terra bellum

View Original

La France, son budget déficitaire et sa dette

C’est le sujet politique et économique principal de ces dernières décennies : la dette et le déficit du budget de l’État français. Négatif depuis les années 1970, le solde budgétaire n’a cessé de faire l’objet de toutes les sollicitudes des chefs d’État et des gouvernements successifs. Pour le réduire et réduire la dette, des efforts sont demandés aux Français, à travers des taxes et autres impôts – initialement provisoires et exceptionnels. Dans le même temps, les services publics sont privés de financements, soumis à une logique de rentabilité ; première étape avant la privatisation et la mise en concurrence. Aux politiques d’austérité succèdent les politiques de déflation, d’autant plus sévères que la France est pieds et mains liés aux fameux traités européens. Pourtant, cette dette que, dit-on ça et là, nos enfants et petits-enfants seront tributaires, n’est pas un fait nouveau. Au cours de son histoire, la France a toujours été en déficit budgétaire et on ne compte plus le nombre de fois où elle fit défaut. De fait, pourquoi une telle dramatisation ? Pourquoi cette obsession des politiques depuis cinq décennies à réduire les dépenses de l’État ? Ne faut-il pas y voir un dessein à peine dissimulé ?

1500 ans de déficit budgétaire

La France n’est pas connue pour sa rigueur budgétaire. Au sein de l’Union européenne, elle est souvent qualifiée de « pays du Sud » ou « latin » avec une faible considération pour l’équilibre des finances publiques. Et c’est vrai ! Les rois d’antan ont toujours dépensé sans compter, faisant régulièrement fi des avertissements de leurs différents intendants des Finances. L’exemple le plus frappant est celui de Louis XIV.

Roi de France et de Navarre (1643-1715), il n’hésitera pas à emprunter de colossales sommes d’argent avant de faire banqueroute. Sous son long règne, et malgré les efforts surhumains de son secrétaire d’État Jean-Baptiste Colbert, les comptes de l’État ont toujours été en déficit ; d’autant plus au cours des multiples guerres que le royaume a connu – de la guerre de Trente Ans (1618-1648) à la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714). Par deux fois, l’État se déclara en défaut de paiement, et par deux fois, ses créanciers n’hésitèrent pas une seule seconde à le refinancer. Car la France est riche et puissante, disposant d’un capital immobilier important et de terres fertiles.

Plus en amont dans le temps, les rois capétiens médiévaux recourraient à l’emprunt auprès de banquiers et de corporations – ce dernier mécanisme durant jusqu’au lendemain de la Grande Guerre. Pour contrer l’augmentation pharamineuse des dettes contractées, les monarques agissaient de deux manières différentes : l’extorsion des créanciers manu militari ou la dévaluation monétaire. En confisquant les biens de ses créditeurs, le Royaume annulait de facto son engagement ; en dépréciant la valeur de sa monnaie, il augmentait ses capacités de remboursement. Mais l’agrandissement du domaine royal – c’est-à-dire les terres soumises à l’autorité directe du souverain – conduisit à une hausse des revenus et à de meilleurs rendements pour les créditeurs.

Le premier « roi de l’endettement » fut Louis IX dit Saint-Louis ; pour acheter les Saintes Reliques de la Passion du Christ, il n’hésite pas à endetter lourdement le pays. Ses deux croisades seront financées de la même manière. Alors pour honorer les créances, l’État n’hésite pas à pratiquer l’extorsion et la condamnation comme avec la chute de l’ordre du Temple sous Philippe le Bel. Entre 1558 et 1788, la France fera défaut à huit reprises ! Pourtant, elle est loin d’être la seule dans ce cas : tous ses voisins européens enchaînent les banqueroutes.

La dette de la France au moment de la mort de Louis XIV (1715) comme du commencement de la Révolution (1789) s’élève à 80% du PIB. Son service – c’est-à-dire son remboursement – représente alors 2/5ème des recettes étatiques ! De la Révolution à nos jours, le budget de l’État ne sera équilibré qu’à trois reprises seulement : sous Napoléon Ier (1799-1815), au cours de la Belle-Époque (1871-1914) ainsi qu’alors des « Trente-Glorieuses » (1945-1975). Sous l’Empereur, les dépenses militaires sont assurées par les conquêtes et les réparations de guerre de sorte qu’en 1813, l’Empire affichait une dette équivalente à 20% du PIB (275% pour l’Angleterre à la même période). Malgré une défaite humiliante face à l’Allemagne coalisée et de très lourdes réparations faisant monter la dette à 87% du PIB, la Troisième République parvient à maintenir une confiance rare et un équilibre budgétaire constant. Enfin, l’extraordinaire croissance économique des années 1950 à 1970, alliée à une administration de qualité, permet au pays de conserver un budget équilibré et sain. De 110% du PIB en 1945, l’État français n’est plus endetté qu’à hauteur de 13,5% au départ du Général de Gaulle en 1969. Mais ces états de grâce ne sont qu’éphémères : aujourd’hui, la France affiche une dette de 120% de son PIB, conséquences de la crise économique de 2007 ainsi que la débâcle sanitaire de la Covid-19 en 2020. Malgré un montant supérieur à la valeur du PIB, ce n’est pas la première fois que le pays affiche une telle dette avec un record atteint en 1919 de 150%.

