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Le Japon sur la voie de la modernité - De 1868 à 1889 (1/2)

« La reddition des rebelles [de Satsuma] à Kagoshima » (« 鹿児島暴徒降参之圖 »), Tsukioka Yoshitoshi (« 月岡 芳年 »), 1877.

L’arrivée en 1853 des navires de guerres du commodore Perry (voir article « Le Japon sur la voie de la Modernité – De 1853 à 1868 ») dans la baie de Tokyo aboutit à la fin du Sakoku. Le Japon, tiraillé sur la question de savoir s’il fallait résister aux exigences américaines d’ouverture du pays, ou s’y plier devant le manque de moyens militaire pour y faire face, se déchira. D’un côté on trouvait le shogun, et les soutiens à l’ordre féodal des Tokugawa, qui décidèrent d’ouvrir le pays et d’enclencher un processus de modernisation passant tout d’abord par une modernisation militaire, qu’ils engagèrent avec l’aide des français. De l’autre, une coalition de samouraïs menés par les clans de Chōshu et de Satsuma qui, au cri de « Sonnō jōi » («  尊王攘夷 » ; « Honorer l’Empereur, expulser les Barbares »), exigèrent l’expulsion des étrangers et l’abdication d’un shogun perçu comme soumis à ces étrangers, pour confier le pouvoir à l’Empereur. Ce dernier s’était en effet dès le départ prononcé pour l’expulsion des étrangers et le refus de céder devant leurs exigences.

La situation dégénéra en une guerre civile (la « Guerre de Boshin ; « 戊辰戦争 »), finalement perdue par le shogunat. Le pouvoir fut officiellement « restitué » à l’Empereur en 1868 (ce qui marqua le début de l’ère Meiji, « 明治時代 »), tandis que les samouraïs de Chōshu et de Satsuma prirent le contrôle du nouveau gouvernement. Malgré le fait que leur révolte ait été menée au nom d’un refus de la politique du shogun, ces derniers maintinrent la politique d’ouverture et de modernisation du pays. Ils reprirent l’idéologie « Fukoku kyōhē » (« 富国強兵 » ; « Un pays prospère, une armée forte »), considérant que la modernisation militaire du pays que requiert à sa défense face aux étrangers passe nécessairement par une transformation économique et institutionnelle. Maruyama résume leur raisonnement de la façon suivante : « Dorénavant, donc, jouera un rôle central l’idée que c’est par la solution qu’on apportera à l’état présent de détresse économique que l’on surmontera la crise avec l’étranger. Ainsi – principalement par comparaison avec la situation rapportée sur l’Occident – discerna-t-on, dans une certaine mesure, qu’une telle détresse n’était pas le produit d’une erreur momentanée de politique ou de la paresse de certains individus, mais qu’elle prenait ses racines dans la structure profonde de la société des Tokugawa et que la politique pour y remédier ne consistait pas en des mesures fragmentaires, mais signifiait plus ou moins une révolution institutionnelle ».

En plus du rétablissement du pouvoir de l’Empereur et de la volonté de rendre le pays riche pour qu’il soit en mesure de résister aux étrangers, leur programme est complété par l’idéal d’égalité de tous les japonais sous l’Empereur, qui passait par la dissolution des castes ; et donc des privilèges des samouraïs. Et bien entendu, un tel programme ne faisait pas l’unanimité parmi les samouraïs. Les controverses intellectuelles au sujet de ces mesures qui devinrent le cœur du programme de Meiji furent rudes dès la fin de l’ère Edo et avant même que le Sakoku ne soit brisé. Elles se poursuivirent évidemment après, et se réglèrent finalement dans le sang par la victoire des idéaux de Meiji sur les conceptions concurrentes.

Penchons-nous donc sur ces controverses intellectuelles, leur règlement, et l’application de ces mesures qui aboutirent à ce que l’on connaît désormais comme la « modernisation de Meiji ».

