La violence politique à Londonderry, emblème des scissions de l’Irlande du Nord
L’Irlande du Nord depuis des décennies maintenant est le centre névralgique d’un conflit religieux qui dure depuis des siècles entre d’un côté les protestant pro anglais et loyalistes qui sont favorable au maintien de la région d’Ulster dans le Royaume Uni et les catholiques pro-irlandais et républicains favorable à l’unification des deux Irlande. Ce conflit a débuté à la fin des années 60 par un mouvement pour les droits civiques contre la ségrégation confessionnelle que subissait la minorité catholique. Une marche a été organisée puis réprimée par la Royal Ulster Constabulary ou RUC, la police protestante qui agissait pour le compte du Royaume Uni. Malgré le statut pacifiste de leur rassemblement, les catholiques nord-irlandais vont être victime d’acharnement et battus. Cet évènement a été à l’origine de la période des « troubles » marquant 30 années de conflits. On peut relever des épisodes violents comme le bloody Sunday à Londonderry ou Derry[1] en 1972 qui a envenimé la situation déjà très tendue. En effet l’IRA « Irish Republican Army » multipliera par la suite des actes « terroristes » pour infléchir la politique du gouvernement britannique. C’est avec l’accord de Hillsboroug, le cessez le feu de l’IRA en 97 et surtout l’accord du vendredi saint avec l’aide de l’Union Européenne que commence un long processus de paix. Mais celui-ci s’avèrera tortueux, fragile et très difficile à mettre en place. En effet, on assiste actuellement, dans certaines régions de l’Irlande et plus particulièrement à Londonderry, à une résurgence des vieux démons du passé dans un contexte social, politique et économique déjà très tendue et incertain prêt à tout moment à s’enflammer. C’est ce qui s’est passé en janvier 2019 quand un attentat à la voiture piégée a eu lieu. Mais c’est surtout le meurtre par balle perdue de la journaliste Lysa Mckee en mai de la même année, lors d’un affrontement entre les forces de l’ordre et la New IRA, qui a été le catalyseur. Ainsi même si la passerelle qui enjambe la rivière du Foyle[2] se voulait être un trait d’union entre les communautés, tous les médias, hommes politiques ou acteurs publics s’accordent à dire que les évènements cités précédemment, ont mis à mal les efforts de paix et peuvent être témoins d'une recrudescence des violences à Londonderry mais est-ce vraiment le cas ?
Rationalisation de l’image médiatique contemporaine portée sur Londonderry
La période des « troubles » (1969-1998) a plongé l’Irlande du Nord et Londonderry dans un climat d’insécurité et de violence quasi permanent. En effet durant cette période de guerre civile, on comptait 3480 morts, 47 500 blessés, 19 600 prisonniers emprisonnés sans jugement, 37 000 fusillades et 16 200 attentats. Depuis le traité de paix de 1998 marquant la fin de cette période, l’Irlande du nord n’est plus en guerre, la situation s’est largement apaisée et les actes d’animosités ont fortement diminués. Le nombre de morts, de blessés, de fusillades a été divisé par 20 durant ces 20 dernières années. Le processus de paix semble avoir fonctionné, pourtant ces deux dernières années, la lecture des journaux nous montre le contraire. Ce qui incite les médias à faire un écho entre ces dernières années et la guerre civile, c’est la résurgence d’évènement cinglants, cités précédemment, qui ont mis le feu au poudre fin des années 60 et qui ont caractérisé cette future période. Mais aujourd’hui la situation n’a rien avoir, en aucun cas Londonderry serait devenu une machine à remonter le temps. Dernièrement, les émeutes et les attentats se révèlent être très épisodiques. Les passages à l’acte sont nettement moins préparés et ceux les déclenchants ont beaucoup moins de moyens et de soutiens. Cette médiatisation néfaste qui extrapole les actes d’animosités épisodiques et qui utilise sans modération le champ lexical du danger « désordre », « troubles » et « violence », alimente la peur et le sentiment d’insécurité des habitants de Derry et cela amène des répercutions lourdes dans l’économie et le tourisme local. Il faut donc se détacher de la couverture médiatique qui a tendance à amplifier à tort les évènements et prendre conscience que le contexte pacificateur actuel a engendré une forte accalmie dans la région. En effet, l’Union Européenne depuis le début du siècle continue fortement au processus de pacification en allouant au district de Derry des aides européennes pour dynamiser le territoire et son économie. Elle a aussi financé la création du Derry Peace bridge en 2011 qui traverse le Foyle et qui marque symboliquement l’union et le rapprochement des communautés autrefois ennemies.
