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La Chine, une puissance africaine

Sommet de Pekin 2018 du Forum sur la Coopération Sino-Africaine - Reuters

C’est l’histoire d‘un continent qui a longtemps été asservi par l’Occident, et qui désormais, a choisi de tourner son regard vers l’est.  

Plus de 125 milliards d’euros, tel est le montant que la Chine a prêté à l’Afrique depuis l’an 2000 et le premier forum sur la coopération sino-africaine. Ayant lieu tous les 3 ans, les FOCAC (plateforme favorisant les relations entre les partenaires africains et la Chine) vont permettre à l’empire du milieu de devenir omniprésent sur le continent. En 2018, la 7e édition a réuni plus d’une cinquantaine de dirigeants africains à Pékin. À cette occasion, Xi Jinping a annoncé vouloir investir 60 milliards de dollars supplémentaires en Afrique, confirmant sa volonté de tisser des liens politiques et économiques forts entre son pays et les nations africaines. Cette politique n’est pas nouvelle, les échanges n’ont cessé de grandir depuis des dizaines d’années faisant de Pékin le premier partenaire commercial de l’Afrique devant les Etats-Unis. Les échanges commerciaux représentent aujourd’hui autours de 190 Milliards de dollars, c’est 20 fois plus qu’il y a 20 ans, mais c’est surtout 3 fois plus que le commerce de l’Afrique, l’Inde, la France et les Etats-Unis réunis. Aujourd’hui, le continent africain accueil plus d’un million de chinois et 10 000 entreprises. Une chose est sure, cette coopération n’est pas près de s’arrêter. 

Cap sur la Chinafrique, emblème d’une coopération nouvelle. 

 

BRISER L’ISOLEMENT CHINOIS 

Dans les années 60, alors que la décolonisation est en cours sur le continent africain, la Chine noue des relations diplomatiques avec de nouvelles nations africaines, soutient les mouvements indépendantistes dans les autres, et offre même une ligne de chemin de fer pour relier la Zambie à la Tanzanie en 1965. Mais cette bienveillance n’est pas totalement désintéressée. Elle est en réalité le résultat d’un problème : la Chine a désespérément besoin d’alliés. 

À la fin du XIXe siècle, la Chine est loin d’être la puissance que nous connaissons aujourd’hui. En effet, les traités inégaux imposés par l’Europe et le Japon (1839-1864) en font quasiment une colonie. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la Chine est la cible des plans de conquêtes japonais, le pays du soleil levant envahit alors l’empire du milieu et traumatise sa population. La Chine ressort plus faible que jamais, pauvre et ravagée par la guerre malgré l’arrêt des dominations étrangères. Pour ne rien arranger, une guerre civile éclate de 1946 à 1949 opposant les nationalistes aux communistes. Le parti communiste chinois en sort victorieux et Mao Zedong dirige alors le pays. Les ressemblances idéologiques communistes font de la Russie et la Chine de grands alliés à partir de 1949. En 1950, la Chine signe un traité d’amitié, d’alliance, et assistance mutuelle avec sa voisine communiste. Pourtant, les relations diplomatiques se détériorent peu à peu et la mort de Mao (1976) n’arrange rien. La Chine fonde le club des non-alignés et reste diplomatiquement isolé malgré une amélioration, puis détérioration des relations avec les Etats-Unis. Aujourd’hui, le pays s’entend beaucoup mieux avec la Russie car ces deux puissances sont entourées par des alliés étatsuniens qui représentent une menace. C’est dans ce contexte de menace face à l’américain et l’occidental que la Chine a terriblement besoin d’alliés sur un autre continent que le sien. 

LE CONTINENT AFRICAIN, UN NOUVEL ALLIE  

La Chine se tourne donc vers un continent méprisé par l’Ouest, l’Afrique. 

En 1971, l’Assemblée général des Nations Unies doit voter pour décider qui des deux Chines représentera officiellement la Chine à l’ONU. Car oui, en réalité, il y a deux Chines : la république de Chine qui contrôlait le continent jusqu’en 1949, mais qui aujourd’hui n’administre plus que l’ile de Taiwan. Et la république populaire de Chine, qui depuis 1949, contrôle le continent. Bien sûr, les deux prétendent être la vraie Chine. Malgré les efforts des Etats-Unis, proche allié de Taiwan, Pékin est finalement admise à la place de Taipei, grâce entre autres, aux votes de 26 états africains. En quête d’alliés, la Chine ne s’est pas arrêtée là. Entre 1971 et 2018, le nombre de pays africains qui reconnaissent Pékin plutôt que Taiwan passe de 20 à 53. Le dernier en date, le Burkina Faso, fini par céder à la pression diplomatique et financière de Pékin en mai 2018. Désormais, un seul pays africain conserve des relations avec Taiwan : Eswatini, l’ancien Swaziland. Au passage, cette façon d’utiliser les pays africains pour obtenir un vote favorable à l’ONU est bien connue des Français. En effet, dans les années 60, c’est comme cela que la France a pu éviter les sanctions de l’ONU pour la guerre en Algérie. 