Les divergences doctrinales au sein du courant « Sonnō jōi »

Il convient tout d’abord de caractériser avec précision ces « idéaux de Meiji ». Nous partirons de la définition qu’en pose Maruyama (dans La pensée de l’État Meiji) : « Je partirai d'une idée très banale, en rappelant qu'on peut repérer deux éléments dans ce qui constitue l'inspiration fondamentale de la Restauration : le courant dit loyaliste et xénophobe "Sonnō jōi" ("尊王攘夷" ; "Honorer l’Empereur, expulser les Barbares") d'une part, le courant libéral "Kōgi yoron" ("公議輿論" ; "Gouvernement par la délibération publique") d'autre part. (…) En ce qui concerne le premier courant, on peut l'interpréter comme exprimant, dans la Restauration, le principe de centralisation politique. Le loyalisme incarna en effet le principe de concentration du pouvoir politique en un centre unique. Le libéralisme du courant "Kōgi yoron" représente au contraire ce que j'appellerai, faute d'une expression plus heureuse, le principe de l'élargissement politique. Autrement dit, on peut considérer que le premier courant vise à̀ concentrer le pouvoir au sommet tandis que le second cherche à l'étendre vers la base. Nous pouvons ainsi caractériser sommairement la Restauration dans l'histoire de la pensée comme la réunion de ces deux courants. (...) On peut donc dire que la pensée de l'État Meiji s'est développée sur un mode comparable à̀ celui d'une sonate dont les deux thèmes seraient le souverainisme ("Kokken-ron" ; "国権論") et les droits du peuple ("Minken-ron" ; "民権論"), initiés respectivement dans les courants loyaliste "Sonnō jōi" et libéral "Kōgi yoron" ».

Couverture du numéro spécial d’Août 2014 de la « Revue de la pensée contemporaine » (« 現代思想 ») consacrée à Maruyama Masao

La position « Kōgi yoron » s’est développée comme solution possible à la crise que connaissait le régime shogunal après l’arrivée des américains et « supposait la prise en compte des "opinions", d'abord seulement celles des grands feudataires, jusqu'au milieu des années 1860 environ, puis celles de l'ensemble de la population » (Maruyama) dans la prise de décision politique. Quant à la position « Sonnō jōi », nous avons proposé la dernière fois un historique de sa trajectoire (voir « Le Japon sur la voie de la Modernité – De 1853 à 1868 »), et avons démontré en quoi elle pouvait en définitive être perçue comme un aboutissement du développement de la théorie « Fukoku kyōhē » (« Un pays prospère, une armée forte » ; « 富国強兵 »). Cependant, il convient de nuancer ce qui a été dit la dernière fois en mettant en évidence, comme le fit Maruyama, que la théorie « Sonnō jōi » regroupait en réalité « des courants extraordinairement différents dans leurs motivations et dans leurs tendances ». Maruyama soulignait par exemple que le slogan « Honorer l’Empereur » ne signifiait pas nécessairement pour tout le monde s’opposer au shogunat, et encore moins réclamer la fin du système féodale.

Ce n’est qu’avec ces éléments en tête que l’on peut par exemple comprendre la position des penseurs de l’école de Mito (« 水戸学 » ; « Mitogaku ») comme Aizawa Seishisai (« 会沢 正志斎 »), dont Maruyama souligne « l’influence étonnamment profonde sur le monde intellectuel de la fin des Tokugawa » de la principale œuvre, Shinron (« 新論 »). Considéré comme l’un des pères-fondateurs du courant « Sonnō jōi », Aizawa s’en prend cependant farouchement à la théorie « Fukoku kyōhē » ; son opposition s’explique en grande partie par une très forte méfiance à l’égard du peuple.

