Le Japon est un coquillage : De 1404 à 1641
Le Japon, un pays traditionnellement fermé ? Nous avons pu voir que la réalité de son histoire fut un peu plus complexe (voir article « Le Japon est un coquillage – Des origines à 1404 ») : multipliant les échanges en tout genre avec le continent asiatique du VIème au IXème siècle, et avec la Chine en 1er lieu, le pays a ensuite connu une phase de renfermement (qui permit la l’élaboration d’une synthèse entre la culture « primitive » japonaise et les apports chinois, et ainsi l’émergence de la culture japonaise telle que nous la connaissons aujourd’hui), jusqu’à une réouverture progressive à partir du XIIIème siècle.
Cette réouverture se fit d’abord par la reprise des échanges économiques avec le continent, qui permit un essor économique sans précédent dans l’histoire du pays, et se matérialisa d’une façon bien spécifique. Paul Kennedy (Naissance et déclin des grandes puissances, 2004) met en évidence que « Sur mer comme sur terre, les entrepreneurs rivalisent avec les seigneurs de la guerre et les aventuriers militaires, chacun voyant un profit à tirer du commerce maritime en Extrême-Orient. Des pirates japonais écument les mers de la Chine et de la Corée, tandis que d’autres japonais saisissent l’occasion d’échanger des marchandises avec les visiteurs portugais et hollandais venus d’Occident ». Cette phase d’intense ouverture du Japon, qui multiplie alors les contacts avec les autres royaumes asiatiques, puis l’Europe et même l’Amérique (à travers les échanges avec le Mexique espagnol), suscita en effet avant sa brutale rupture de 1643 une attitude double.
D’un côté le Japon, nation commerçante par excellence, nourrissait d’importantes ambitions commerciales et était devenu un acteur économique de 1er plan en Asie capable de rivaliser avec la Chine et les puissances européennes, et même de se mesurer à elles (plusieurs conflits l’opposèrent par exemple aux néerlandais à Taïwan). De l’autre le Japon, nation à la tradition guerrière millénaire, nourrit à partir de son unification des velléités expansionnistes qui se concrétisèrent par plusieurs tentatives d’invasion de la Corée et de Taïwan. Tentons donc de détailler la situation du Japon à cette période, capitale pour comprendre son comportement au XXème siècle, et de décrire les mécanismes qui firent passer le Pays du Soleil Levant d’acteur majeur du commerce et des relations international à une nation recluse refusant tout contact avec le monde extérieur. Pourquoi donc ce pays, tel un coquillage, décida de se refermer à nouveau après la phase d’ouverture si intense qui caractérisa son histoire entre le XVème et le XVIIème siècle ?
Le Japon et l’arrivée des « Nanban »
« Le 23 Septembre 1543 (selon le calendrier solaire), un grand bateau étrange échouait dans une crique étroite de l’île Tanegashima. Des centaines de marins étaient à bord. Jamais nous n’avions vu des visages comme ceux de ces marins. Aucune communication n’était possible avec eux. Heureusement, des chinois des Ming étaient à bord et aussi le chef de notre village savait lire et écrire. Ainsi, ils écrivirent sur le sable de la plage à l’aide de cannes. Et alors, nous avons su qu’ils étaient des commerçants barbares de l’Ouest et du Sud, obéissant à une hiérarchie mais ne connaissant pas la politesse, n’utilisant pas de baguettes pour manger mais mangeant avec les mains ». Ainsi est décrite par le moine Nampo Bunshi (文之南浦), dans le Teppō-ki (« 鉄炮記 », traduit parfois comme « Les Récits sur les Fusils », ou « La Chronique des armes à feu ») de 1606 la 1ère rencontre entre les japonais et les « Nanban » (« 南蛮 »), les « Barbares du Sud ».