Si la Chine a réussi à étendre son influence en Afrique, c’est surtout car elle propose aux pays africains de se serrer les coudes à ses côtés contre l’Occident. Ce qui est frappant, c’est que soixante ans après les premières coopérations, ce discours n’a pas changé.

DES RELATIONS CHANGEANTES  

Si le discours n’a pas changé, les relations, elles, ont bien évoluées. La Chine est désormais la deuxième puissance économique du monde. Résultats, entre 1995 et 2017, le montant des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique est passé de 3 à 147 milliards de dollars, ce qui pour la Chine est peu (3,7% du commerce extérieur chinois), mais pour l’Afrique (15,4% du commerce extérieur africain), beaucoup plus. En effet, dès 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial du continent, devant les Etats-Unis. Par exemple, en Angola, en 2017, elle représentait 40 % des échanges commerciaux. Dans certains pays, la menace de dépendance commerciale est donc bien réelle, ce qui n’est pas sans rappeler l’époque où la présence était essentiellement occidentale.  

Depuis quelques années, ce ne sont toutefois pas ces échanges commerciaux qui dérangent, mais l’argent déversé par les Chinois sur le continent. L’objectif est de financer de vastes projets de construction d’infrastructures. En Ethiopie par exemple, la Chine a prêté 575 millions de dollars pour la construction d’un métro aérien en 2015. Au Kenya, ce sont 3,7 milliards de dollars qui ont été prêté en 2017 pour la construction d’un nouveau train reliant Nairobi à Mombassa. Il existe des centaines d’autres exemples à travers toute l’Afrique, mais surtout, il en existe de plus en plus. En quelques années, la Chine est devenue l’un des principaux créanciers du continent. Mais le niveau de la dette dans certains pays africains ne cesse de grimper, et ce n’est pas une bonne chose. Au Zimbabwe, l’endettement est passé de 48% du PIB en 2013, à 82% en 2017. Au Mozambique sur la même période, il a doublé pour atteindre 102% du PIB. Au total selon la banque mondiale, 27 pays d’Afrique présentaient (en 2017) une augmentation préoccupante du niveau de leur dette. Le risque est que ces pays ne parviennent plus à rembourser, ce qui ne présage rien de bon.  

Pourtant, Chinois comme Africains n’en démordent pas. 

Cette relation ambiguë peut tout à fait être gagnant-gagnant. Lorsque la Chine prête de l’argent, ce n’est bien sûr pas par générosité. Sur chacun des prêts qu’elle accorde, elle fait des bénéfices grâce aux intérêts. Pour la Chine, l’Afrique est donc un débouché pour les capacités de financements importantes dont elle dispose. Et pour l’Afrique, l’argent chinois est une opportunité rare de combler ses besoins énormes en infrastructures et donc de stimuler sa croissance et son développement. Car, et c’est peut-être là le cœur de leur relation, sans la Chine, l’Afrique serait aujourd’hui bien démunie.  

 QUE GAGNE L’AFRIQUE ? 

Il y a deux raisons qui font que les prêts chinois sont importants pour l’Afrique.  

Premièrement, ils sont particulièrement adaptés aux besoins de certains pays africains. Contrairement à la Banque Mondiale par exemple, la Chine est peu regardante sur la situation politique des Etats qui empruntent. Surtout, ces prêts sont des produits tout en un. Lorsque la Chine prête, elle apporte non seulement de l’argent, mais elle vient aussi avec ses entreprises de construction, son savoir technique, et dans certains cas, sa main d’œuvre. 

Deuxièmement, en dehors de la Chine, l’argent se fait de plus en plus rare en Afrique. Les autres bailleurs n’ont pas la capacité de prêter autant que la Chine, et surtout désormais, ils refusent de peur de ne jamais être remboursé.

QUE GAGNE LA CHINE ? 

En corrélant les situations économiques préoccupantes de beaucoup de pays africains et l’accroissement des prêts accordés par la Chine à l’Afrique, il est flagrant que donner autant d’argent devient très risqué pour la Chine. 

Les motivations de cette dernière sont économiques, et politiques et culturelles. 

