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La biométrie, bénéfices et risques

Introduction

La biométrie regroupe l’ensemble des outils technologiques par lesquels on peut identifier une personne grâce à son corps. Alphonse Bertillon, criminologue français, fut le créateur de cette méthode d’identification. Il mit en place une technique reposant sur quatorze mesures anthropométriques ayant chacune pour objectif de reconnaitre un individu. Avalisée dans son efficacité et profitant du progrès scientifique et numérique, sa méthode s’est répandue jusqu’à faire partie aujourd’hui de notre quotidien. Au fil du temps, le domaine d’application de la biométrie s’est élargi. Il est passé du domaine judiciaire et policier au contrôle social des populations. En effet, les gouvernements voient en cette technologie moyen de sécuriser efficacement l’espace public et leur territoire. Quant aux individus, ils vont jouir de la simplicité et de l’utilité de leur corp comme unique empreinte. Ce panorama dresse ainsi une technologie qui promet un monde plus sûr et accessible. Mais face à l’insécurité et à la peur grandissante, les individus se retrouvent prisonnier et souvent sans le savoir des dérives de cette technologie qui s’immisce subrepticement dans leur vie. Ainsi bien plus qu’un simple artefact, la biométrie est en passe de devenir l’élément central d’un système de surveillance et d’identification globalisée, mais se développe t’elle pour le meilleur ou bien pour le pire ?

 

La biométrie : une technologie fiable seulement si elle l’est totalement

La biométrie un gage de simplicité et d’efficacité

Grace à Bertillon les Etats ont pu créer un portrait exhaustif des personnes recherchées par la création de documents d’identification (passeports). A partir des années 90, ces documents vont se numériser et se sécuriser davantage. Mais ces moyens d’identification, comme d’autres (codes-mots de passes), sont facilement volés, piratés et falsifiés. Quoi de mieux que la biométrie à l’ère du numérique pour éviter ces errements. Selon Didier Guillerm1 fondateur du site Biométrie-online.net, la biométrie « simplifie les procédures et facilite la vie de l’usager ».

Beaucoup d’entreprises se sont dédiées à ce nouveau domaine d’activité et se consacrent à étendre son domaine d’application. Certaines comme Idemia, comme l’a déclaré son directeur général, aident leurs clients2 « à payer, à s’identifier et à communiquer en toute sécurité et en toute simplicité ». D’autres se focalisent sur le volet sécuritaire et la surveillance. C’est le cas d’Anyvision3 une start up israélienne spécialisée dans la reconnaissance faciale.

Un rapport4 de l’ONU reconnait aussi l’utilité de la biométrie dans l’aide humanitaire, un domaine dans lequel on ne l’attendait pas. Elle sert à :

-           Éviter les fraudes d’identités et certaines vulnérabilités pour le réfugié.

-          A octroyer une identité aux individus, dans un monde où 1,1 milliard5 de personnes ne peuvent pas la prouver.

 

La recherche de l’infaillibilité, comme condition essentielle de son efficacité mais aussi de ses dérives

Sur le papier, cette technologie fait rêver mais il ne faut pas se bercer de fausses illusions. Sébastien Marcel6, chercheur à l’IDIAP7, met souvent à l’épreuve les nouvelles technologies biométriques. Pour certaines, la falsification ou le vol d’identité est exécutable :

- Des spécialistes8 ont démontré que la réalisation d’une main artificielle en cire permettrait de tromper les dispositifs de reconnaissance des veines de la main.

- Aux Etats Unis, un fichier regroupant9 5 millions d’empreintes digitales de fonctionnaires a été volé.

Pour parer ces défauts, on attend des chercheurs une solution totalement fiable. Aux USA dans l’université de Binghamton une équipe dirigée par Sarah laszlo a développé10 une technologie capable d’identifier les individus par leurs pensées. Une innovation qui interroge sur la finalité de cette course et sur ses gardes fous. C’est le RGPD11 (Europe) et La CNIL(France)12 qui sont chargés de surveiller les innovations biométriques, de s’assurer que les acteurs internationaux respectent les règlementations et que les citoyens soient informés de leurs « droits numériques ». En dehors de l’Europe ces protections ne sont pas appliquées.

