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La (mauvaise) fiscalité du capital en France

Bercy, siège du ministère français de l’Economie et des Finances - Bertrand Guay

S’il y a bien un sujet en France à ne pas aborder sous peine de subir les foudres des hystéries collectives, c’est bien celui des impôts. Il suffit d’allumer sa télévision ou de se promener sous les pages commentaires des articles sur Internet pour entendre tout un chacun se plaindre que ces derniers n’ont jamais été aussi élevés alors que le service public se dégrade. Parmi eux, il est un sujet encore plus épineux pour gouvernement en manque de ressources financières ou de justice fiscale : la fiscalité du capital.  

On peut définir le capital comme « Toute richesse provenant de l’épargne ou de l’emprunt qui ne sert pas à la consommation immédiate mais est destinée à la production de nouveaux biens ou d’un nouveau revenu » [1]. On peut envisager cette notion sous deux angles. Si on se place du point de vue de l’entreprise, on parle d’actifs (machines, technologies, savoirs faires, brevets, bâtiments, titres, investissements ou même sommes d’argent…) qui seront employés par elle à produire des richesses dans le futur, et qui ne seront donc pas consommées tout de suite (car ils ont vocation à exister pendant plusieurs mois ou plusieurs années). Ils représentent le socle, l’investissement initial des constituants de l’entreprise (futurs actionnaires) qui a été mis en commun pour démarrer l’activité sous forme de société (c’est pourquoi on parle dans le langage financier de capital social). Il s’agit de l’ADN productif de la société. Si on se place du point de vue du particulier, le capital représente les actifs (immobiliers, financiers, bancaires) d’une personne ou d’une famille, dont le but est de les faire fructifier au long de l’existence afin de faire face aux aléas de la vie, et de les transmettre aux générations futures. 

La fiscalité française est ambiguë sur cette masse. En effet, les premières formes d’impôts ont d’abord porté sur des actifs physiques et identifiables (les récoltes, les champs, les maisons), dont l’existence est facile à attester, et qu’il a fallu rattacher à un propriétaire (d’où la mise en place progressive d’un cadastre et des registres d’état civil précis). L’idée était donc de frapper les possessions de tout un chacun à un instant T (impôts fonciers, à travers le célèbre « impôt sur les portes et fenêtres » mis en place par Napoléon) d’une année sur l’autre. Le capital personnel et professionnel étaient donc allègrement mêlés. 

Par la suite, avec la révolution industrielle et le développement de l’économie capitaliste avec son lot de capital immatériel (marques, techniques), la fiscalité s’est portée sur les flux de création de richesses. On ne cherche plus à frapper les biens, mais les fruits qu’ils génèrent. C’est dans cette optique que sont institués l’impôt sur le revenu en 1917, l’impôt sur les sociétés en 1948, mais le dispositif le plus emblématique reste la TVA, instituée en 1954. Dans cette optique, les deux ensembles sont clairement séparés, car le droit commercial a consacré la société en tant que personne morale passible de l’impôt (création de la société anonyme en 1867, et de la Société à Responsabilité Limitée en 1925). L’enjeu pour l’entrepreneur est alors de placer à l’intérieur ses actifs professionnels pour les soustraire à une fiscalité économique de plus en plus forte. 

Pour autant les anciennes formes d’impôts féodaux n’ont pas encore disparu du code fiscal français. Entre les taxes locales nées de la décentralisation (taxe foncières, d’habitation, la C3S), les droits départementaux hérités de la complexification du système juridique (droits d’enregistrements, de mutation, de succession) et la myriade de cotisations sociales patronales assises sur les salaires (donc sur la valeur du capital humain en quelque sorte), on se rend compte qu’une part non négligeable des impôts perçus par la République française sont encore des prélèvements sur un actif possédé. Comme si le simple fait d’exister (même sans produire de richesses) devait l’amener à être taxé. Comme si l’Etat n’avait qu’à se servir sur l’existant pour capter la source de sa puissance. Comme s’il n’y avait qu’à se baisser pour ramasser ce qui est tombé par terre. De tels types d’impôts sont injustes et inefficaces. Voici pourquoi.

LA POULE AUX ŒUFS D’OR 

Il n’est pas nécessaire d’être thésard en économie pour se rendre compte que le monde change : n’importe quel reportage ou article vous dira que celui de demain sera porté par une révolution technologique permanente, fondée sur la connaissance. Les pays qui sauront attirer les cerveaux et les capitaux seront les mieux placés pour développer cet écosystème. Et quoi de pire pour un investisseur que de voir son actif dévalorisé dès son entrée sur un territoire ? Comme un péage qui réclame son dû avant même de lever la barrière. Si les impôts de production trop élevés sont un frein à la création de richesses, les impôts sur le capital sont un frein à la possibilité même de créer des richesses. Et vous aurez beau instituer tous les crédits d’impôts recherche du monde, vous continuerez de renvoyer le message que vos chercheurs dans leur laboratoire flambant neuf devront payer avant de pouvoir trouver quoi que ce soit. 