La véritable situation de Londonderry et compréhension de son déchainement
Les médias font ainsi passer une image de Londonderry comme un ville en proie à la violence en extrapolant sur les derniers évènements et sur les acteurs. Pour eux Londonderry serait victime quotidiennement d’attaques provenant de groupuscules paramilitaires qu’ils nomment « terroristes ». Mais la réalité est bien loin de cette vision réductrice qui impacte l’économie et le tourisme locale. Ce qu’il faut comprendre c’est que pour les groupes paramilitaires, (IRA[3] « Irish Republican Army », UDA[4] « L’Ulster Défense Association ») qui sont responsable des divers incidents dans la région, la violence est un outil de dernier recours. Même si ces groupes sont séparés religieusement et physiquement par la rivière du Foyle, ils partagent la même lutte contre la paralysie et la pauvreté de la région. Des deux côtés, ils subissent de plein fouets l’inactivité politique de leurs dirigeants. Ces derniers, au lieu de s’unir pour le bien-être de l’Irlande du Nord, se bornent aux vieilles rivalités politiques et religieuses, laissant l’Angleterre gouverner en Intérim. Ainsi, beaucoup de personne à Derry, surtout du côté catholique mais aussi de plus en plus du côté protestant, se plaignent de l’ingérence britannique mais surtout de son inefficacité. En effet, récemment l’Irlande du Nord fait face à de nombreux défis structurels qui entravent ses résultats économiques. Sa croissance de l’emploi et de la production sont en baisse et elle a une proportion élevée de sa population qui est inactive. Les habitants de Londonderry et de l’Irlande du Nord ont aussi marre de cette situation économique et sociale qui fait que se dégrader au cours des années. Mais ils refusent à l’unisson de recourir à la violence ou à la prise d’armes. Ceux-ci se tournent plutôt dans le social et le politique pour faire bouger les choses à leur échelle. Ils ont compris que le changement ne viendra pas de Londres mais de chez eux. C’est ainsi qu’on voit apparaitre de plus en plus ces dernières années des centres sociaux qui ont pour but, dans leurs domaines respectifs, de rendre la vie locale beaucoup plus solidaire, agréable et humaine. On voit également apparaitre à l’échelle locale des représentants qui se font élire indépendamment des partis politiques. Ils prônent la rupture des conflits religieux et se disent représentant des intérêts de la ville et de sa population, plutôt que d’une idéologie politique restreinte qui n’a jamais fait ses preuves. C’est pourquoi sur le mur des revendications des séparatistes dans le quartier du bogside a été ajouté « non en notre nom » symbole du rejet de la population à une nouvelle période de « troubles ».
[1] Derry est le nom utilisé par les catholiques républicains pour désigner la ville de Londonderry. Cette appellation, enlevant le préfixe « London », marque le rejet du Royaume-Uni.
[2] Le Foyle est une rivière séparant en deux les communautés religieuses à Londonderry.
[3] IRA est le groupuscule paramilitaire républicain et pro-nationaliste.
[4] UDA est un groupuscule paramilitaire protestant et loyaliste.
Sources :
https://www.guide-irlande.com/culture/troubles-en-irlande-du-nord/
https://www.britannica.com/place/Londonderry-city-and-district-Northern-Ireland
https://www.persee.fr/doc/irlan_0183-973x_1997_num_22_2_1411
EU Programme for Peace and Reconciliation in Northern Ireland and the Border Region of Ireland