Le Covid-19 comme révélateur des failles du circuit mondial du médicament
La crise actuelle du coronavirus a commencé le 1er décembre 2019, quand le premier cas de Covid-19 a été détecté à Wuhan. Le virus s’est répandu, par la suite, comme une trainée de poudre sur l’ensemble du globe jusqu’à partiellement paralyser l’ensemble de l’économie. Dans ce cadre, la circulation et la chaine d’approvisionnement du médicament et des dispositifs médicaux a été fatalement touchée, reconfigurant de ce fait sa régulation et particulièrement celle dédiée à l’achat public. En effet, les anciennes procédures étant trop techniques et strictes, laissent place à des négociations directes souvent proies au favoritisme et à la malversation. Cette conjoncture favorise donc l’affirmation d’un chaos généralisé sur l’ensemble des étapes de la chaine d’approvisionnement mais force sera de constater que cette explosion est en réalité le résultat accumulé d’un ensemble de facteurs variés et initiaux qui gangrenaient la stabilité de la chaine.
Un système voué à s’effondrer
Un ensemble de facteurs menant inévitablement à la crise
La fragilité de la chaine d’approvisionnement du médicament ne s’est pas révélée uniquement à cause du Covid-19, il a seulement démontré la caducité de son organisation et de son fonctionnement globalisé. A cette échelle, la vulnérabilité de la chaine de valeur s’accroit. Comme l’explique Bertrand Badie lors d’une émission1 sur France inter, si un maillon de cette chaine se brise, tout est impacté et le désordre règne. Le grand bouleversement de la mondialisation c’est que tous pays ne sont plus dépendants de la puissance du plus forts mais de la faiblesse du plus faible. « Avec la mondialisation, nous dépendons d’une poignée de main qui se donne à Wuhan ». Par cette phrase il démontre le spectre mortifère de la mondialisation responsable de nos interdépendances et de la fragilité du circuit pharmaceutique.
La chaine d’approvisionnement fait face également à des risques endogènes principalement liés à une hyper complexification. Les industriels vont réussir historiquement à faire valoir leur modèle d’opération industriel par son rendement et par des gages de scientificités et de contrôles standardisés très fermes qui vont ne faire que durcir. Ainsi le modèle pharmaceutique va se légitimer sur le gage de qualité sanitaire et procédurale élaborée selon les codes de l’industrie2. Mais ce système va tellement se complexifier et se durcir qu’il va distordre la concurrence3 en empêchant les pays émergents et d’autres acteurs médicaux (hôpitaux, agence publiques) d’accéder aux marchés et à la production du médicament.
Le Covid 19 comme détonateur d’un désordre généralisé
Dans un rapport publié en 20164, l’ANSM montrait la dépendance des fabricants européens à l’égard de leurs fournisseurs indiens et chinois. Ces deux pays fabriquent 60 à 80 % des principes actifs des médicaments prescrits en Europe. Or avec la brutalité de la crise du coronavirus la réaction indienne a consisté a fortement baisser ses exportations de médicaments et de principes actifs. Pour ce qui est de la Chine, la crise a désorganisé son économie. Camille Verchery, PDG de VVR International, a été missionné par l’agence publique business France pour sécuriser l’approvisionnement des blouses et des masques. Elle explique à la cellule d’investigation de radio France5 que l’ensemble des usines et fabriquant chinois certifiés CE ont été mis sous contrôle de l’Etat afin de monopoliser la production du matériel médical. Ce retrait soudain et brusque des deux principaux producteurs mondiaux a provoqué l’anarchie en occident dans l’apprivoisement de médicaments et d’appareils médicaux et notamment en matière d’achat public. Ce phénomène de demande très élevée amène des acteurs aux intentions financières prononcées de faire croire ou de fabriquer des biens médicaux mais sans accréditation ni expérience. Ils allaient jusqu’à falsifier des documents officiels attestant de la conformité et de la qualité du matériel médical.
De nombreux pays dont plusieurs européens (Belgique, Finlande) ont reçu ainsi des cargaisons de masques inexploitables. En Europe, c’est l’ESF (European Safety Federation) qui regroupe les associations nationales de fabricants, importateurs et de distributeurs d’équipements de protection individuelle. Il a recensé plusieurs dizaines6 de faux certificats en circulation qui n’ont aucune valeur juridique et ne peuvent être utilisés comme conclusion de l’évaluation de conformité. Selon Lionel Dreux président de la GMED 7« ll vaut mieux faire appel à un mandataire installé sur le territoire européen plutôt que s’adresser directement aux producteurs de masques ». Il explique que ceux se faisant piéger ne connaissent pas bien la règlementation. C’est devenu « la jungle sur les marchés, la loi du plus fort » témoigne un responsable de la Commission Européenne. De nombreux pays ont missionné des intermédiaires auprès des usines de fabrication en Chine pour s’emparer des cargaisons ; perturbant donc complètement la chaine d’approvisionnement et les règles de marchés publics qui prévalaient. Dans une tribune8 publiée par le journal le monde le 30 Mars 2010, Laurence Folliot Lalliot, juriste française, raconte que les logiques d’achat public se sont inversées, l’offre et les vendeurs se retrouvent en position dominante pour fixer les prix aux acheteurs, parfois du même pays, menant des luttes concurrentielles entre eux.
