La fin de l’économie allemande ?
On pensait le modèle allemand inébranlable, un modèle de rigueur budgétaire, de croissance économique, de vigueur industrielle et de chômage bas qui devait inspirer toute l'Europe. Pourtant, l'Allemagne souffre. Crise identitaire, faussé Est-Ouest, montée des extrêmes, ralentissement économique, etc… tout cela signifierait-il que le modèle de croissance sur lequel se repose l'Allemagne depuis une vingtaine d'années et maintenant périmé ? serait-ce la fin du modèle économique allemand ?
Cette situation particulière à l'Allemagne est causée par plusieurs événements qui se cumulent au même moment : la montée des tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine, les tensions commerciales entre les États-Unis et l'Union européenne et enfin les tensions entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Pour expliquer cette situation, il faut d'abord comprendre que l'Allemagne dispose d'une économie assez particulière puisque son potentiel de croissance est solidement tourné vers les exportations plutôt que vers sa propre consommation intérieure. C'est bien ce modèle qui a fait le succès du modèle allemand depuis plus d'une vingtaine d'années. En effet, le tissu industriel allemand est parmi les plus vigoureux du monde particulièrement si on compare avec la France : au moment où cette dernière connaissait une désindustrialisation majeure, l'Allemagne a tiré parti d'une spécialisation dans des produits industriels haut de gamme qui ont été massivement importés par les pays en développement et en cours d'industrialisation. Par exemple, les locomotives que la Chine achète depuis les années 2000. Le poids de l'industrie allemande dans son PIB est ainsi resté beaucoup plus stable qu’en France puisqu'il est passé de 33,5 pour 100 à 27,9 pour 100 sur la même période.
C'est cet engrenage qui a fourni une véritable décennie dorée à l'Allemagne. Elle est devenue en 20 ans le premier pays exportateur d'Europe avec le plein-emploi et des excédents commerciaux à ne plus savoir qu'en faire. Couplé avec une forte rigueur budgétaire, ce positionnement avantageux a permis au budget de l'état allemand d'être un excédent régulier depuis 2012. Depuis cette date, la dette publique allemande a été en constante baisse et devrait pour la première fois passer en dessous des 60 % du PIB en conformité avec le seuil établi par le traité de Maastricht. Néanmoins, ces dernières années ont vu la situation commerciale mondiale s'altérer grandement. La doctrine du libre-échange des biens et des services (qui était au cœur des accords internationaux depuis les années 1980) a laissé place au recentrage sur les intérêts économiques nationaux de court terme. Concernant le conflit commercial sino-américain, il faut comprendre que l'Allemagne est aujourd'hui le 3e exportateur mondial de biens derrière la Chine et les États-Unis avec une bonne partie des exportations allemandes qui se dirige vers ces 2 pays. La connexion est si grande que les tensions entre les 2 géants la place en victime collatérale de tout ralentissement des échanges ou perturbation des chaînes de production. Avec la nouvelle vague de tarifs douaniers réciproques sino-américain, l'Allemagne verra ses entreprises de nouveau perturbées par les changements structurels que ses tarifs douaniers produiront en Chine et aux États-Unis. Au-delà des conséquences à court terme, un phénomène à long terme plus inquiétant encore se profile pour l'industrie allemande.