C’est que ce type de taxes ont pour effet de réduire d’emblée la rentabilité d’un actif. Ce dernier part donc avec un solde négatif : en plus de devoir amortir son coût d’achat, il devra supporter son coût fiscal. Une gageure quand l’économie de demain sera « à coût marginal zéro » [2]

Bien sûr, on rétorquera que celle-ci aura de moins en moins besoin d’infrastructures, et que l’explosion du business de la mise en relation rendra la satisfaction de nos besoins moins dépendante de structures capitalistiques volumineuses et chères. On rétorquera alors que tant que l’argent existe, le capital existera (Karl Marx ne nous a-t ’il pas appris que l’argent était le point d’entrée et de sortie unique du cycle capitaliste ?), et que tant qu’il sera là, il y aura un Etat pour le prélever. 

Au contraire, les impôts sur les flux ont le mérite de s’appuyer sur une création réelle de richesses, pour lesquelles il restera toujours un surplus pour le preneur de risques (à condition de ne pas être confiscatoire pour l’investisseur, qui a le doit de jouir du fruit de son actif). Agir fiscalement sur les flux (le revenu, le salaire, le dividende, l’investissement) est beaucoup plus efficace que d’agir sur les stocks (le capital, l’actif), car c’est s’attaquer au produit final de l’économie, et c’est par eux que l’on peut orienter efficacement les comportements individuels et collectifs. Taxer le capital, c’est un acte de paresse qui n’a pour but que de remplir le panier. Taxer les revenus permet au contraire de mettre en place une véritable politique économique et d’agir sur les variables de la production. Pour faire plus imagé, il faut laisser la poule tranquille, et taxer les œufs. 

L’ISF, LE PLUS STUPIDE DE TOUS LES IMPÔTS  

Actuellement les deux types d’impôts cohabitent dans le droit fiscal français. Il n’empêche que celui-ci comporte des cas extrêmes de ce qu’il ne faudrait pas faire. Et rien n’est dans ce cas plus emblématique que l’Impôt sur la Fortune. 

Institué en 1981 par le gouvernement de François Mitterrand, l’Impôt sur la Fortune (transformé en Impôt sur la Fortune Immobilière en 2018) consiste à frapper d’un prélèvement progressif (de 0,5% à 1,5%) la valeur nette de tout le patrimoine immobilier d’un particulier supérieur à 1 300 000€. Il s’agit de l’archétype même de ces impôts aveugles qui grèvent les rentabilités et découragent les investissements, tout en érodant la valeur d’un bien dans le temps. Ce dernier n’est en réalité en rien un instrument de justice fiscale, lui qui représentait 5,1 milliards d’euros de recettes en 2017 [3], soit un montant dérisoire à potentiel de redistribution insignifiant. Il est en revanche, couplé à l’inflation, un formidable outil de dévalorisation des patrimoines dans le temps. Le fait que les titres financiers et les biens professionnels aient été sortis de son assiette par la Loi de Finances de 2017 ne change rien à l’affaire (de multiples abattements et dispositifs incitatifs existaient déjà pour réduire le coût de transmission des entreprises ou les sortir de l’assiette) : l’immobilier (près de 60% de l’ensemble du patrimoine des ménages français en 2015 selon l’Insee [4]) devra continuer de subir les conséquences de cette facilité fiscale qui consiste à taxer sans réfléchir ce qui a de la valeur. 

Si l’on veut faire de la justice fiscale, il faut, on l’a dit, frapper avant tout les revenus générés par le capital, mais ne pas s’attaquer à lui. En ce sens, des dispositifs fiscaux comme des barèmes progressifs élevés pour les hautes tranches (progressivité accrue de l’impôt sur le revenu) ou la feu taxe à 75% de François Hollande (finalement réorientée vers les entreprises versant ces hauts salaires) ou la « flat tax » à 30% sur les revenus du capital voulue par Emmanuel Macron sont bien plus intéressants, en ce sens qu’ils permettent de prélever les recettes de l’Etat sur un surplus de richesses sans remettre en question la valeur des bases productives de l’économie. Ce qui devrait être l’objectif premier de toute politique économique qui se respecte.  

 

Sources  :

[1] Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, Claude-Danièle Echaudemaison, 2009 

[2] La nouvelle société du coût marginal zéro, Jeremy Rifkin, 2016 

[3] Les recettes fiscales 2017, Cour des Comptes 
https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2018-05/NEB-2017-Recettes-fiscales.pdf  

[4] Enquête sur le patrimoine des français, Insee 
https://www.insee.fr/fr/statistiques/3549498?sommaire=3549502