Les études scientifiques et technologiques invitent à comprendre les risques de la biométrie dans le détournement de sa fonction initiale13 et comment sa constitution peut avoir des implications dans la création d’identité et d’un ordre social :

-          L’étude sur le UNCHCR14 présente ainsi la notion de réfugié digital dont la vie et l’intégrité numérique ne sont pas respectées car leurs données sont utilisées à des fin sécuritaires et migratoires

-          L’Inde15 a mis en oeuvre un système16 d’identification de sa population fondée sur la biométrie. Il servait à recenser sa population mais sa diffusion dans la société a fait de ce système le moyen d’éclipser le nationalisme en imposant les valeurs de l’étatisme.

Joseph J Atick17 s’est ainsi inquiété18 des dérives de cette technologie, de son emprise sur les libertés individuelles et de son inquiétante finalité quand c’est la peur qui la provoque.

 

Le destin funeste que réserve la biométrie

La peur comme principal facteur de rupture avec l’usage rationnel

Boris Cyrulnik19 (neuropsychiatre français) confie que le problème de l’humain est son imagination débordante qui le conduit à l’invention de techniques pour se protéger d’abord de la peur mais aussi de son imagination. Le premier tranquillisant est l’invention du silex taillé par les Hommes de la Préhistoire contre les fauves. De la même manière aujourd’hui la biométrie, comme instrument de sécurisation, a pour objectif de lutter contre une peur : l’insécurité et le terrorisme. La peur légitime le développement de cette technologie car quand elle envahit une société elle a un effet liant. Selon un sondage20 IFOP 9 français sur 10 craignaient, un an après les attentats de 2015, un nouvel attentat. Ainsi l’omniprésence des attentats effrite la rationalité de la société et alimente la peur, devenant le fonds de commerce de sociétés.

Anyvision, en est l’archétype. Elle pèse aujourd’hui plusieurs dizaines de millions de Dollars. Elle se déclare capable d’identifier à 99%21 un individu n’importe quand et dans n’importe quelles circonstances. Le développement de ces technologies en Israël s’explique par sa position géographique et son histoire conflictuelle, l’amenant à s’enfermer dans une peur obsessionnelle. Laurent Muchielli22 présage dans son livre23 que l’affirmation de la vidéosurveillance dans les villes amènerait nos sociétés vers des sociétés paranoïaques. Dans cette enquête il présente les limites de la biométrie avec le travail souvent inutile des centres de surveillance urbains ou la difficulté pour une caméra de capturer les auteurs de délits. L’inefficacité de cet instrument se retrouve également dans la lutte contre le terrorisme : 98 %24 des attentats déjoués l’ont été par des renseignements humains.

Malgré ces dénonciations, à l’heure où les actes25 terroristes sont passés de 2000 à 14000 par an en 15 ans, la diffusion de la biométrie, comme instrument de surveillance et de contrôle social, s’est imposée. Cette tendance fait naitre un nouveau type de régime : le totalitarisme numérique26 incarné par la Chine.

 

Le totalitarisme numérique

La Chine a développé un arsenal biométrique à cause d’une peur contre le terrorisme. Le 5 juillet 2009 une violente manifestation de27 2000 ouighours, dans le Xinyang, a tourné à la révolte. Sous couvert d’une lutte contre le fanatisme religieux, la Chine28 a déployé une vaste opération de sécurité globale dans cette région qui va prendre une tournure totalitaire à l’arrivée de Xi Jinping en 2013. Entre 2013 et 2020 le nombre de caméras est passé de 100 millions à 600 millions soit une caméra pour deux habitants.