Reprenant l’usage chinois, les japonais qualifièrent ainsi initialement les portugais, puis les espagnols, les néerlandais et les anglais, qui arrivaient au Japon par bateau et par le sud. Si les portugais furent en effet les 1ers, la nouvelle de leur « découverte » du Japon amena bientôt les espagnols à les y rejoindre, à travers entre autre la figure de Saint François Xavier, cofondateur de l’ordre des jésuites avec Ignace de Loyola qui, après avoir prêché avec succès en Inde, à Ceylan et aux Moluques, avait décidé de partir au Japon pour continuer sa mission d’évangélisation de l’Asie. Les ambitions des européens en Asie étaient en effet doubles : développer des relations commerciales, et convertir au christianisme. Alors que le commerce sino-japonais avait une nouvelle fois été interrompu par la Chine, en protestation contre l’impuissance du Japon à tenir les wakō (voir « Le Japon est un coquillage – Des origines à 1404 »), les portugais en profitèrent pour servir de relais entre les 2 pays en revendant aux japonais la soie produite en Chine, dont le Japon était un monstrueux consommateur (la production locale étant largement insuffisante pour satisfaire la demande à cette époque). Les marchands portugais échangeaient surtout aux japonais leurs produits contre de l’argent, que le Japon extrayait de ses mines, puis élargirent la gamme des produits qu’ils échangeaient. Mais à partir de la conquête de Luçon, île principale de l’archipel des Philippines, par les espagnols en 1571, le monopole portugais du commerce avec le Japon fut contesté. Et il le fut d’autant plus à partir du début du XVIIème siècle et l’arrivée des néerlandais et des anglais, qui commencèrent à cette période à prendre part au très lucratif commerce d’Extrême-Orient. Les relations entre les commerçants de ces 4 nations européennes étaient généralement exécrables, chacune tentant d’obtenir le monopole du commerce avec le Japon en calomniant les autres et réclamant du Shogun leur expulsion du pays.
Concernant les missions d’évangélisations, elles étaient surtout assurées par les catholiques, et en particulier des espagnols. Si les résultats de Saint François Xavier furent assez faibles à court terme, les jésuites estimaient en 1581 le nombre de chrétiens aux Japon à 150 000, c’est-à-dire approximativement 1 % de la population de l’époque (15 millions) : un véritable succès, et les conversions allaient croissantes. Les chrétiens étaient surtout localisés à l’ouest du pays, en particulier sur l’île de Kyushu. Le développement du christianisme était alors favorisé par le maître du pays de l’époque, Oda Nobunaga (« 織田 信長 »), qui voyait dans l’expansion du christianisme un moyen de contrer l’influence des monastères bouddhistes, alors extrêmement puissants et qui s’opposaient vigoureusement à sa politique d’unification du Japon.
Reischauer souligne aussi que de nombreux seigneurs locaux, en particulier sur l’île de Kyushu, se convertirent au christianisme par opportunisme, car « ils ont remarqué que les portugais font accoster leurs navires dans les ports qui ont réservé un accueil favorable aux ordres religieux. Un petit daimyo converti au christianisme et appuyé par les portugais parvient à faire du modeste port de pêche de Nagasaki à l’ouest de Kyushu le haut lieu des relations commerciales de l’archipel ». Cet exemple montre parfaitement comment les européens mêlaient intimement commerce, religion et même politique, et c’est cet élément qui déclenchera, près d’1 siècle après leur arrivée, leur expulsion du Japon et la fermeture du pays à tout contact avec les étrangers.
Entre ambitions commerciales et velléités expansionnistes
Le Japon n’avait cependant, nous l’avons vu (voir « Le Japon est un coquillage – Des origines à 1404 »), pas attendu l’arrivée des européens pour développer ses relations commerciales avec des pays étrangers. Au moment de l’arrivée des européens en Extrême-Orient, le Japon était déjà en phase de devenir le « maître des mers d’Asie orientales ». Si, jusqu’à la fin du XVIème siècle, le commerce extérieur japonais se bornait surtout à des échanges avec la Chine et la Corée (considérablement gênés par la question des gakō et les tentatives d’invasion de Hideyoshi à la fin du XVIème siècle), la flotte commerciale japonaise (avec les fameux « Shuinsen », « 朱印船 ») devint en effet omniprésente en Asie du Sud-est, et tout particulièrement dans 6 régions : la Cochinchine (sud du Viêt-Nam), le Siam (actuelle Thaïlande), Luçon (île principale de l’actuel archipel des Philippines), le Cambodge, Taïwan et le Tonkin (nord du Viêt-Nam). Le Japon entretenait en effet des relations commerciales avec l’ensemble de l’Asie, et ses produits atteignaient même le Moyen-Orient et l’Europe.
