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La République laïque

Photo par Stephanie LeBlanc : Saint Chapelle, Paris, France - Unsplash

Article par : Jey. Cor.

En 2019, il est un principe incontestable en France : la République est une, indivisible et laïque. Si ce qui est appris aux têtes blondes du pays depuis plus d’un siècle se veut une réalité, la vérité est bien plus nuancée. La laïcité est la reconnaissance du droit fondamental d’un être humain à croire en ce qu’il désire à partir du moment où cette croyance est confinée à l’espace privé et n’implique donc pas d’influence sur la vie publique. En l’état donc, la France reconnaît toutes les religions mais leur interdit d’exercer une influence sur la vie politique et publique. Cette laïcité, née de la séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905, a une raison : rendre l’Etat souverain et les cultes éloignés du pouvoir politique. Pourtant, cette laïcité, de prime abord, apparaît incompatible avec une France qui s’est très longtemps (1500 ans), targué d’être le fer de lance du catholicisme en Europe et dans le monde. D’où vient cette laïcité ? A quoi ressemble-t-elle aujourd’hui et quels sont les problématiques nouvelles du XXIème siècle ?

Depuis le sacre de Clovis en 486, la religion du Royaume des Francs puis de France est le christianisme. Seule autorité fédératrice à un temps où l’Empire romain brûlait, la chrétienté a permis à des peuples barbares d’exercer une autorité sur des populations autochtones désemparées. En se présentant comme les nouveaux défenseurs de la Foi, les Francs devinrent des souverains respectés et vénérés. Le christianisme sera donc l’élément fédérateur du Royaume de France, d’aucun dirait central. C’est ainsi que des rois, puis empereurs, comme Charlemagne, n’eurent de cesse que de christianiser l’Europe centrale (l’exemple des Saxons est révélateur de la lutte contre le paganisme). En faisant cela, il démontre au Pape qu’il est capable de défendre la Foi et à sa population qu’il peut redonner un semblant d’ordre impérial dans des régions qui ont été traumatisées par la chute de Rome.

Un tournant s’opère cependant avec l’arrivée au pouvoir des Capétiens. Ces derniers, dont le premier roi fut Hugues Capet en 987, étaient de petits comtes de Paris, sans grand pouvoir militaire ou économique. C’est d’ailleurs pour cela que les Grands du Royaume les avaient élus rois : car ils constituaient une concurrence et une menace faibles. Mais les Capétiens n’allaient pas en rester là et, usant de ruse et de stratégie, ils parvinrent à étendre leur domaine personnel jusqu’à ce que, à l’avènement des Bourbons, les frontières du royaume se confondent avec celles du domaine personnel du roi. Et dans cette politique de centralisation et d’unification d’une France plurielle, la religion tint une importance immense, toujours associée à la figure du roi, dont on disait d’ailleurs qu’il l’était de droit divin. Pourtant, par peur ou par fidélité, les rois de France n’iront jamais jusqu’au gallicisme, la Foi chrétienne propre et unique à la France seule, coupant les ponts avec le souverain pontife… ce ne sont pas les excommunions qui manquent pourtant !

Toujours est-il qu’en 1789, lorsque la Révolution éclate, la bourgeoisie conquérante décide de soumettre la religion à l’Etat, opérant par là-même un renversement des valeurs puisque depuis des siècles, c’était bien la Foi qui précédait l’Etat. La suite est connue : serment de fidélité à la Révolution, prêtres réfractaires, abolition de la monarchie, mobilisation de masse, révoltes en Vendée et en Provence, guerre civile entre républicains naturalistes et « l’Armée catholique royale ». Il faudra attendre l’empereur Napoléon Ier pour qu’un compromis soit trouvé : « le Concordat ». La France reconnaît et protège les religions catholiques, protestantes et juives en reconnaissant toutefois que la religion d’Etat est le catholicisme. Ce dernier conserve son emprise sur le peuple tout en devant son statut à l’Etat. Ce concordat durera jusqu’en 1905.