« Des théoriciens soutiennent que rendre le pays prospère et renforcer notre armée est la tâche essentielle à assurer pour protéger nos côtes. Actuellement, les étrangers profitent de ce que les gens du peuple sont dénués de tout principe propre à les guider spirituellement pour séduire en cachette ceux qui habitent dans les zones côtières éloignées et capturer leurs cœurs. Une fois que les cœurs auront été capturés, l’Empire deviendra, sans coup férir, la propriété des Barbares. Le pays aura beau être devenu riche et fort, cette richesse et cette force ne seront pas à nous. À l’occasion, il ira jusqu’à prêter des troupes aux traîtres et à fournir en vivres les bandits. Nous n’aurons tant appliqué notre esprit, et nous n’aurons tant fait d’efforts afin de rendre ce pays riche et puissant, que pour le voir un jour rejoindre les rangs de ses ennemis ! Quel triste état des choses ! » - Aizawa Seishisai, Shinron (1825).

Aizawa Seishisai (1782 - 1863)

Maruyama souligne que cette position de méfiance vis-à-vis du peuple est, de façon générale, partagée par les principaux penseurs de l’école de Mito à la fin des Tokugawa, et se traduit par une opposition frontale au principe phare de la pensée de Meiji d’égalité et tous les japonais sous leur souverain (« Ikkun banmin » ; « 一君万民 »), et a fortiori au principe « kōgi yoron ». Il n’est en effet pas question pour ces penseurs d’étendre la participation politique à un peuple niais et dénué de tout principe spirituel, qui ne saurait que prendre les mauvaises décisions, ni même de l’étendre uniquement à l’élite des samouraïs dont la responsabilité quant à la situation actuelle est souvent mise en cause : « Qui est responsable d’un tel état qui fait que notre nation est chaque jour plus en péril ? Ne serai-ce pas uniquement parce que ceux qui gouvernent ont cessé d’accomplir leur tâche ? » (Fujita Tōko ; « 藤田 東湖 » ; « Kōdōkanki jutsugi »). Un autre membre de cette école de Mito, Fujita Yūkoku (« 藤田 幽谷 »), explicita la « théorie sociale » de ce courant de pensée. Elle consisterait ainsi à maintenir la hiérarchie sociale confucéenne (voir « Le Japon est un coquillage – De 1641 à 1853 (1) ») en y ajoutant simplement, à son sommet, la personne de l’Empereur.

« Si le shogunat vénère la famille impériale, alors il sera révéré par tous les seigneurs féodaux. Si tous les seigneurs révèrent le gouvernement, alors ils seront respectés de leurs ministres et de leurs conseillers. Ainsi, par la suite, l’ordre qui prévaut entre supérieurs et inférieurs sera garanti, et l’harmonie régnera parmi tous les membres du pays entier. Ne serait-ce pas le comble de l’intolérable si les obligations morales de chacun selon son nom et son statut ne devaient pas être à la fois correctement déterminées et rigoureusement suivies ? » - Fujita Yūkoku, Seimeiron, 1791.

Si l’école de Mito est considérée comme l’un des points de départ du courant « Sonnō jōi », on constate cependant qu’il n’y a absolument pas chez ses penseurs de volonté de renversement du régime shogunal, et encore moins l’idée de faire participer le peuple japonais à la prise de décision politique. On constate ainsi une mutation progressive de certain des tenants de ce courant de pensée ; Maruyama fixe le point de départ de ces évolutions à l’arrivée des américains en 1853, en faisant de l’intellectuel Yoshida Shōin (« 吉田 松陰 ») une figure représentative de cette mutation. D’abord hostile à toute idée de renversement du shogunat, même après 1853, il en vint finalement à adhérer à cette idée après la signature en 1858 du Traité Harris (voir « Le Japon sur la voie de la Modernité – De 1853 à 1868 »). La victoire des troupes de l’alliance Satchō sur les troupes shogunales semble aux premier abord consacrer la victoire de ce qu’on peut appeler a posteriori les « idéaux de Meiji ». La réalité ne fut cependant pas si simple, car cette victoire marque surtout celle du courant « Sonnō jōi », que l’on peut diviser schématiquement en deux tendances : l’un était favorable au renversement de la hiérarchie sociale confucéenne et à la proclamation de l’égalité de tous les japonais sous leur Empereur (« Ikkun banmin »), l’autre au maintien de cette hiérarchie au sommet de laquelle il appelait à faire désormais siéger l’Empereur.

