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Le jour du dépassement mondial : l’arnaque du siècle

C’est un spectacle de compassion et de bien-pensance que les grands médias occidentaux nous livrent tous les ans : le 22 août 2020 était décrété le « jour de dépassement mondial » [1]. L’occasion rêvée pour rajouter une couche de culpabilité au citoyen lambda, et lui rappeler à quel point son mode de vie est nuisible à la planète et à l’espèce humaine. Mais au fait, d’où vient ce rapport repris argent comptant par le monde entier et qui nous promet l’apocalypse d’ici dix ans tous les quatre matins ?

Le « Jour du dépassement mondial » (ou « Earth Overshoot Day ») est calculé par le réseau « Global Footprint Network », qui est une ONG californienne fondée en 2003, qui a pour objet d’exploiter une base de données statistiques écologiques (provenant des instituts nationaux ou des agences des Nations Unies) afin de publier des études à propos de l’impact des activités humaines sur l’environnement. Elle propose des services d’estimations environnementales des politiques publiques et d’assistance aux ONG et organisations de lutte contre le réchauffement climatique. Elle ne cache pas non plus son intense activité de lobbying pour ouvrir les yeux du grand public sur les enjeux de la cause climatique.

Une méthode atypique de mesure de l’activité humaine

Pour ce faire, elle se base sur le concept de « Total Ecological Footprint » [2], mis en lumière par les travaux des universitaires Mathis Wackernagel et William Rees de l’université de Columbia dans les années 1990. Cela correspond à la mesure (en « global hectares ») de la surface bioproductive nécessaire à une population donnée pour satisfaire ses besoins en consommation. A cet effet, l’entité a défini six types d’espaces, considérés comme les six facteurs primaires de production : terres cultivées (cropland), terres de pâturage (grazing land), espaces de pêche (fishing ground), terres forestières (forest land), terres de décarbonation (carbon uptake land) et espace constructible (built-up land). Chaque facteur ne représente pas une quantité de terrain en soit (bien qu’il soit mesuré avec une unité spatiale qui est l’hectare), mais une capacité à produire des ressources (la nourriture, le combustible, l’énergie) ou à en absorber les déchets (les végétaux qui servent à éliminer le carbone), et donc à satisfaire les besoins de la population qui y vit. Les mesures sont donc ajustées en fonction d’un facteur de productivité, pour les rendre comparables entre elles et d’un pays à l’autre. Cela permet aussi de passer d’un raisonnement purement naturaliste (quelle surface de la planète Terre est disponible) à un raisonnement économique (quelle capacité de production est nécessaire). Au total, ce « Footprint » peut être vu comme une intensité factorielle de la richesse à un instant T (de combien de facteurs a besoin une économie pour assurer toute sa production), comme on peut calculer une intensité capitalistique ou une productivité de main-d’œuvre, le tout sur des critères purement écologiques. Cela permet de mesurer l’équivalence de la richesse humaine en unité de terre, donc de donner une valeur environnementale standard à l’activité humaine.

Face à ce « Footprint, l’ONG calcule un second indicateur, qui est la « Biocapacity ». Elle consiste à mesurer le renouvellement des ressources de la planète en hectares de capacités, les mêmes que ceux utilisés juste au-dessus. Ainsi, le calcul s’opère en multipliant les surfaces de chaque facteur (les six précédemment cités) par la « Bioproductivity », qui matérialise la capacité de production de chaque hectare (en fonction des conditions climatiques, de politiques agricoles…). Ainsi, l’on obtient une masse d’espace bioproductif qui est sensé représenter ce que la planète arrive à offrir à l’humanité en termes de ressources disponibles. La confrontation du « Footprint » et de la « Biocapacity » permet de calculer l’éventuel déficit écologique de l’Humanité, que l’ONG ne se prive pas de détailler par pays : ainsi en 2012, la biocapacitié totale de la Terre était estimée à 12 milliards d’hectares, tandis que l’empreinte écologique totale de l’Humanité était estimée à 18,2 milliards d’hectares. L’enseigne peut en déduire que la population mondiale a consommé cette année 51% de plus que ce que la planète pouvait offrir. Il n’en fallait pas tant à tous les journalistes du monde pour claironner en plateau télé que l’espèce humaine aurait besoin de 1,5 planète pour continuer à vivre à ce rythme. En plus d’être démagogique, cette équation simpliste est trompeuse et malhonnête.