Quelle est la nature de la dette française en 2020 ?

Si les rois de naguère s’endettaient auprès des corporations et des banquiers, qu’en est-il de notre État contemporain ? Premier constat, la dette française n’est pas française mais étrangère. Second constat, cette dette s’apparente fortement à l’appartenance de la France à l’Union européenne. Troisième et dernier constat, l’endettement français correspond à une schizophrénie étatique consistant à promouvoir la libéralisation tout en multipliant les dépenses paternalistes.

La dette n’est pas française mais étrangère. Depuis la fin du financement de la dette publique par la Banque de France et les bons du trésor (loi Pompidou-Giscard d’Estaing datant de janvier 1973), l’État est obligé de se financer sur les marchés internationaux. Cette nouveauté – le pays s’étant depuis la Révolution financé soit auprès de sa population soit via sa banque centrale – coïncide malheureusement avec la fin des Trente-Glorieuses, la guerre du Kippour et le choc pétrolier qui s’en suivit. Face à la contraction soudaine de l’économie, l’État voit ses recettes fiscales diminuer de sorte qu’un nouveau déficit se créé – il dure encore de nos jours. Cependant, quel problème y a-t-il à se financer exclusivement auprès des marchés internationaux ? Outre la dépendance évidente induite vis-à-vis des fonds de pensions et autres institutions bancaires, cela contrait le pays à respecter plus que jamais ses engagements. Couplez cela à la rigidité constitutive de l’euro – monnaie commune européenne depuis 1999 – et des traités européens depuis les années 1980, et vous obtenez un État condamné à un cercle vicieux : en déficit, l’État emprunte sur les marchés, le service de la dette augmente, l’État augmente l’imposition pour accroître ses revenus, les entreprises et particuliers soumis à la pression fiscale font de plus en plus faillite ou défaut et l’État se retrouve encore en déficit, etc.

Cette situation inextricable nous amène au second point : l’appartenance de la France à l’Union européenne. Si celle-ci avait permis un développement économique certain, du fait d’un libre-échange stimulant, son agrandissement territorial – donc sa mise en concurrence déloyale avec des pays plus pauvres – et l’application de règles austères d’inspiration anglo-saxonne vont conduire à une servitude handicapante. Esclave volontaire d’un système européen dominé par la pensée libérale germano-américano-anglaise, l’État ne peut ni dévaluer une monnaie qu’il ne contrôle plus, ni s’autofinancer auprès de ses propres citoyens ou institutions. Le voilà donc condamné aux politiques d’austérité, de rigueur budgétaire et de destruction des services publics. Si la baisse des dépenses de l’État semble de prime abord une solution convenable pour réduire le déficit, elle s’accompagne de facto par une baisse violente de l’activité économique qui se trouve privé de ses structures vitales – de l’approvisionnement électrique à l’éducation des salariés en passant par la défense et la garantie des intérêts économiques par-delà les frontières. Et quand les services publics sont anéantis par des décennies d’austérité et de privation, cela donne la crise sanitaire de la Covid-19 en 2020 où l’hôpital public n’est même plus capable de faire face à une épidémie mineure…

Mais paradoxalement, les dépenses de l’État n’ont cessé d’augmenter depuis les années 1970. Entre la mise en place de politiques écologiques et de politiques sociales paternalistes, un décalage discursif s’est installé entre un État catastrophiste désireux de priver sa population de services publics et cette même institution multipliant des politiques injustifiées et ruineuses. L’exemple le plus frappant demeure la mise en place du Revenu de Solidarité Active (RSA) dont le but inavoué est d’acheter la paix sociale – sorte d’édit de Nantes des temps modernes – avec une frange séditieuse de la population nationale… Parallèlement, les campagnes se vident de leurs écoles, de leurs postes et de leurs cliniques – le tout dans un soucis évident « d’optimisation » ou de « gain de productivité ».