La « rébellion de Satsuma » et l’imposition des idéaux de Meiji

Avoir connaissance de ces désaccords doctrinaux et des différentes variantes de la théorie « Sonnō jōi » est indispensable pour comprendre les tensions qui se cristallisèrent lorsque le gouvernement de Meiji retira petit à petit aux samouraïs leurs prérogatives et leurs privilèges au nom du principe « Ikkun banmin ». Après la réduction de moitié de leur rente héréditaire (déjà misérable) en 1869, puis la proclamation de l’égalité de droits de tous les citoyens en 1871 en même temps que l’abolition des fiefs (les daimyo sont appelés à « restituer à l’Empereur » leurs domaines, convertis en préfectures sous le contrôle d’un gouverneur nommé par l’État), l’obligation pour les samouraïs de renoncer au port des sabres en 1876, mesure hautement symbolique puisqu’il s’agissait du signe distinctif de leur classe, fut la goutte de trop.

S’il y avait déjà eu plusieurs révoltes de samouraïs contre le nouveau gouvernement Meiji, celle de 1877, la dernière, fut la plus terrible. En Janvier 1877, une partie des samouraïs du clan Satsuma, l’un des principaux clans qui s’était battu contre le shogunat, déclenchèrent une rébellion contre le nouveau gouvernement. Cette rébellion avait pour motif à la fois la protestation contre ce que ces samouraïs considéraient comme des ingérences du gouvernement dans leur domaine (étant entendu que pour le gouvernement, les fiefs ne devaient plus exister et que le pouvoir devait être centralisé) et contre la politique d’abolition des privilèges de leur caste. Il faut ainsi comprendre que les samouraïs de Satsuma refusaient cette idée d’égalité de tous les japonais sous l’Empereur, et entendaient défendre une conception de la société plus proche de celle de l’école de Mito dans laquelle la hiérarchie confucéenne, au sein de laquelle ils trônaient au sommet de la société et détenaient un certain nombre de privilèges, serait maintenue. La tête de la révolte fut prise par un samouraï du nom de Saigō Takamori (« 西郷 隆盛 »), aujourd’hui considéré comme l’un des « trois grands héros de la Restauration » (« Ishin no sanketsu » ; « 維新の三傑 »).

Saigō Takamori (1828 - 1877)

Les « Trois grands héros de la Restauration » : Saigō Takamori, Ōkubo Toshimichi et Kido Takayoshi.

Grande figure du clan Satsuma ayant participé à la Restauration de Meiji et mené le combat contre les troupes shogunales durant la guerre de Boshin, Saigō rejoignit le gouvernement en 1871 et conduisit la réforme sur la suppression des fiefs et la création des départements (« Haihan chiken » ; « 廃藩置県 »). Cependant, conscient des difficultés que connaissait la classe des samouraïs, il chercha à « trouver un exutoire aux guerriers frustrés par les réformes qui portaient atteinte à leurs revenus et leur ancien statut ». Dans ce but, il était partisan du déclenchement d’une guerre avec la Corée, qui avait refusé de reconnaître la légitimité du nouveau gouvernement de Meiji et expulsé violemment les ambassadeurs japonais. Il proposa ainsi de se rendre lui-même en Corée et de faire en sorte d’y être assassiné, afin que sa mort puisse servir de prétexte au déclenchement de la guerre qui permettrait aux anciens samouraïs mécontents, via leur participation à cette guerre, de recouvrer leur statut de guerrier – plus en tant que serviteur d’un domaine particulier, mais de l’Empire du Japon dans son ensemble. Cependant, de nombreux autres membres du gouvernement, dont en particulier un autre des « trois grands héros » Ōkubo Toshimichi (« 大久保 利通 », un autre ancien samouraï de Satsuma), s’y opposèrent : on appelle cette confrontation le « débat du Seikanron » (« 征韓論 » ; « Débat sur la conquête de la Corée »). De colère, Saigō quitta le gouvernement, et prit lorsque elle se déclencha la tête de la « rébellion de Satsuma » (« 西南戦争 » ; « Guerre du Sud-Ouest » en japonais). C’est Ōkubo, l’autre grand leader de Satsuma durant la guerre de Boshin et la Restauration, qui mena la répression contre les rebelles de son domaine au nom du gouvernement, de la même manière qu’il avait réprimé toutes les révoltes de samouraïs précédentes. Le mouvement fut finalement maté après six mois de batailles, et Saigō fut tué au cours du conflit ; tandis qu’Ōkubo fut assassiné l’année suivante par des samouraïs de Satsuma, qui le considéraient comme un traître.