Une aberration statistique

Tout d’abord, ce raisonnement balancé à la figure du téléspectateur moyen semble indiscutable : la ménagère pétrie de bon sens se doute bien que si on consomme plus que ce que l’on gagne, le foyer s’endette sur le dos des générations futures. C’est l’argument qu’utilisent les journalistes pour amener le débat sur le plan moral et jouer les catastrophistes. Mais ce calcul est absurde : mesurer la biocapacité de la planète à travers un coefficient d’espace a autant de sens  que de mesurer les profits d’une entreprise à la taille de ses locaux : les deux données n’ont aucun lien ! Les ressources naturelles obéissent à des lois extérieures à la rationalité économique, et attester de la « rentabilité » environnementale d’une zone à partir de la mesure de son espace induit que chaque type de parcelle (forêts, pâturages, rivière) produit un bien unique de manière uniforme sur le territoire, ce qui n’est pas le cas. Un hectare en friche non exploité mesure autant qu’un hectare productif. L’ONG rétorque que les surfaces végétalisées laissées à l’abandon sont incluses dans l’analyse comme facteur « carbon uptake land », c'est-à-dire comme outil d’absorption du carbone (donc producteur de richesses pour les humains). Mais mesurer précisément la capacité d’élimination du carbone d’une surface est impossible, et l’analyse ne prend pas en compte les océans qui ont aussi cette fonction. Donc déjà, l’indicateur initial de ressources terrestres est faux, basé sur une formule erronée et sans aucun lien avec ce qu’il prétend mesurer.

Cette approximation lourde de conséquence n’est pas un hasard, elle dérive en réalité d’un parti pris qui est totalement assumé dans la méthodologie officielle : le calcul doit faire ressortir que le problème numéro un de l’humanité est la pollution au gaz carbonique. Ainsi donc, la plus grande partie du « Footprint » Mondial (presque les deux tiers en 2016) provient du carbone généré par les activités humaines qui n’aurait pas été absorbé par la nature. Or, le seul critère sélectionné par l’ONG pour déterminer la capacité d’un pays à éliminer ce carbone c’est la surface de ses forêts ! L’astuce devient évidente quand on consulte le classement mondial des pays établi en 2020 [3] : des pays immenses et recouverts de forêts comme le Brésil, la Russie ou le Congo (pays loués par les écologistes comme tout le monde le sait) affichent des scores très élevés malgré qu’ils soient champions de la déforestation ou des hydrocarbures. De l’autre côté, les pays de petite superficie ou désertique peuvent planter toutes les éoliennes qu’ils veulent, ils ne grimperont jamais dans le classement. C’est que l’ONG considère que chaque être humain génère par sa consommation un besoin de stocker du carbone par les arbres, besoin qui ne peut être satisfait que par des terrains verts. On en déduit que l’indice favorise artificiellement les pays avec peu d’habitants et beaucoup d’espace, quelles que soient leur politiques environnementales. Une rapide comparaison entre le classement des pays en « déficit écologique » classés par l’ONG et la liste des densités de population établie par la Banque Mondiale [4] suffit à se convaincre : tous les pays du top 20 les plus vertueux classés par Footprint Network se situent dans le top 50 des pays avec les plus faibles densités (sauf le Timor Oriental, qui pointe à la 50ème place). Le classement de cette ONG californienne ne fait donc que reproduire les inégalités spatio-démographiques en cours entre les pays, sans lien avec l’écologie.