Organisation et préparation pour l’avenir
L’organisation post pic de crise
Le manque cruel de solidarité européenne a laissé place à une absence de centralisation et à l’affirmation de politiques de « chacun pour soi », contraignant les instances européennes et les pays membres d’assouplir la réglementation pour les achats vitaux, le matériel médical et les médicaments. Le 8 avril la commission européenne a fait part de sa ligne directrice9 sur la rationalisation de l’approvisionnement pour éviter les pénuries. Elle souhaite que l'industrie pharmaceutique de l'UE agisse de manière responsable et avec solidarité. Ces mesures veulent protéger la santé publique, préserver l’intégrité du marché unique et assurer l’approvisionnement de médicaments abordables durant le covid 19. Pour ce qui est de la chaine d’approvisionnement, lors de réunions avec les acteurs de celle-ci, l’UE a fortement encouragé cette industrie à partager l’information, à anticiper toute perturbation dans l’approvisionnement de produits essentiels et d’augmenter la production de médicaments pour lesquels il y a une demande croissante. Parmi les mesures concrètes on retrouve :
• La mise en œuvre d’une flexibilité dans la régulation.
• Le suivi des stocks au niveau national
• La garantie d’une répartition équitable de l’offre.
La situation critique de la COVID 19 perturbe aussi les soins aux patients et affecte le circuit du médicament. Dans ces conditions l’activité des établissements pharmaceutiques reste indispensable car ils sont les intermédiaires indispensables entre le circuit et les patients. « Les établissements pharmaceutiques autorisés pour les activités de fabricant, exploitant, importateur et distributeur en gros doivent maintenir leur activité, dans l’intérêt de la santé des patients atteints de COVID-19 ».10. L‘ANSM et les chefs de départements de pharmacie procèdent à l’observation et à la vérification des étapes et du bon déroulé de la chaine d’approvisionnement. L’action de l’ANSM11 est centrée sur la gestion des risques de rupture de stock de ces médicaments pouvant engendrer un risque de santé publique. C’est pourquoi elle demande aux chefs de département de pharmacie d'anticiper au mieux les risques de ruptures et d'informer. Il organise donc une rencontre, virtuelle ou en présentiel, avec les acteurs du circuit pharmaceutique dans le but de communiquer les observations et d’établir des plans d’actions en cas de problèmes urgents.
Les solutions
Compte tenu du traumatisme vécu par l’ensemble de la communauté internationale durant le pic du coronavirus, cette crise est l’occasion de repenser le modèle de production en favorisant le retour de la production et de la souveraineté industrielle. Beaucoup de personnalités12 politiques et économiques, parfois emblématiques, refusent le retour au système d’avant. C’est le cas de Christine Lagarde, de Pascal Lamy ou encore d’Emmanuel Macron qui a abandonné ses idéologies libérales : celles relatives à la start-up nation et à une intégration plus poussée dans la mondialisation. Parmi ces nouvelles lignes directrices, on retrouve sa ferme volonté derestaurer la souveraineté de l’industrie du médicament en France. Il a visité, en tant que première expérience terrain après son discours de déconfinement, le site Sanofi à Marcy l’Etoile. Il y a souligné que « les médicaments usuels ne sont plus produits en France ni en Europe » et rajouta que « la relocalisation était le premier axe pour retrouver notre souveraineté ».
Concernant l’UE européenne, celle-ci a avancé certaines solutions pour mieux faire face à la crise et aux difficultés d’approvisionnement. Elle voudrait que l’ensemble des pays membres fassent front commun et fassent preuve de plus de solidarité lorsque la prochaine crise surviendra. Elle a donc l’ambition d’instaurer des demandes groupées (300 millions de doses de vaccins précommandées à Pfizer) plus efficace pour limiter les dégâts. Mais elle souhaite aussi se focaliser sur les politiques d’achat public, sur le refinancement des services publics et donner de réels moyens aux acheteurs publics dont les hospitaliers.
Finalement la question sur laquelle l’ensemble de la communauté internationale devrait se pencher c’est de savoir comment on construit une économie et un circuit du médicament moins interdépendant, qui ne délocalise pas, qui ait une chaine de production plus écologique, regroupée, et plus rationnel. Car comme il a été démontré jusqu’ici le modèle d’organisation et de fonctionnement du circuit du médicament actuel n’est pas un modèle viable pour l’avenir.
Sources :
1 https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-du-week-end/l-invite-du-week-end-14-mars-2020.
2 C. Bonah, A. Rasmussen, Histoire et médicament aux XIXe et XXe siècles, Paris, Glyphe, 2005, p. 134
3 .M. Arborio, « La production publique de médicaments », in P. Fournier, et al., L’industrie
pharmaceutique sous observation, Paris, La Dispute, 2012
4https://ansm.sante.fr/var/ansm_site/storage/original/application/136217e29f56be9090171a4c22235c76.pdf
5 https://www.franceinter.fr/societe/faux-certificats-fabricants-inconnus-les-masques-arrivent-mais-quels-masques
6 https://www.eu-esf.org/covid-19/4513-covid-19-suspicious-certificates-for-ppe
7 L’organisme français qui est autorisé à certifier les dispositifs médicaux
9 https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/human-use/docs/guidelines_isc_en.pdf
10 http://www.ordre.pharmacien.fr/Les-pharmaciens/Champs-d-activites/Covid-19/Foire-aux-questions-Pharmaciens-de-l-industrie
11 https://www.ansm.sante.fr/S-informer/Informations-de-securite-Ruptures-de-stock-des-medicaments
12 https://www.franceinter.fr/emissions/le-grand-face-a-face/le-grand-face-a-face-11-avril-2020)