Affiche de la série télévisuelle japonaise Segodon (« 西郷どん »), représentant Ōkubo Toshimichi (à gauche) et Saigō Takamori (à droite).

« Les rebelles de Kagoshima à la bataille de Shiroyama [Rébellion de Satsuma] » (« 鹿児島賊徒於城山血戦之図 [西南戦争] »), Yamamura Kinzaburo (« 山村 金三郎 »), 1877.

« Bataille du château de Kumamoto durant la conquête de Kagoshima » (« 鹿児島征討記内 熊本城ヨリ諸所戦争之図 »), Hayashi Yoshizō (« 林吉蔵 »), 1877.

« Souvenirs de guerre de Kagoshima : la bataille du château de Satohara [Rébellion de Satsuma] » (« 鹿児島戦記佐土原落城ノ図 [西南戦争] »), Yamanaka Ichibē (« 山中 市兵衛 »), 1877.

« L’écrasement de cette révolte signifiait la consolidation définitive du pouvoir né 10 ans plus tôt. Les guerriers hostiles aux réformes qui mettaient en cause leurs privilèges étaient éliminés politiquement ». Le gouvernement, conscient que le shogunat qu’il avait renversé était tombé du fait du même type de mouvement venu du même endroit, utilisa tous les moyens dont il disposait pour réprimer la rébellion, et les conséquences économiques du conflit furent désastreuses : « Cette guerre avait grevé lourdement le budget, déclencha un processus inflationniste ; la dépréciation de la monnaie constitua un problème préoccupant jusqu’en 1881 ». L’écrasement des samouraïs de Satsuma et la mort de Saigō permirent cependant de mettre un terme définitif aux conflits au sein du mouvement « Sonnō jōi », et de régler définitivement la question de l’opposition entre les partisans d’une égalité de tous les japonais sous l’Empereur et ceux des partisans du maintien de la hiérarchie confucéenne au sommet de laquelle trônait l’Empereur.

La modernisation économique du Japon de Meiji

Une fois au pouvoir, la nouvelle classe dirigeante du gouvernement de Meiji mit son idéologie, le « Sonnō jōi de Meiji » évoqué ci-dessus, à exécution. Dans le but de préserver l’indépendance et la souveraineté du Japon, il fallait « Expulser les Barbares », et pour ce faire moderniser la défense du pays, ce qui nécessitait de relancer le dynamisme économique de l’archipel (« Fukoku kyōhē »). Reischauer souligne qu’ « À la différence des pays qui, au milieu du XXème siècle, entreprennent leur modernisation, le Japon n’a reçu aucune aide financière ou technologique de l’étranger. Redoutant l’esprit d’appropriation lié à l’impérialisme Occidental, les japonais se défient à juste titre des prêts étrangers et n’y recourent qu’avec une extrême prudence. En tout état de cause, les Occidentaux considèrent l’Empire du Soleil Levant avec suspicion et ne consentent des prêts que contre un fort taux d’intérêt ». Le pays ne pourra donc se moderniser qu’en mobilisant ses propres ressources, et en faisant appel à des « experts » Occidentaux qui viendront proposer leurs expertises contre des salaires très avantageux.