En effet, l'industrie chinoise aspire. Désormais, et depuis le plan stratégique Mad in China 2025, elle monte en gamme et remplace ce qui a fait le succès des exportations allemandes, à savoir les biens industriels de haute technologie (machines, voitures de luxe, etc). Plutôt qu’être l'usine manufacturière du monde, la Chine souhaite maintenant remplacer les pays occidentaux en ce qui concerne la capacité industrielle, ce qui abaissera mécaniquement leurs débouchés en Chine. Et cela au détriment des exportations occidentales en Chine et donc allemandes. Du côté des États-Unis maintenant, Donald Trump n'est également pas seulement tourné vers la Chine en ce qui concerne le bras de fer commercial. En effet, il accuse également l'Union européenne d'avoir un trop grand excédent commercial avec les États-Unis. Cet excédent commercial est en effet assez large puisque en 2018 il était de 139,7 milliards d'euros en forte augmentation puisqu'il était de 119,6 milliards d'euros en 2017. Preuve de cette relative méfiance commerciale, des droits de douane américains relatifs aux importations d'acier et d'aluminium en provenance de lieux ont été mis en place en 2018. Ces tarifs ont d'ailleurs fait l'objet de représailles par l'Union européenne sur plusieurs dizaines de produits américains. Au sein de l’UE, l'Allemagne joue un rôle essentiel dans cette situation puisqu'elle a, à elle seule, un excédent commercial sur les biens d'environ 65 milliards d’euros par an avec les États-Unis, contre un excédent de 15 à 20 milliards pour la France. Etant donné l'appartenance de l'Allemagne à l’UE, toute action américaine contre l'Allemagne signifierait des représailles à l'échelle de l’union entière. Mais réciproquement, des mesures prises par un membre de l'Union Européenne, contre les intérêts américains (par exemple, la taxe GAFA envisagé actuellement par la France, pourrait également donner lieu à des représailles américaines contre toute l'Union.)
De fortes tensions commerciales sont également présentes au sujet du Brexit. Or, il se trouve que le Royaume-Uni est le 3e marché d'exportation allemands après les États-Unis, la France et l'Allemagne est le premier pays d'origine des biens importés au Royaume-Unis. Même s’il ne faut pas minimiser l’impact d’un changement des relations commerciales entre l’Angleterre et les autres pays européens, il est clair que l'Allemagne sera en première ligne. Cela ne veut néanmoins pas forcément dire que le modèle allemand est périmé. En effet, le choix de l'économie allemande spécialisée dans les exploitations industrielles fut un positionnement redoutablement efficace mais dont on voit aujourd'hui qu'il est une arme à double tranchant. C'est ce qui a fait le succès du modèle allemand, mais c'est aussi pour cette raison que le pays souffre le plus de la restructuration partielle de l'économie mondiale due à la montée des barrières tarifaires. De plus il est tout à fait possible que cette baisse de régime soit passagère et qu'une fois les perturbations économiques internationales et européennes derrière nous, l'Allemagne puisse retrouver de la vigueur économique en se reconcentrant sur de nouvelles cibles d'exploitation, étant donné la Chine souhaite devenir autosuffisante en biens industriels. Un autre défi qui se profile aussi certainement pour l'économie allemande, est l'entretien de ses infrastructures. En effet, une des conséquences de la rigueur budgétaire allemande des dernières années a été un sous-investissement chronique dans les infrastructures publiques du pays qui sont pourtant très utilisés par les entreprises industrielles. Les industriels allemands sont d'ailleurs de plus en plus inquiets de l'état du réseau routier et ferré allemand qui pourrait in fine, et s'il continuait à se dégrader, entraver la compétitivité des entreprises allemandes. De plus, la compétition est également en train de se réduire car beaucoup de pays tels que la France ou le Portugal en Europe, mais aussi les États-Unis, ont allégé la fiscalité sur leurs propres entreprises de la même manière que ce qu’avait fait l'Allemagne au début des années 2000. Ces marges de manœuvre supplémentaire chez les concurrents pourraient chambouler les marchés acquis aux entreprises allemandes particulièrement dans la période de restructuration actuelle des chaînes de production sino-américaine.
Sources :
Les Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/lallemagne-un-modele-economique-menace-999343
Mazars : https://www.mazars.fr/Accueil/News/Publications/Etudes/Le-modele-economique-allemand
Capital : https://www.capital.fr/economie-politique/le-debut-de-la-fin-du-modele-allemand-1336233
France culture : https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/faut-il-repenser-le-modele-economique-allemand