Le pays exportait principalement des matières premières au 1er rang desquelles l’argent (on estime que la production japonaise d’argent à l’époque avoisinait les 30 à 40 % de la production mondiale), du cuivre, du souffre, du bois, des produits agricoles (en particulier des farines), des perles, du nacre et des objets artisanaux en tout genre (paravents, éventails, sabres…). Au niveau des importations, et outre la soie dont les japonais raffolaient et dont la demande ne parvenait jamais à être comblée, le pays importait aussi des matières premières comme du coton, du plomb (pour faire des munitions), de la salpêtre (pour faire de la poudre à canon) ou de l’étain, mais aussi du sucre, des médicaments, des porcelaines chinoises, des tapisseries et des peaux de daims (pour en faire du cuir) et de requins (pour les fourreaux et poignées des sabres).
De nombreux commerçants japonais décidèrent durant cette période d’aller établir des comptoirs de commerce sur les côtes tous les pays d’Asie du Sud-est, et formèrent ainsi une diaspora japonaise très active et très influente qui facilita le commerce entre le Japon et leur pays de résidence. Georges Bonmarchand souligne en effet que « Certains japonais remarquèrent que la piraterie, le goût de l’aventure mis à part, ne rapportait guère (…). Beaucoup préférèrent le commerce normal et allèrent s’établir comme colons aux Philippines, avant même l’arrivée des espagnols ». Leur influence allait parfois même bien au-delà de la simple facilitation des activités commerciales, certains japonais s’impliquant même dans la vie politique des pays dans lesquels ils s’étaient installés : ce fut par exemple le cas au Cambodge (implication du métis japonais/portugais Gouvea auprès des espagnols Luis Ortiz et Luis de Villafañe pour soutenir le roi du Cambodge) ou au Siam (Yamada Nagasama, « 山田 長政 », participa à la guerre de succession siamoise en tant que chef de guerre et commanda 20 000 soldats siamois et 800 mercenaires japonais). Nombre de ces japonais établis à l’étranger étaient originaires de l’ouest du Japon, et étaient des japonais convertis au christianisme fuyant les persécutions dans leurs pays. Shibata Masumi (« 柴田増実 ») affirme que ces derniers avaient cependant généralement beaucoup de mal à s’adapter à la vie hors du Japon, et conservaient leurs coutumes et habitudes ; il souligne en effet qu’« ils portaient un chignon, des kimonos, plaçaient des tatamis sur le sol et se faisaient envoyer des aliments japonais depuis le Japon ». Ces émigrants japonais, en majorité des hommes, ne purent plus retourner au Japon après la fermeture du pays et, épousant des femmes autochtones, leur descendance n’eut progressivement plus aucune attache particulière envers le Japon ; cette diaspora se fondit alors peu à peu dans les pays d’accueil.