Pendant tout le XIXème siècle, la France est catholique et l’Eglise organise l’éducation et la vie sociale avec l’appui de l’Etat. Mais des suites de la défaite impériale et républicaine de 1870-71 ainsi que l’impossibilité de compromis au sein des monarchistes, les républicains prennent les rênes de la Troisième République et nombre d’entre eux considèrent que l’influence catholique, associée au monarchisme, doit être combattue. On arrive donc logiquement, bien qu’avec de nombreux débats houleux, à la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat : une loi républicaine pour installer la République dans le cœur et le cerveau de la population. Cette loi n’est pas isolée, elle fait partie d’un ensemble qui, entre 1880 et 1910 va effectivement permettre de graver dans les esprits la République comme régime naturel de la France et qui fera donc reculer le royalisme jusqu’à la disparition à partir des années 1920 et 1930, remplacé par une droite nationaliste républicaine dont le régime de Vichy sera l’archétype même.

La laïcité a permis une républicanisation de la société, faisant reculer les royalistes. A-t-elle pour autant permis une déchristianisation ? La réponse est à nuancer. En effet, la Foi avait opéré, à partir de la Révolution française, une bipolarisation économique. Ainsi, plus on remonte l’échelle financière et plus la population est croyante et pratiquante : les classes pauvres affichant un rejet de la religion, influencés par la Révolution de 1789 ou le socialisme révolutionnaire, et les classes aisées affichant une attache quasi-viscérale à la religion. Une nuance à apporter cependant : les professions libérales, pourtant aisées, affichent une défiance par rapport à la religion alors que les paysans, bercés par l’Eglise depuis des siècles, sont très croyants et pratiquants. La principale division s’opère donc entre villes et campagnes avec des urbains moins croyants que les campagnards (bourgeoisie et noblesse de Province comprises). Toujours est-il que l’objectif premier est rempli : reléguer la religion à la sphère privée et rendre à l’Etat son unique champ de compétence politique dans le plus pur style libéral : l’Etat libéral étant opposé à une ingérence publique dans la sphère privée.

Mais alors pourquoi aujourd’hui, plus d’un siècle après son vote, la laïcité fait-elle en débat ? Eh bien parce que la France a changé. Depuis les années 1970, la France connaît une immigration extra-européenne massive qui a la particularité nouvelle d’être familiale : de ce fait, les immigrés, plutôt que de s’intégrer aux structures supra-individuelles modernes que sont la ville et l’Etat, demeure dans une zone de confort traditionnelle : la famille. C’est ainsi qu’on vit des quartiers se communautariser, se « familiariser », se qui ne fit que conforter l’individu dans sa culture familiale privée plutôt que dans l’investissement envers la vie publique. Plus important, la religion, ciment des sociétés traditionnelles, s’est développé dans ces quartiers jusqu’à devenir publique et s’ingérer dans la vie sociétale.

C’est là que la laïcité est mise en cause car si en 1905 elle avait à faire à une religion sur le déclin, en 2005, elle doit affronter une religion dynamique et de plus en plus implantée au fur et à mesure que l’immigration s’intensifie. Elle entre même en conflit avec la religion musulmane en cela qu’elle promeut la sacralité dans la sphère privée là où l’islam se définit comme une religion publique. Or, dans une société de plus en plus cosmopolite car mondialisée, la laïcité semble ne plus avoir sa place : pour les musulmans tout d’abord qui la considèrent comme une atteinte à leur foi, et pour les Français autochtones qui voient les fondements chrétiens de leur civilisation s’effondrer au profit d’un multiculturalisme destructeur et qui réaffirme, dans une sorte de réaction, les racines chrétiennes de la France.

Un siècle après son adoption, la laïcité est à la croisée des chemins. La France doit-elle revenir à un système de concordat type pré-1905 avec l’affirmation de la religion catholique romaine comme religion d’Etat ? Doit-elle continuer dans la voie initiée en 1905 et combattre l’islam au risque de troubles ? Ou doit-elle abandonner la laïcité et mettre en place un laisser-faire communautariste qui permettrait à chaque religion de s’exprimer et de s’organiser librement et sans contrôle ?