Mais cela n’est pas tout. Car après avoir prétendu qu’on pouvait mesurer la générosité de mère Nature à partir de la surface d’un continent, voici que ces gens se proposent de la comparer aux besoins humains calculés à partir de la consommation, c'est-à-dire dans ce cas présent du nombre d’habitants d’une zone multiplié par un indice et converti avec une « Footprint Intensity » [5]. Voilà que les californiens comparent des hectares avec des personnes ! Comme s’ils s’étaient fait principe de ne comparer que des indices incomparables. Mesurer l’impact d’une population sur son environnement à partir de son faisceau de consommation revient à négliger des pans entiers de l’activité économique qui ne sont pas liés aux particuliers (industries exportatrices, agriculture non consommée, services aux entreprises), qui se retrouvent de fait exclus de l’analyse alors qu’ils ont un impact environnemental en termes d’infrastructures et d’énergie. De l’autre côté, prétendre mesurer cet impact environnemental en hectares (en multipliant la consommation par un coefficient de « Footprint Intensity »), revient à dire que toutes les activités et les biens nécessaires à la vie d’une population ne proviennent que des 6 facteurs naturels décrits ci-dessus. Ce point n’est pas anodin, il signifie que cette ONG s’inscrit dans une théorie économique dans laquelle la terre est le seul et unique facteur de production, du jamais vu depuis les Physiocrates au XVIIIème siècle ! Au contraire, une multitude d’autres facteurs viennent concourir au fonctionnement de l’économie capitaliste (le capital, l’innovation, la productivité humaine), les ignorer sciemment au prétexte d’écologie constitue un contresens majeur pour qui veut offrir un schéma économique cohérent. A moins que cela ne soit le message codé d’une idéologie ouvertement réactionnaire qui promeut le retour à la terre…

Quoi qu’il en soit, mesurer les impacts de l’Homme sur la planète en soustrayant la somme des dollars par personne convertis à la surface totale des terres de la planète n’a aucun sens logique, c’est un calcul faussé, dénué de toute rationalité, qui a autant de valeur que de soustraite votre budget course de la surface de votre appartement (pour en déduire la couleur de votre bulletin de vote). Démonter ce raisonnement fallacieux est simple quand on prend le temps de regarder ce qu’il y  a à l’intérieur. Mais Global Footprint Network a une ruse. Plutôt que de jeter au grand public des chiffres abstraits d’excédent ou de déficit écologique par pays en hectares, elle transpose la proportion de «  sur-impact » sur un calendrier, pour ensuite expliquer la larme à l’œil que la proportion de déficit observée correspond au nombre de jour à partir desquels l’Humanité vit à crédit de la Nature et prélève à l’excès des ressources de la planète (qui est dans son calcul l’excédent de la consommation humaine basée sur la nature comparée à la surface des terres et des mers économiquement viables, ce qui n’a aucun sens). Rendre plausible un raisonnement absurde en le ramenant à l’expérience concrète de la vie quotidienne, voilà comment convaincre la ménagère moyenne proche de ses sous qui n’a jamais fait d’écologie de sa vie. Le tout avec la complicité coupable (ou la paresse intellectuelle) des grands médias, qui prendront toujours cette information pour argent comptant, sans jamais expliquer l’inanité de ce calcul. Sans expliquer qu’il provient d’une Association californienne privée financée entre autres par Schneider Electric Industries [6].

Ce « Jour de dépassement mondial », ou le « nombre de planètes qu’il nous faudrait si nous vivions tous comme un américain » n’est pas une information neutre. Malgré ce qu’on veut faire croire, ce n’est pas un résultat scientifique, ni un travail de recherche académique. En plus d’être une aberration statistique, c’est avant tout un instrument de propagande pour une campagne de lobbying actif, au bénéfice d’intérêts privés. Et une arme de désinformation mondiale.

 

Sources :

[1] - Annonce oficielle du Earth Overshoot Day
https://www.overshootday.org/?__hstc=104736159.850129e6a74802b2f0b5233aea6c5c7e.1598194881667.1598194881667.1598198415971.2&__hssc=104736159.1.1598198415971&__hsfp=1855601243

[2] - Méthodologie du calcul du « Footprint »
https://www.footprintnetwork.org/resources/data/

[3] - Classement des pays en fonction de leur déficit environnemental
http://data.footprintnetwork.org/?__hstc=207509324.850129e6a74802b2f0b5233aea6c5c7e.1598194881667.1598194881667.1598198415971.2&__hssc=207509324.2.1598198415971&__hsfp=1855601243#/

[4] - Statistiques sur la densité de population par pays (Banque Mondiale)
https://databank.banquemondiale.org/reports.aspx?source=2&series=EN.POP.DNST&country=#

[5] - Living Planet Report 2012, WWF (page 40)
https://wwfeu.awsassets.panda.org/downloads/2_lpr_2012_online_single_pages_version2_final_120516.pdf

[6] - Comptes annuels du Global Footprint Network
https://www.footprintnetwork.org/content/uploads/2019/10/Global_Footprint_Network_2018_Audit.pdf