sur le plan économique et social jusqu’à amalgamer les deux partis traditionnels français qu’étaient le Parti Socialiste (PS) et l’UMP. Véritable alliance des bourgeoisies libérales mondialistes et sociales-démocrates humanistes, la République en Marche marque le triomphe d’un Centre hégémonique et totalitaire car aujourd’hui en passe de devenir « Parti unique » (91% des sièges de l’Assemblée nationale en 2017)…

Sources :

Les modérés dans la vie politique française 1870-1965, François Roth (2000)

Le centrisme en France aux XIXe et XXe siècles : un échec ?, Sylvie Guillaume (2005)

Le Suicide français, Éric Zemmour (2014)

Le Centre et le Centrisme : De la Révolution à Macron, Alexandre Vatimbella (2017)