Economiquement, la Chine protège ses échanges financiers. Elle fait parfois signer à ses débiteurs des clauses de sureté. Ce sont des garanties qui stipulent qu’en cas de non-remboursement du prêt, une sorte de troc s’opère à la place. Plutôt que de rembourser en argent, les débiteurs doivent rembourser en matière première ou directement en infrastructure. C’est ce qui est arrivé au Sri Lanka en 2015. L’île fait partie du projet lancé en 2014 par Xi Jinping, les routes de la soie. C’est un projet pharaonique qui consiste à relier la Chine à l’Europe tout en prêtant de l’argent pour financer les infrastructures sur sa route. C’est-à-dire sensiblement ce que fait la Chine en Afrique. En 2015, elle a donc prêté plusieurs milliards de dollars au sri Lanka pour la construction d’un gigantesque port au sud de l’île. Mais noyé dans ses dettes, le sri Lanka ne peut plus rembourser. Comme alternative au remboursement, Pékin propose alors de prendre le contrôle du port pendant 99 ans. Résultat, la Chine ne perd pas d’argent et elle devient souveraine sur un territoire bordant une des routes maritimes les plus empruntés au monde pendant un siècle.  

Mais les prêts chinois en Afrique pourraient avoir un autre objectif, politico-culturel cette fois. Depuis l’arrivée du président chinois Xi Jinping, l’ampleur des ambitions chinoise a été réaffirmé. L’objectif est la création d’un nouvel ordre mondiale dans lequel la Chine sera la nouvelle puissance économique. Or, pour accomplir cela comme pour écarter Taiwan en 1971, l’appui du plus grand nombre de pays africains est essentiel, mais pas seulement. Désormais ce que veut la Chine, c’est aussi conquérir le cœur des Africains, et pour cela elle utilise son soft power. Ces dernières années, les instituts Confucius (centres culturels qui font aussi office d’écoles de mandarin) se multiplient sur le continent : il en existe aujourd’hui 54, soit quasiment le nombre d’institut culturels français en Afrique. Mais s’il y a bien un pays dans lequel l’influence culturelle chinoise est particulièrement visible, c’est le Kenya. En effet, en 2005, a été ouvert le premier institut Confucius. Également, la télévision nationale chinoise vient d’ouvrir son tout premier bureau en Afrique à Nairobi. Tous les enfants âgés de plus de 10 ans peuvent désormais apprendre le mandarin à l’école en seconde langue.  

Contrairement aux Occidentaux, la Chine n’a pas de passé colonial avec l’Afrique. Elle considère ses nouvelles routes de la soie comme une plateforme de coopération ouverte, et non conçues pour servir un quelconque agenda politique.  

Dans les faits pourtant, l’agenda politique de la chine est de plus en plus visible et la perspective d’une colonisation chinoise en Afrique de plus en plus probable. 

 

Sources : 

 CETRI : https://www.cetri.be/La-Chine-en-Afrique-avantages-ou 

Le point : https://www.lepoint.fr/economie/afrique-chine-du-politique-a-l-economique-une-si-longue-histoire-22-07-2018-2238157_28.php 

https://www.lepoint.fr/economie/la-chine-promet-60-mds-de-dollars-au-developpement-de-l-afrique-03-09-2018-2247921_28.php 

https://www.lepoint.fr/afrique/afrique-c-est-le-moment-d-y-investir-12-11-2019-2346570_3826.php 

https://www.lepoint.fr/afrique/ces-nouveaux-partenaires-militaires-de-l-afrique-25-10-2019-2343551_3826.php 

french.xinhuanet : http://french.xinhuanet.com/2019-10/31/c_138518708.htm 

l’OBS : https://www.nouvelobs.com/monde/afrique/20180906.OBS1926/vers-un-imperialisme-chinois-en-afrique.html 

Slate : http://www.slate.fr/story/180855/afrique-chine-renforcement-presence-mediatique-numerique 

Grip : https://www.grip.org/fr/node/2696 

Agencecofin : https://www.agenceecofin.com/hebdop3/1502-64013-la-nouvelle-route-de-la-soie-quels-interets-pour-l-afrique 

ICTSD : https://www.ictsd.org/bridges-news/passerelles/news/les-relations-%C3%A9conomiques-entre-la-chine-et-l%E2%80%99afrique-%C3%A0-un-moment-de 

ID4D : https://ideas4development.org/chine-afrique-relation/ 

Cairn : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2008-4-page-35.htm?try_download=1 

Info guerre : https://infoguerre.fr/2019/09/19930/ 

La Monde : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/10/15/la-strategie-chinoise-connait-ses-premiers-deboires-en-afrique_5369683_3212.html 

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/09/l-afrique-devient-un-echiquier-ou-les-etats-unis-et-la-chine-avancent-leurs-pieces_5406904_3212.html 

Contrepoint : https://www.contrepoints.org/2018/10/29/328983-presence-chinoise-en-afrique-vers-une-chinafrique