Pourquoi dramatiser l’endettement de la France ?

La dette française est importante ; sans doute l’une des plus importantes de notre histoire. Pourtant, sa question a souvent été réglée soit par la banqueroute soit par la dévaluation monétaire. Or, sa nature profonde (étrangère, servile et systémique) empêche d’user de tels outils. De plus, il y a un intérêt évident à ce que le déficit budgétaire soit pointé du doigt par les classes dirigeantes : inciter la population à soutenir un libéralisme anglo-saxon destructeur de l’État-nation moderne français.

L’État français est dépensier. C’est un fait historique et millénaire. Mais depuis 1969, il dépense surtout mal. Dominé par une classe politique mondialiste, atlantiste et américanisée, ce dernier a vu ses services publics être détruits et son rôle diminué. Mais pensez un instant comme eux… Eux qui admirent un État fédéral américain ou allemand à minima, tout juste bon à faire la guerre et soutenir l’économie en toute circonstance ; eux qui voient l’État non comme une puissance publique mais comme un soutien aux affaires financières et lucratives. En somme, la France connaît en 2020 ce que l’Angleterre et l’Amérique connurent au cours des années 1980 sous Thatcher et Reagan : une destruction systématique et coordonnée de l’État-stratège – l’État-Providence – de l’après-Seconde Guerre mondiale ; un État visionnaire, planificateur et protecteur. Pour quel résultat ?

La récente crise sanitaire à souligner l’importance de ces modèles étatiques. Corée du Sud, Taïwan, Japon ; ces nations asiatiques ont comme point commun un État fort, anticipateur et gestionnaire. Leur réussite dans la gestion de la crise du coronavirus n’y est certainement pas étrangère. Pendant ce temps-là, les nations occidentales éprises de libéralisme et d’autorité étatique faible ont été balayées du fait de leur incompétence et de leur manque d’anticipation. Pire, on a vu ressurgir une sorte d’autonomie régionale qui, pour la France, n’avait pas été constatée depuis la Révolution… Mais comment « vendre » un tel produit aux populations (car c’est bien là le but à demi-avoué par les classes dirigeantes à l’ère du marketing) ?

Depuis 1969, l’État français affiche le même procédé : présentant ses réformes comme un gain d’efficacité et une simplification pour l’usager, il incorpore progressivement des logiques privées de rentabilité et de gestion du personnel. Puis ces entreprises d’excellence affichent de lourdes dettes et des défauts de fonctionnement du fait de l’incompatibilité entre la recherche de profit et le but non-lucratif d’un service public. Devant ces défaillances, la puissance étatique propose l’ouverture à la concurrence, sensée stimulée le développement et l’efficacité économiques. Dans les faits, c’est à ce moment précis que l’entreprise est condamnée. Ainsi et finalement, l’État privatise en promettant une meilleure gestion par le domaine privé. Ce fût ainsi que des fleurons français ont été anéantis – de France Télécom à Air France, et aujourd’hui la SNCF qui fait figure d’archétype. La population, elle n’a d’autre choix que d’accepter, pensant – à tort – que la concurrence lui offrira des tarifs plus avantageux.

Conclusion

L’État français a rarement été à l’équilibre concernant ses comptes publics. Des rois aux républiques, il a toujours affiché d’importants déficits qui ont conduit à l’accroissement de la dette. Si cette dernière n’était pas un problème majeur car les outils financiers étaient auparavant du côté de l’État, l’asservissement volontaire de celui-ci aux règlements européens et l’externalisation des dettes ont conduit à une situation inextricable sous bien des aspects. Privée de sa puissance monétaire comme financière, la France se retrouve condamnée à payer une dette trop conséquente pour être remboursée, à mener des politiques déflationnistes aux conséquences terribles pour les recettes publiques, ainsi qu’à détruire sa propre puissance étatique au profit d’un dogme libéral étranger qui n’a jamais proprement fonctionné au sein de nos frontières (NDLR : pour en savoir plus, votre serviteur vous invite à vous documenter sur la banqueroute du système Law d’inspiration brit La conséquence est une hausse continuelle des impôts et taxes ainsi qu’une diminution de la qualité et de la quantité des services publics pourtant vitaux aux intérêts du pays et de son peuple – en témoigne la récente crise sanitaire de la Covid-19. Alors que faire ? L’enjeu français du XXIème siècle, au-delà de la dette, sera comme toujours une question de volonté politique et de souveraineté nationale – contre la « gouvernance » et l’Union européenne.