Du fait de l’imposition par les puissances Occidentales d’un tarif douanier ne pouvant excéder les 5 % (à travers les « traités Ansei » ; voir « Le Japon sur la voie de la Modernité – De 1853 à 1868 »), les produits manufacturés Occidentaux purent pénétrer sans difficulté le marché japonais, et menacèrent directement les activités traditionnelles du pays. « L’industrialisation apparaît dès lors doublement indispensable dans la mesure où elle conditionne simultanément l’indépendance économique et l’édification d’une force de défense efficace » (Reischauer). Un projet d’industrialisation du pays, s’appuyant sur les prémisses capitalistiques de l’ère Edo (voir « Le Japon est un coquillage – De 1641 à 1853 (2) »), avait déjà été enclenché par le shogunat dans les années 1860, en particulier dans les domaines de l’industrie militaire et l’industrie textile. Mais ces premières tentatives se soldèrent par des échecs ; excepté dans le domaine très spécifique du moulinage de la soie, le Japon profitant de la maladie des vers à soie européens et d’une innovation technologique endogène pour devenir l’un des premiers exportateurs mondiaux de soie, ce qu’il resta jusqu’à la première moitié du XXème siècle.

Dès le début des années 1870, un certain nombre de réformes changèrent la donne : mise en place d’un système bancaire moderne basé sur une nouvelle monnaie, le yen ; développement des infrastructures de transport et de communication dans l’archipel (télégraphe, chemin de fer...) ; mise en place d’un système d’imposition moderne... Toutes ces transformations structurelles, enclenchées très rapidement par le nouveau gouvernement de Meiji, permirent d’obtenir de meilleurs résultats économiques, mais furent aussi lourds de conséquences sur le budget du pays. Le Japon de Meiji se devait en effet d’honorer les dettes du shogunat envers les Occidentaux, tout en dépensant sans compter pour financer les réformes structurelles de l’économie, nécessaires au redressement du pays, ainsi que les réformes militaires qu’il menait en parallèle selon le mot d’ordre qu’il s’était fixé : « Fukoku kyōhē ». Il devait en parallèle financer les tentatives d’implantations industrielles en mettant en place des « usines pilotes », pour l’heure fortement déficitaires, tout en « rémunérant à grand frais les experts venus de l’étranger » (Reischauer) et – dépense imprévue – écraser les rebelles de Satsuma, événement que nous avons développé ci-dessus. « Toutes ces dépenses ont lourdement grevés le budget de l’État ; elles ont alimenté une dangereuse inflation et accéléré la dépréciation de la nouvelle monnaie de papier » (Reischauer).

Au début des années 1880, la situation économique du Japon de Meiji était à la fois très encourageante et très préoccupante. C’est en particulier l’action d’un homme, Matsukata Masayoshi (« 松方 正義 »), qui permit de mettre fin aux difficultés financières du pays. Ancien samouraï de Satsuma, il devint ministre des finances en 1881. En plus d’être à l’origine de la banque du Japon, il mena une politique d’austérité pour résoudre les difficultés budgétaire du pays passant, entre autre, par la « dénationalisation » des « usines pilotes ». Ces usines, créées à grand frais à l’initiative de l’État pour servir de base à l’industrialisation du pays, furent revendu à des propriétaires privés à un prix qualifié par Reischauer de « très inférieur à la valeur des capitaux qui y avaient été investis ». En effet, nous avons dit que ces entreprises étaient largement déficitaires ; le gouvernement n’avait ainsi pas d’autres choix, s’il voulait transférer ses usines à un secteur privé encore très peu développé, que de littéralement les brader.