La situation intérieure du Japon était parallèlement assez compliquée à cette époque. Lorsque les portugais arrivèrent au Japon en 1543, le pays était alors plongé dans l’époque Sengoku (« 戦国時代 », 1477 – 1573). Après les guerres d’Ōnin (1467 – 1477), l’autorité des shoguns Ashikaga est réduite à néant et la réalité du pouvoir revient une nouvelle fois entre les mains des seigneurs locaux, les daimyo. Ces derniers s’affrontèrent dans une multitude de conflits durant près d’1 siècle, jusqu’à la réunification du pays par ceux que les japonais appellent les « Saneinketsu » (« 三英傑 », « Les 3 Héros », « Les 3 Unificateurs ») : Oda Nobunaga (« 織田 信長 »), Toyotomi Hideyoshi (« 豊臣 秀吉 ») et Tokugawa Ieyasu (« 徳川 家康 »). Nobunaga, petit seigneur de la province d’Owari, parvient au terme de nombreuses batailles à unifier tout le centre du Japon sous son autorité et déposer le dernier shogun Ashikaga. Trahit par un de ses généraux, il se fait seppuku (suicide rituel) en 1582 avant d’avoir achevé l’unification. Le flambeau est repris par Hideyoshi, général de Nobunaga, qui acheva l’unification du Japon en 1590 et se fit proclamer shogun. Après sa mort, ça sera Tokugawa Ieyasu, daimyo vassal de Nobunaga, qui prendra le contrôle du Japon unifié en éliminant les partisans du fils de Hideyoshi, Toyotomi Hiedyori, à la célèbre bataille de Sekigahara (« 関ヶ原の戦い »).
Mais avant cela, une fois le Japon unifié par ses soins, Hideyoshi tenta de convertir l’énergie belliqueuse de ces hommes qui venaient d’achever l’unification du Pays du Soleil Levant en une dynamique expansionniste. Hésitant déjà entre une expansion vers le nord (Corée et Chine) et vers le sud (Taïwan et Philippines), Hideyoshi exigea d’abord du gouverneur espagnol des Philippines qu’il lui prête un serment de vassalité et qu’il lui paye un tribut en 1591, puis envoya une expédition à Taïwan en 1593. Mais il renonça rapidement à la conquête du sud pour se concentrer sur son rêve : envahir la Chine des Ming et unifier le Japon, la Corée et la Chine. Hideyoshi exigea en 1592 du roi de Corée que celui-ci permette le passage des troupes japonaises en route pour la Chine, et devant le refus de ce dernier Hideyoshi lui déclara la guerre.
Les troupes d’Hideyoshi (Shibata dénombre 150 000 hommes, 9000 marins et 100 000 hommes de réserve au nord de Kyushu) débarquèrent à Pusan et prirent Séoul en à peine 2 semaines, tout en pillant, massacrant et réduisant en esclavage la population coréenne dans des conditions très rudes (les guerriers japonais, récompensés selon le nombre d’ennemis tués, prenaient l’habitude de ramener les têtes, les oreilles ou les nez des coréens tués à leurs supérieurs comme preuve de leurs exploits, détail qui traumatisa les coréens jusqu’à aujourd’hui). Ils atteignent le nord de la péninsule mais, dispersant leurs efforts, ils sont refoulés par l’armée chinoise venue à leur secours. En effet la Chine des Ming, bien que dans une situation politique délicate et régulièrement aux prises avec les mandchous et les mongols à la frontière nord, décida après l’échec de ses négociations avec le Japon (dans lesquelles elle proposa un partage de la Corée avec Hideyoshi, que ce dernier refusa) d’envoyer près de 40 000 hommes soutenir la résistance coréenne. Pendant ce temps la flotte coréenne et ses « bateaux-tortues », dirigée par l’amiral Yi Sun-sin (« 李舜臣 » ; « 이순신 »), parvint à prendre le dessus sur la flotte japonaise malgré une infériorité numérique flagrante et à couper les communications et ravitaillements de l’armée japonaise. Une trêve fut finalement signée, mais Hideyoshi lança un nouveau débarquement en 1597. Les Ming renvoyèrent près de 75 000 hommes en Corée, et bien que les troupes japonaises fussent en difficulté, elles parvinrent à se maintenir au sud de la péninsule.
