Le Droit International Public, garant de l'Ordre Mondial ?

 
Organisation des Nations Unies (ONU)

Organisation des Nations Unies (ONU)

 

Le droit international public trouve son fondement dans la diplomatie inter-étatique, vieille comme la création de la notion d'Etat. Les pays entretenaient entre eux des relations, cordiales ou non, de guerre ou de paix, dictées par les dirigeants, leurs conseils et leurs ambassadeurs. Au cours des temps modernes ce droit s'illustrait le mieux par les traités (de paix) comme le traité de Westphalie de 1648 ou le congrès de Vienne de 1814. Ces traités rassemblaient les grandes puissances de ce monde et, par les diplomates, dictaient le droit en vigueur à tous. Pendant l'époque contemporaine c'est la Société Des Nations, créée en 1919 des suites de la Première Guerre Mondiale, qui rassemble les Etats de ce monde pour garantir un semblant d'ordre mondial. Du fait de l'échec de cet organisme c'est l'Organisation des Nations Unies qui reprend ce rôle en 1945 après la Seconde Guerre Mondiale. Armée de la Cour Internationale de Justice créée la même année, l'ONU est supposée garantir un Droit pour tous, des normes, des garanties amenant l'ordre dans le paysage international. Volonté ultime de placer le Droit au-dessus du Politique, cette vision est erronée, la puissance politique ne laissant que peu de pouvoir au droit. Le pragmatisme ne laissant que peu de place à l'idéalisme. 

UN DROIT SE DEVELOPPANT IMPARFAITEMENT

La faiblesse du Droit International Public commence dès sa création moderne, une analyse historique peut démontrer que ce droit s'est développé imparfaitement.

Dans un premier temps comme exprimé précédemment le Droit International Public était créé par les Etats, pour les Etats ; il s'agissait d'un droit avec pour seuls acteurs les pays. Première faiblesse, comment reconnaître un Etat ? Il fallait qu'il soit européen, américain où une grande puissance asiatique si l'on en juge car sous la Société Des Nations, puis plus tard sous l'ONU le nombre de pays représentés n'était qu'une cinquantaine (51 en 1945). A cause de la colonisation aucun pays africain et presque aucun pays asiatique ou sud-américain n'étaient présents du fait de leur asservissement et de la non reconnaissance de leur souveraineté. Dans un premier temps, le droit moderne était donc sous l'égide des Etats occidentaux, qui s'en servaient pour leurs propres intérêts. Exemple ultime, l'article 38 de la Cour Internationale de Justice stipulait que la cour appliquait les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées, notion polémique car ne désignait que les pays occidentaux. Aujourd'hui encore beaucoup estime l'influence du Droit International Public beaucoup trop occidentalo-centrée, dénigrant de ce fait la plupart des pays du monde.

Du fait de la souveraineté étatique, notion intouchable car prévalant sur tout autre élément du fait de la coutume, le Droit International Public est peu contraignant. En effet ce dernier se veut conciliant pour ne froisser aucun pays et ne détruire aucune relation diplomatique. C'est ainsi que beaucoup d'actes juridiques ont une simple valeur de recommandation ; les actes donc, issus d'organisations internationales ont pour beaucoup, peu de force. Les recommandations n'ont pas de valeur contraignante, les résolutions de l'ONU ne peuvent obliger un Etat que dans certains cas, même concernant les traités, pourtant si importants dans l'organisation de ce monde. Il est alors possible d'échapper à de possibles effets contraignants. En effet dans les traités il était possible jusqu'à un jugement de la Cour Internationale de Justice de 1951 d'émettre très facilement des réserves, permettant de disposer d'un traité « à la carte », ne prenant que les points qui arrangent l'Etat concerné. Depuis 1951 il est toujours possible d'émettre des réserves mais plus difficilement. En dehors des réserves il est toujours possible de signer un traité international mais de ne pas le ratifier, n'étant donc pas obligé d'appliquer les effets juridiques (comme par exemple la convention américaine des droits de l'Homme signée mais non ratifiée par les USA en 1969). De plus lorsqu'un pays annonce se conformer aux effets d'un traité, il doit être nécessaire de vérifier cet engagement. Un exemple concret est le comité des droits de l'Homme qui peut former des missions d'inspection dans des pays, il est aussi possible de prendre l'exemple de la mission d'inspection s'occupant de contrôler si l'Iran respecte[-ait] bien ses engagements en matière de réduction de son activité nucléaire. De telles missions d'inspections ne peuvent se faire qu'avec l'aval de l'Etat concerné, de plus ces contrôles n'arrivent que peu fréquemment et n'en ressortent que de faibles sanctions. Il est donc très facile d'affirmer s'engager dans un traité international et puis de ne pas appliquer ses effets.

Dernière faiblesse juridique : les sanctions possibles sont nécessairement minimes si ce n'est inexistantes. Il est en effet compliqué d'obliger un Etat souverain de quelque manière que ce soit. Si sanction il y a, elle est petite et surtout économique. Il est possible de prendre ici l'exemple de la Russie qui reçoit des sanctions économique de la part de l'UE du fait de son annexion de la Crimée ; ces sanctions n'ont que peu d'effets et concernent aussi les pays qui les appliquent, de plus il n'est pas possible d'aller plus loin que ces sanctions, sous peine de voir un conflit politique ou armé apparaître. 

