La légitimité du pouvoir politique en Occident (3/3)
En Occident, nous l’avons vu au cours des deux précédents articles de cette série, le pouvoir politique s’acquiert et se maintient de trois façons différentes : par la guerre, par les liens sacrés ou familiaux ainsi que par contractualisme. De même, nous avons vu les nombreux facteurs qui peuvent expliquer la perte de légitimité au sein d’une société, d’un Etat ou d’une nation. Maintenant, il est temps de porter notre regard sur des cas concrets et de faire un état des lieux de la légitimité du pouvoir politique en Occident. Quelles sont les nations qui jouissent d’une légitimité forte et quelles sont celles qui font face, au contraire, à des crises ?
Les États-Unis, la crise de la légitimité en images
Le 6 janvier 2021, une manifestation de soutien au président Donald Trump a tourné en émeute conduisant à l’occupation du Capitole des États-Unis, siège du pouvoir législatif national. Cet événement, un symbole bien plus qu’un coup d’État (ndr : fantasme médiatique des libéraux américains et des atlantistes d’Europe), témoigne de la profonde crise de légitimité que traverse actuellement la première puissance mondiale.
L’Amérique se caractérise par deux piliers institutionnels servant à la légitimation du pouvoir politique : la Déclaration d’indépendance de 1776 et la Constitution fédérale de 1787. Contrairement aux nations européennes comme la France principalement qui n’accordent qu’un intérêt limité aux textes et institutions juridiques – le fameux État de droit – les Américains vouent un culte politique à ces fondements de leur démocratie. Pourtant, il eut d’importantes crises politiques dont la plus célèbre fut la guerre de Sécession entre 1861 et 1865, conflit le plus meurtrier de l’histoire nationale. Mais une fois les incertitudes institutionnelles et économiques réglées, en somme l’État fédéral prime sur les États fédérés et le protectionnisme industriel sera l’avenir du pays, la démocratie américaine afficha une étonnante stabilité. Bien sûr, il y eut des affrontements politiques mémorables, des tensions et frictions entre les pouvoirs, mais rien qui ne fasse douter le citoyen envers son modèle politique.
Tout change à partir des années 1960. La victoire truquée de John Kennedy sur Richard Nixon n’est pas encore connue de tous, mais les assassinats politiques à répétition font ressortir l’existence d’un État profond – sorte de pouvoir parallèle à la démocratie électorale. La mort de Robert Kennedy en pleine élection présidentielle (1968), le Watergate de Richard Nixon en 1973 ou encore les mœurs légères de Bill Clinton en 1998 ne cessent alors d’éclabousser le prestige institutionnel de l’Amérique. Pourtant, au début des années 2000, la confiance demeure. Les attaques du 11 septembre 2001 liguent le peuple américain mais rapidement, les erreurs puis l’élection de George W. Bush en 2004 ainsi que la montée en puissance du pouvoir médiatique de masse ébranlent les fondements mêmes de cette démocratie. Après la parenthèse enchantée de Barack Obama, qui, à en croire les journalistes d’hier et d’aujourd’hui, était un âge d’or flamboyant, l’Amérique se retrouve dos au mur après un énième scandale électoral et le mandat clivant de Donald Trump qui incarne cette lutte entre les territoires sacrifiés de la mondialisation et les mégalopoles cosmopolites. L’invasion fugace du Capitole par ses soutiens populaires n’est qu’une manifestation parmi d’autres d’un ras-le-bol. Et ce sentiment n’est pas propre à Washington ; nous, Français, sommes bien placés pour le dire.
La France des Gilets-Jaunes
En 2017, l’élection présidentielle française déboucha à l’investiture d’Emmanuel Macron au terme d’une campagne extrêmement clivante et controversée. Outre le soutien médiatique massif apporté à l’ancien ministre de l’Économie, l’écartement politique de François Fillon a suscité doutes, colères et incompréhensions. Rappelons qu’en 2012, un scénario semblable avait écarté le socialiste Dominique Strauss-Kahn de la course à la présidence alors que ce dernier était pourtant favori dans les sondages. Quelques mois après la victoire électoral de Macron, des centaines de manifestations spontanées éclataient en France jusqu’aux journées insurrectionnelles de décembre 2018 : rues de Paris barricadées, scènes d’émeutes et de pillages, violation de résidences officielles (porte-parole du Gouvernement) ainsi que plans d’évacuations du chef de l’État en cas de débordement, la France voyait toute la légitimité politique de ses élus vaciller. Ce mouvement populaire allait porter le nom de Gilets-Jaunes.
Les Gilets-Jaunes, quoiqu’on en dise, quoiqu’on en pense, est la manifestation finale d’un sentiment d’abandon et de mépris des classes populaires par les classes dirigeantes. Jacquerie du XXIème siècle, elle porte également des aspirations démocratiques comme le référendum d’initiative citoyenne (RIC) par exemple. Aujourd’hui dénaturé par l’extrême-Gauche française et décrédibilisée par les contradictions de ses membres quant à la nature des violences urbaines et de la direction du mouvement, ce phénomène aura marqué la fin de la décennie 2010. Fondamentalement, on peut retracer les origines des Gilets-Jaunes dans le poujadisme des années 1950 qui voyait les classes actives de la Troisième République (artisans, commerçants, professions libérales) remplacées par une nouvelle structure sociale employée et tertiarisée : la classe moyenne.
Pour le reste, les Gilets-Jaunes ne sont que le résultat d’un demi-siècle de mépris bourgeois et mondialiste. Comme pour l’Amérique de Trump, cette France des ronds-points est le grand martyre de la mondialisation tandis que les métropoles et les classes dirigeantes ont abandonné toute idée nationale. De facto, c’est toute la légitimité politique qui a disparu après les nombreuses affaires de corruption, de mise en danger d’autrui ou encore de contournement démocratique (cf. référendum européen de 2005 et ses suites). Aujourd’hui, les réticences vis-à-vis des mesures gouvernementales en rapport avec la crise sanitaire sont une expression de cette défiance envers le pouvoir politique qui n’obtient l’obéissance que par la contrainte et non le consentement citoyen (amendes, chantage, etc.).
L’Europe des populismes : l’Occident illégitime ?
Enfin, en Europe, le pouvoir politique souffre d’une crise de légitimité directement liée à la construction européenne. Les États, dépossédés de leurs compétences souveraines, démontrent leur inefficacité tandis que l’Union européenne brille par son absence politique – en majeure partie à cause de l’idéologie (le dogme) libéral, atlantiste et antipopulaire.
Dès lors, le populisme fleurit partout en Europe. Pologne, Hongrie, Italie, Royaume-Uni, certains partis se hissent même au pouvoir. Finalement, c’est tout l’Occident qui semble plongé dans une crise profonde de sa légitimité politique tandis qu’ailleurs dans le monde, les grandes civilisations rassemblent autour des religions (Moyen-Orient) ou d’un État-providentiel fort (Asie). Personne ne peut prédire l’avenir, mais nous constatons dès lors un profond déclassement des nations européennes et de l’Amérique au profit de nouveaux géants russe, chinois ou encore moyen-orientaux.
Ainsi, pour conclure, il convient de réaffirmer qu’en l’état, l’Occident doit se réformer ou il verra ses différentes populations l’abandonner – soit par implosion, soit par insurrection, soit par retour aux fondamentaux historiques…