L’invasion fut finalement annulée après la mort d’Hideyoshi en 1598, et les Tokugawa, hostiles depuis le départ à l’expédition de Corée (dont ils profitèrent pour préserver leurs forces en vue de supplanter Hideyoshi et ses alliés), signèrent finalement la paix avec la Corée. Ils tentèrent à 2 reprises d’envahir à nouveau Taïwan en 1609 et 1616 (ces 2 nouvelles tentatives se soldant à nouveau par des échecs devant la résistance des autochtones), et parvinrent à soumettre les Ryukyu en 1609 et le sud de Hokkaido en 1640. Mais à partir de la mise en place du Sakoku et de la fermeture officielle du pays en 1641, le Japon abandonna toute velléité expansionniste jusqu’à la période contemporaine.
Vers le « Sakoku »
C’est en 1er lieu l’évolution des rapports avec les européens qui va expliquer la décision des nouveaux shoguns Tokugawa de mettre un terme à cette phase d’ouverture du Japon, et en particulier l’essor du christianisme dans le pays. Si, comme nous l’avons vu, Nobunaga était favorable à tout ce qui remettait en cause la puissance des monastères bouddhistes, acteurs politiques de 1er plan à l’époque (Nobunaga dû en effet soumettre les moines guerriers de l’école de Tendai au mont Hiei en 1571, et n’obtient la capitulation des moines-guerriers de l’École Véritable de la Terre Pure « Jōdo-Shinshū » qu’en 1580 après un siège de leur temple à Osaka qui dura 10 ans), il n’en fut pas de même pour ses successeur. Hideyoshi interdit en effet dès 1587 le christianisme, par crainte de l’influence grandissant qu’exerçaient les missionnaires chrétiens sur le Japon tout juste unifié, bien que l’application de ses décrets d’interdiction restèrent initialement relativement souple, pour ne pas entraver trop lourdement le commerce avec les européens.
Shibata raconte un événement qui survint en 1596 et qui provoqua le début des persécutions. Alors qu’un navire espagnol assurant la liaison entre le Mexique et les Philippines fit naufrages au large de Kyushu, un pilote espagnol, montrant fièrement sur une carte l’immensité des territoires espagnols, répondit au fonctionnaire japonais qui lui demandait comment l’Espagne put conquérir un si grand empire : « L’Espagne envoie d’abord des missionnaires pour transmettre le christianisme à un peuple. Lorsque les fidèles deviennent nombreux, l’Espagne envoie alors des militaires qui, en écho avec les fidèles indigènes, peuvent conquérir facilement ces pays ». Apprenant ces éléments, Hideyoshi y vit la confirmation des craintes qui avaient suscitées ses décrets d’interdiction 10 ans plus tôt, cet élément étant perçu comme la preuve que le christianisme était une arme utilisée par les européens pour coloniser le Japon. Il durcit considérablement l’application de ses décrets d’interdiction et, le 5 Février 1597, 6 missionnaires franciscains et 20 fidèles japonais furent crucifiés à Nagasaki, sur l’île de Kyushu.
Après la mort de Hideyoshi, Ieyasu atténua d’abord les persécutions dans le but d’améliorer les relations avec les européens et de favoriser le commerce. Mais le fondateur de la dynastie des Tokugawa craignait aussi que l’expansion continue du christianisme, qui atteignait les 300 000 fidèles dans l’ouest du pays au début du XVIIème siècle, ne remette en cause l’unité d’un Japon fraichement unifié. Il se méfiait aussi de la mise en concurrence de son autorité avec celle de ce « souverain lointain » qu’était le pape. L’arrivée des néerlandais et des anglais, peu soucieux des questions religieuses, fit finalement prendre conscience au shogun qu’il n’était pas nécéssaire d’accepter leur religion pour entretenir des relations commerciales avec les « barbares du sud », et Ieyasu réaffirma fermement l’interdiction du christianisme à partir de 1612.