Deux auteurs ont prédit ce destin funeste que la biométrie allait réserver à nos sociétés :

-          Aldous Huxley, romancier britannique, dans son livre Le Meilleur des mondes29 s’inquiétait de la modernité. Il imagine une société où la technologie sous couvert d‘apporter du confort et de la sécurité devient un instrument visant à conditionner et asservir l’humanité.

-          George Orwell dans 198430 imagine un totalitarisme destructeur incarné par le « Big Brother ». Dans cette société la notion de vérité objective disparait et les mots sont vidés de leur sens.

La chine est la synthèse de ces deux œuvres. Entre surveillance de masse et société hi tech, entre régime totalitaire et paradis consumériste, la Chine devient un énorme laboratoire d’expérimentation des technologies de contrôle avec plus d’un milliard de cobayes.

 

Conclusion

Tous ces éléments regroupés ensemble rappellent des périodes de l’Histoire tragiques. Lorsqu’elle sert une idéologie totalitaire, la biométrie peut causer des dégâts irréversibles. Cette technologie commence à être détestée, avec elle les sentiments disparaissent, tout est artificielle. Il suffirait d’utiliser notre raison et de rabaisser chaque crainte à son juste niveau, en distinguant l’imagination de la réalité pour parvenir à utiliser la biométrie de façon rationnelle et réfléchie. Mais en se nourrissant de nos peurs et avec la course effrénée à l’intelligence artificielle, le virus de la surveillance ne semble avoir aucune limite.

 

 

Sources :

 

1 « Biometrie - Biometrics - Le marché florissant de la biométrie », sans date (en ligne : https://www.biometrie-online.net/articles/le-marche-florissant-de-la-biometrie ; consulté le 28 novembre 2020).

2 CHILLEDCOW, Didier Lamouche, PDG d’Idemia : « La biométrie, c’est la sécurité sans les contraintes », 15 novembre 2017, 11:13 (en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=krUQ1tpSpIs ; consulté le 28 novembre 2020).

3 « AnyVision - AI-driven computer vision for a safer world », sur AnyVision, sans date (en ligne : https://www.anyvision.co/ ; consulté le 28 novembre 2020).

4 UNITED NATIONS et OFFICE FOR THE COORDINATION OF HUMANITARIAN AFFAIRS, Humanitarianism in the network age: including world humanitarian data and trends 2012, sans lieu, 2013.  

5 CHILLEDCOW, Didier Lamouche, PDG d’Idemia : « La biométrie, c’est la sécurité sans les contraintes », 15 novembre 2017, 11:13 (en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=krUQ1tpSpIs ; consulté le 28 novembre 2020).

6 BARBARE CIVILISE, Biométrie : pour le meilleur ou pour le pire ? - FUTUREMAG - ARTE, 9 octobre 2016, 18:18 (en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=lDZ2MOQZ_iM ; consulté le 30 novembre 2020).

7 Un institut spécialisé dans l’intelligence artificielle et perceptuelle.

8 « Biométrie: Une main en cire pour déjouer un système d’authentification par analyse des veines », sans date (en ligne : https://www.20minutes.fr/high-tech/2407599-20190103-biometrie-main-cire-dejouer-systeme-authentification-analyse-veines ; consulté le 30 novembre 2020).

9 « 5 millions d’empreintes digitales volées : la faille de la biométrie », sur L’Obs, sans date (en ligne : https://www.nouvelobs.com/tech/20150925.OBS6537/5-millions-d-empreintes-digitales-volees-la-faille-de-la-biometrie.html ; consulté le 30 novembre 2020).

10 « Vers une biométrie cérébrale », sur CrimeXpertise, rubrique « Biométrie », 14 juin 2016 (en ligne : https://www.crime-expertise.org/vers-biometrie-cerebrale/ ; consulté le 30 novembre 2020).

11 « Comprendre le RGPD | CNIL », sans date (en ligne : https://www.cnil.fr/fr/comprendre-le-rgpd ; consulté le 30 novembre 2020).

12 « Fonctionnement de la CNIL | CNIL », sans date (en ligne : https://www.cnil.fr/fr/fonctionnement-de-la-cnil ; consulté le 30 novembre 2020).

