La Sapiocratie, succédera-t-elle à la Démocratie ?
Origine de la Démocratie
« Mais quand le peuple est maître ou n’agit qu’en tumulte,
La voix de la raison jamais ne se consulte ;
Les honneurs sont vendus aux plus ambitieux,
L’autorité livrée au plus séditieux. […]
Le pire des Etats, c’est l’Etat populaire »
Corneille avait déjà, à son époque, diagnostiqué l’aspect bancal d’un système démocratique…
Le Bret fait ressortir ce symptôme névrosé par son inquiétude à l’égard des émotions fluctuantes et impulsives du peuple.
Gouverner sous le ton des émotions n’a jamais été un facteur de stabilité et de contrôle.
La peur est souvent décrié comme un catalyseur de vote et notamment lorsqu’il est utilisé par des politiques pour nous faire adhérer à leurs idéologies. Ainsi, nous pouvons admettre et constater la vulnérabilité des émotions quant à l’aptitude à juger et décider avec justesse et discernement.
Nous pourrons également faire écho à Edgar Morin qui disait : « La démocratie tolère les intolérants ». Rappelons la composition étymologique de chacun des mots évoqués dans le titre :
Démocratie = démo (peuple) + cratie (pouvoir)
Sapiocratie = sapio (sage) + cratie (pouvoir)
La sagesse est l’art de se connaître soi-même. Une preuve de recul, une remise en question perpétuelle de sa pensée, un esprit tourné vers le bien commun et en l’occurence du pays auquel on appartient.
Pourquoi le nombre ne fait pas raison ?
Il était une fois un sophiste, un aveugle et un sage. Un jour, le sophiste entendu que la Terre était plate. Le sage contredit cette rumeur aussitôt. Quant à l’aveugle, étant en incapacité de choisir, il guida son avis en fonction des arguments du sophiste et du sage. Comme le sophiste maitrisait mieux l’art oratoire que le sage, l’aveugle pencha à croire que la Terre était plate. Enfin, quand on demanda aux habitants de la Terre (sophiste, aveugle et sage dans l’histoire) si elle était plate ou non, la majorité vota que oui et le fait fût admis.
Voilà comment, en demandant l’avis de la majorité, on peut aboutir à des absurdités.
Il est commun aujourd’hui de dire qu’on préfère la qualité à la quantité. Quand est-ce qu’on se posera la question pour le vote électoral ?
Depuis quand les ignorants doivent décider ?
Ignorants ou non-concernés s’expriment de plus en plus sur des sujets qui leur sont inconnus voire incompréhensibles.
Les hommes jabotent des logorrhées interminables sur l’avortement, les hommes de terres reculées s’expriment sur ce qu’on devrait faire avec les frontières… En bref, les non-concernés exaspèrent.
Egalement, nous retrouvons des masses d’électeurs qui votent et qui, de fait, ne connaissent ni d’Adam ni d’Eve les engagements, les propositions ou mêmes les programmes des candidats politiques.
Nous pouvons remettre en question la démocratie sur ce point : est-il plus pertinent d’avoir un avis et une décision (vote) d’un citoyen ayant atteint 18 ans ou d’un citoyen s’étant renseigné sur le devenir de sa polis ?
Sinon en suivant cette logique, et sachant que les tortues peuvent vivre jusqu’à 150 ans, peut-être pourrions demander à Nemo de retrouver ses amis tortues et de leur demander leur avis sur la réforme des retraites ?
L’intérêt commun prend le pas sur l’individuel
« L’Etat n’est pas l’agrégation de problèmes particuliers ». Le système étatique se base sur un consensus de sa population pour obéir aux lois de son système. Dans cet effet, chaque membre doit bien comprendre que la politique doit servir à réformer le système pour l’intérêt commun plutôt que de l’intérêt particulier.
Le vote électoral est beau-parleur, le vote du comportement de consommation est honnête-homme
Le vote électoral est attisé par la verve du : « au nom du peuple », nos politiques l’ont bien compris. Ainsi fait-on naître l’hypocrisie argumentaire dans les logorrhées des discours de campagnes présidentielles et autres.
« On fait au nom du « peuple » ce qui est en réalité la volonté de quelques-uns qui n’assument pas la responsabilité ».
Le vote du comportement de consommation est un indicateur sincère des actes du citoyens. Il y a dire et faire, et à cela, beaucoup se contredisent et ne sont pas alignés avec les valeurs desquelles ils se revendiquent.
Le permis de vote
Le permis de vote doit s’obtenir par étude et connaissance, non par un âge atteint.
Le droit de vote est, aujourd’hui, acquis comme on acquiert le droit d’acheter de l’alcool à la supérette.
Il nous faut rehausser le prestige et la légitimité de ce droit non seulement primordial et naturel. Mais aussi car, étant trop considéré comme acquis, nous avons négligé son importance et fourvoyé son devoir ; soit : voter avec sagesse et discernement pour un candidat qui saura porter l’intérêt commun (en l’occurrence celui de son peuple) comme la première de ses motivations.
Le vote électoral nuancé
Aymeric Caron explique dans Utopia XXI que nous nous faisons surprendre à chaque élection présidentielle dès qu’arrive le deuxième tour. Ainsi, le peuple se trouve à choisir entre la peste et le choléra. On se plaint et replaint, les votes blancs s’accumulent comme du vent dans les urnes pour qu’au final rien n’aboutisse et que le peuple se retrouve à nouveau dans une impasse.
La solution proposée ? Une échelle de vote de 1 à 10, permettant de nuancer son vote par « ordre de préférence ». Ainsi, même si votre candidat favori ne passe pas, il y aura peu de chance (en tout cas moins que si vous ne votiez que pour une personne) que des candidats « impopulaires » passe le second tour.
La Sapiocratie va-t-elle triompher ?
L’illusion du pouvoir du peuple est certainement l’écran de fumée le plus décrié que l’on fait de la Démocratie.
A ce propos, Condorcet rapportait :
« Plus un peuple est éclairé, plus ses suffrages sont difficiles à surprendre […] même sous la constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave ».
On ne peut se cacher indéfiniment sous les grandes excuses et se défaire de toute responsabilité citoyenne. La sagesse, les connaissances et l’ouverture d’esprit prime sur l’opinion et le vote citoyen. La capacité de réflexion, les prises de décisions tournés vers l’intérêt commun (pour le pays) et la justesse des choix guidé par la connaissance constituent les vecteurs les plus importants d’une bonne Sapiocratie.
Bodin constatait que les assemblées était menacées par le nombre : « La plus saine partie des meilleurs cerveaux est toujours vaincue par la plus grande ».
On connait l’adage : « un Homme averti en vaut deux ». Et bien nous pouvons le réitérer pour l’Homme sage.
En conclusion, le sujet est vaste mais cet article ouvre une brèche. S’il suscite de l’intérêt, nous pourrons l’étayer dans l’avenir.
Mais rappelez-vous de ce mot : Sapiocratie.
Sources :
Histoire des idées politiques aux temps modernes et contemporaines, Philippe Nemo.
Cinna, Corneille.
Utopia XXI, Aymeric Caron.
Au péril des idées, E.Morin et T.Ramadan.
Le terme « sapiocratie » est une création originale de cet article.