Devant cette hostilité à leur égard, les jésuites et les chrétiens de l’ouest décidèrent de se ranger derrière Toyotomi Hideyori, le fils de Hideyoshi, lors de sa révolte face à Ieyasu. Ce choix entraîna, après la défaite de Hideyori à la bataille de Sekigahara, une virulente répression contre les chrétiens qui culmina en 1637, avec la rébellion de Shimabara (entre autre menée par le jeune Amakusa Shirō, « 天草 四郎 », exécuté au moment de la prise du château de Hara à l’âge de 17 ans). Cette rébellion fut impitoyablement écrasée par le shogun, avec le soutien des néerlandais (qui, entre autre, bombardèrent le château de Hara), et qui verra le massacre de plus de 40 000 chrétiens. Les chrétiens furent alors traqués à l’échelle nationale, et quiconque était soupçonné d’être chrétien devait renier publiquement le Christ et fouler du pied son portrait (technique du « Fumi-e », « 踏み絵 »), sous peine d’être crucifié ou brûlé vif.
Dès 1616, le Japon avait commencé à prendre des mesures protectionnistes en limitant le commerce avec les européens aux seules villes de Nagasaki et Hirado. Puis, le pays fut fermé aux anglais en 1623 après qu’ils aient quitté Hirado (du fait de l’insuffisance des bénéfices et après l’affaire des massacres d’Ambon) sans prévenir. En 1624, ce fut au tour des espagnols d'être bannis, pour cause de non-respect de la politique d'interdiction du christianisme. Les portugais, accusés de complicité avec les rébellions chrétiennes (et en particulier celle de Shimabara) furent finalement bannis à leur tour en 1639.
Le Pays du Soleil Levant, en à peine une décennie, se referma en établissant ce que l’on a appelé à partir de l’ère Meiji (XIXème siècle) le « Sakoku », « 鎖国 » (« pays fermé »). Le shogun publia en effet une série de 5 décrets qui limitèrent toujours plus les possibilités d’interactions du Japon avec l’extérieur.
Le 1er décret de 1633 interdit aux japonais de quitter l’archipel, ou d’y revenir s’ils s’étaient établis à l’étranger depuis plus de 5 ans.
Le 2ème, publié en 1634, réaffirme la décision du 1er et contraint les portugais à aller s’installer sur l’îlot de Dejima dans la baie de Nagasaki.
Le 3ème décret de 1635 autorise l’accès au port de Nagasaki aux navires hollandais et chinois seulement et leur interdit l’accès à tout autre port, et interdit complètement le retour de tout japonais se trouvant toujours à l’étranger.
Le 4ème décret de 1638 expulse tous les portugais présents sur le territoire sans rapport avec le commerce suite à la rébellion de Shimabara dans laquelle leur implication est soupçonnée, et déporte tous les autres à Dejima.
Enfin, le 5ème et dernier décret de 1639 interdit complètement aux portugais de commercer avec le Japon.
C'est ainsi que, petit à petit, le Pays du Soleil Levant mit un terme à cette période d'ouverture, commencée progressivement à partir du XIIIème siècle dont le coup d’envoi symbolique reste 1404 et la reprise des relations diplomatiques avec la Chine. À cette époque les japonais, tout à la fois talentueux commerçants et grands guerriers, écumèrent les mers d’Extrême-Orient, entretinrent des relations commerciales avec toute l’Asie et au-delà, et furent même tentés par l’expansionnisme – sans grand succès.
Après avoir fait la rencontre des européens en 1543 et avoir vu leur pays pacifié par les « 3 unificateur », les japonais virent Tokugawa Ieyasu se hisser au rang de shogun en 1603 et fonder alors simultanément la dynastie des Tokugawa, maîtresse du Japon jusqu’en 1868, et ce qui restera dans l’Histoire japonaise sous le nom d’« ère Edo » (du nom de la nouvelle capitale du pays : Edo, la future Tokyo). Ça sera finalement son petit-fils, Tokugawa Iemistu (« 徳川家光 »), qui publiera les 5 décrets annonçant la nouvelle fermeture du Japon, fermeture qui durera près de 2 siècles jusqu’à ce que lui succède une nouvelle période d’ouverture.
Sources :
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