13 “Function creep”: Elargissement progressif de l'utilisation d'une technologie ou d'un système au-delà de l'objectif pour lequel il a été conçu à l'origine.  

14 Jacobsen Katja L, “Experimentation in humanitarian locations: UNHCR and biometric registration of Afghan refugees”, Security Dialogue, Vol. 46, no. 2, 2015, pp. 144-164.

15« Goodbye Citizenship, Hello “Statizenship” », sans date (en ligne : https://thewire.in/rights/goodbye-citizenship-hello-statizenship ; consulté le 30 novembre 2020).

16 l’ Aadhaar card

17 Un des pionniers de la reconnaissance faciale moderne

18 « Never Forgetting a Face - The New York Times », sans date (en ligne : https://www.nytimes.com/2014/05/18/technology/never-forgetting-a-face.html ; consulté le 30 novembre 2020).

19 « Nouvelles Clés - Entretien : Boris Cyrulnik - Éloge de la peur », sans date (en ligne : http://r.delaplace.free.fr/Plurital/msw/tableau/PAGES_CONVERT/Francais/21.html ; consulté le 2 décembre 2020).

20 « Attentats : l’opinion française prise au piège de la peur du terrorisme ? », sans date (en ligne : https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/attentats-l-opinion-francaise-prise-au-piege-de-la-peur-du-terrorisme-7782503130 ; consulté le 2 décembre 2020).

21 CYPRIEN, Tous sous surveillance - 7 milliards de suspects. Documentaire complet, 2020, 1:29:26 (en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=OWM3_6rSWyA&t=3656s ; consulté le 5 décembre 2020).

22 Directeur de recherche au CNRS

23 « Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de la vidéosurveillance », sur Armand Colin, 26 novembre 2020 (en ligne : https://www.armand-colin.com/vous-etes-filmes-enquete-sur-le-bluff-de-la- videosurveillance-9782200621230 ; consulté le 5 décembre 2020).

24 58 des 59 attentats déjoués depuis six ans l’ont été grâce au renseignement humain », sans date (en ligne : https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/10/15/58-des-59-attentats-dejoues-depuis-six-ans-l-ont-ete-grace-au-renseignement-humain_6015520_3224.html ; consulté le 2 décembre 2020).

25 CYPRIEN, Tous sous surveillance - 7 milliards de suspects. Documentaire complet, 2020, 1:29:26 (en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=OWM3_6rSWyA&t=3656s ; consulté le 5 décembre 2020).

26 « Patrice Franceschi: «Le traçage est un pas de plus vers le totalitarisme numérique» », sur LEFIGARO, rubrique « Vox Politique », sans date (en ligne : https://www.lefigaro.fr/vox/politique/patrice-franceschi-le-tracage-est-un-pas-de-plus-vers-le-totalitarisme-numerique-20200522 ; consulté le 2 décembre 2020).

27 « Émeutes au Xinjiang en juillet 2009 », dans Wikipédia, 15 juillet 2020 (en ligne : https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=%C3%89meutes_au_Xinjiang_en_juillet_2009&oldid=172938838 ; consulté le 3 décembre 2020). Page Version ID: 172938838.

28 CYPRIEN, Tous sous surveillance - 7 milliards de suspects. Documentaire complet, 2020, 1:29:26 (en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=OWM3_6rSWyA&t=3656s ; consulté le 5 décembre 2020).

29 « Le meilleur des mondes - Poche - Aldous Huxley, Jules Castier - Achat Livre | fnac », sans date (en ligne : https://livre.fnac.com/a10919868/Aldous-Huxley-Le-meilleur-des-mondes ; consulté le 5 décembre 2020).

30 ORWELL George et Amélie AUDIBERTI, 1984, Edition 2015, sans lieu, Gallimard, 1972.

31 C’est ainsi qu’on retrouve sur les écriteaux de la région où sont persécutés les Ouighours : « le Xinjiang est un endroit parfait ».