S'il est possible de sortir de la palabre juridique, il est utile de dire que le Droit International Public n'est qu'une vision sociétale, morale de l'époque. Le droit change en même temps que les mœurs, le droit actuel n'est pas le même que le droit du temps colonial. Cette pensée permet de prendre du recul et de rendre polémique certaines règles de droit. Les Etats entrés dans le Droit International depuis son commencement en bénéficie plus que les Etats formés récemment (France contre Ghana). De plus le Droit International Public a tendance aujourd'hui à se complexifier du fait du nombre croissant d'acteurs (citoyen, Etat, organisation internationale, entreprise ?) et de droits régionaux ( UE...). Ces faiblesses et cette construction imparfaite se relient à la vision politique et semblent annoncer que le Droit International Public, dans un souci de survie, doit se réformer.    

LE PRAGMATISME AU DESSUS DE L'UTOPISME

Si les traités des temps modernes comme le traité de Vienne de 1814, de Paris de 1856 où de Westphalie de 1648 étaient de parfaites représentations du droit international de l'époque, le droit concerné était plus un rapport de force qu'autre chose. En effet les vainqueurs soumettaient leur volonté aux vaincus, les puissants aux faibles (l’annexion, protection de minorités où le paiement de frais de réparation du fait de la guerre par exemple). Le Droit était entremêlé, soumis à la Politique.

Cette prévalence existe toujours, en effet le droit est fait par le politicien, le politique, le représentant du peuple. De plus, au niveau international il est difficile de lier le droit à la diplomatie, les Etats désirant garder leur puissance diplomatique. Il est très facile de remarquer ceci, les sanctions du fait de jugements rendus par des juridictions internationales n'ont que peu d'importance, la Russie tient toujours la Crimée malgré les sanctions, la Corée du Nord continue ses tirs malgré les sanctions, les Etats africains ne parviennent pas à freiner les attaques de minorités ethniques malgré les sanctions. La politique prend donc la suite, et c'est par ambassades, diplomates que les tensions internationales se détendent comme par exemple les rencontres de Donald Trump et Kim Jong Un en Asie en 2019, ou bien la médiation papale concernant l'Argentine et le Chili en 1978.

Le Droit fait donc loi jusqu'à ce que les circonstances ne s'y prêtent plus. En cas de crise nationale, internationale, de guerre, de grand danger, alors la politique prend le relais et tente par tous les moyens de faire prévaloir les intérêts nationaux.

L'exemple le plus probant concerne les Droits de l'Homme. La déclaration universelle des droits de l'Homme existe depuis 1948, signée par l'ensemble des Etats étant représentés à l'ONU. Cette déclaration incarne les droits de l'Homme internationaux, les droits les plus fondamentaux. Tous les Etats déclarent s'y conformer, les respecter, mais tous, à un moment donné les ont bafoués. La France est un pays connu pour les droits de l'Homme, hélas pendant la guerre d'Algérie la torture était monnaie courante, les USA sont aussi un Etat de Droit mais pendant la guerre d'Afghanistan la tristement célèbre prison de Guantánamo était le lieu de « méthodes d'interrogation musclées », la Chine qui dit respecter les droit de l'Homme dispose de camps de travail forcé de prisonniers politiques, la Russie en dépit de l'opinion internationale annexe la Crimée. Autre exemple, le droit de l'environnement international est loin d'être respecté aux USA, au Brésil, en Indonésie, en Inde. Les droits de l'Homme et le Droit International Public plus généralement ne sont respectés que quand les circonstances s'y prêtent, en cas de crise les Etats reviennent sur leurs engagements très rapidement.

Les relations interétatiques retranscrivent tout autant la prévalence de la politique sur le droit. Les USA essayant d'épuiser l'Iran par un blocus, par des combats contre des milices, par leur influence, ne s'appuient pas sur le droit international mais sur leur puissance politique. Il en est de même concernant la question de la mer de Chine et cette dernière, ainsi que pour la France et son influence sur ses anciennes colonies africaines. Le Droit International Public ne prévaut plus en cas de crise où de grand danger, la puissance politique prend le dessus. Ce phénomène a lieu depuis toujours : pendant la révolution française de 1789 la Constitution n'était pas respectée, pendant la guerre froide de multiples exactions étaient organisées par les USA et l'URSS etc...

De multiples exemples démontrent donc que le Droit International Public en fin de compte, n'est qu'un masque que tous les Etats portent, tous font semblant de s'y soumettre mais dès que les circonstances s'y prêtent le non-respect foisonne, et alors les droits de l'Homme ne sont pas respectés, et alors les pays puissants démographiquement, économiquement soumettent les pays plus faibles et alors le pragmatisme, le Realpolitk remplace l'idéalisme. 

Que faire donc ?

Si l'on croit à la puissance du Droit pour garantir l'ordre mondial : déjà revoir les bases de la construction de ce droit, placer au centre une vision mondiale et non plus occidentalo-centrée, accepter que la souveraineté étatique puisse être soumise en partie à ce droit, garantir une égalité mondiale entre Etats en fonction des démographies, accorder plus de puissance contraignante aux effets juridiques des règles de droit, réorganiser, restructurer le Droit International Public pour apporter plus de simplicité, de lisibilité, et le plus important, accepter de s'y soumettre, de faire tomber les masques et de vraiment se tenir aux engagements pris.

Si l'on ne croit pas à cette puissance du Droit, alors y mettre fin. Assumer que la politique prévaut, que les relations inter-étatiques ne sont que des relations diplomatiques, que les intérêts nationaux valent plus que tout, que ce soient les Etats puissants qui décident, où bien de lutter contre eux, faire aussi tomber le masque mais pour retourner dans la même logique internationale qu'aux temps modernes, en bref créer le monde du pragmatisme politique assumé, absolu.

 

 

Sources :

Histoire du Xxème siècle de Berstein et Milza, tome 1,2 et 3.

Droit International Public, 14ème édition de Pierre-Marie Dupuy et Yann Kerbrat

Droit des libertés fondamentales de Louis Favoreu

L'ONU dans le nouveau désordre mondial de Romuald Sciora