Matsukata Masayoshi (1835 - 1924)

Mais le bilan de ces privatisations fut généralement très positif d’un point de vue économique, puisque ces entreprises ont été réformées et ont pu devenir rentables à court terme. « Tous ces résultats attestent que les japonais ont acquis une connaissance et une expérience suffisante des affaires pour pouvoir surmonter les difficultés initiales de leur décollage économique. Dans les années 1885, la production de filés de coton enregistre un boom qui atteint par diffusion progressive les autres branches industrielles. Vers la fin du siècle, le Japon  est irréversiblement engagé dans la voie de l’industrialisation. Mais par suite des "dénationalisation" de Matsukata, l’activité économique se concentre désormais entre les mains d’un petit nombre d’hommes d’affaires. Ces magnats de l’économie se trouvent à la tête de "cliques financières" que les japonais désignent sous le nom de "zaibatsu" » (Reischauer).

Quel bilan pour ce « schéma de développement économique japonais » ? Reischauer la présente comme « riche d’enseignements pour les pays qui entreprennent aujourd’hui leur décollage économique ». Il poursuit : « On interprète volontiers les performances japonaises comme le fuit d’une modernisation conduite par le haut. C’est se méprendre sur la nature des forces agissantes. Certes, le gouvernement japonais a "amorcé la pompe" de nombreux secteurs d’activité ; mais le pas décisif n’a été franchi qu’après la restitution au secteur privé des industries initialement prises en charge par l’État. Somme toute, le cas japonais ne s’écarte en rien du schéma général de développement économique d’un pays. L’État créé d’abord les infrastructures économiques de base : il dote le pays d’une monnaie stable, d’un système bancaire moderne, d’une organisation fiscale efficace ; il assure la stabilité politique ».

Avec cette industrialisation désormais enclenchée, la « Révolution économique » du Japon, qui constituait la première étape du programme « Fukuko kyohē » (« Un pays prospère, une armée forte »), était en marche. Il reste cependant à étudier un autre bouleversement peut-être plus important encore, car déterminant la réussite de ces transformations économiques. Il s’agit de la « Révolution politique » de Meiji, et en particulier la mise en place de nouvelles institutions devant succéder à celles du shogunat.

En effet, la modernisation politique du Japon fut un travail de longue haleine, n’aboutissant qu’en 1889 (soit près de 30 ans après la Restauration) avec la promulgation de la constitution de Meiji. Le choix d’opter pour un régime constitutionnel, symbole du gouvernement libéral Occidental, n’avait cependant rien d’évident dans un pays comme le Japon totalement étranger à cette tradition. Mais si l’Empire du Soleil Levant adopta la forme du régime constitutionnel, il y insuffla un esprit totalement différent, en conformité avec ce que Pierre Lavelle présente comme la « mission » qu’Ōkuma Shigenobu (« 大隈 重信 ») fixait au Japon : opérer « la synthèse du réalisme occidental et de la morale orientale ».

 

Sources :

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MARUYAMA, Masao. « Essai troisième », dans Essais sur l’histoire de la pensée politique au Japon, Clermont-Ferrand, Éditions Les Belles Lettres, 2018, pp. 333-372.

PERRONCEL, Morvan, « Maruyama Masao : "La Pensée de l’État Meiji", traduction », dans Ebisu, N°32, 2004. pp. 85-121. Disponible sur : https://www.persee.fr/doc/ebisu_1340-3656_2004_num_32_1_1381

LAVELLE, Pierre. « Les sources prémodernes de la pensée politique contemporaine » et « La génération des Lumières », dans La pensée politique du Japon contemporain (1868-1989), Paris, PUF, 1990, pp. 5-29. 

CHESNAUX, Jean. « Le Japon de l’ère Meiji à 1937 », dans L’Asie orientale aux XIXème et XXème siècles, Paris, PUF, 1966, pp. 146-158.

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