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Le renouvellement de la flotte russe du Pacifique

Flotte soviétique du Pacifique en 1990

Article écrit par V.Stranitsov

La Flotte du Pacifique de la Fédération de Russie a fêté son 290ème anniversaire le mai 2021. A cette occasion, l'amiral Sergueï Avakyants, commandant de la flotte, s'est réjoui des perpectives encourageantes de remontée en puissance de celle-ci par le rééquipement progressif en unités modernes. Parmi les unités reçues très récemment, on peut citer les corvettes Aldar Tsydenzhapov (projet 20380, classe Steregushchiy) et Gremyashchiy (projet 20385, tête de série de la classe Gremyashchiy), les sous-marins diesel lance-missiles B-602 Magadan et B-603 Volkhov (projet 636.3, classe Kilo 636.3), le navire de guerre des mines Yakov Belyaev (projet 12700, classe Alexandrit) ainsi que des embarcations plus légères de classe Grachonok (projet 21980) et Raptor (projet 03160).

Avec l'arrivée de nouveaux navires, les missions de la flotte du Pacifique vont commencer à évoluer. A l'époque soviétique, la composante hauturière de cette flotte était très puissante mais les nouveaux navires sont de plus faible tonnage et la flotte devrait continuer à recevoir des navires plus petits mais dotés d'un armement puissant.

 

Une histoire mouvementée

A l'époque tsariste, une attention insuffisante était accordée aux forces navales d'extrême-orient en raison du manque d'interêt pour ces territoires éloignés du centre du pays. Il était jugé suffisant d'envoyer des détachements de navires pour montrer le pavillon impérial et faire acte de présence. A la fin du XIXe siécle, l'Empire russe a cependant commis une erreur en misant sur le développement d'une base navale à Port-Arthur. Cela conduira à la cuisante défaite de Tsushima contre l'Empire du Japon quelques années plus tard. Suite à cet évènement, le développement des forces navales sur la côte orientale de la Russie fut abandonné par l'Empire russe. Il faudra attendre l'arrivée des communistes au pouvoir dans les années 20 suite à la guerre civile, et surtout le début des années 30 pour que la donne change.

Dans des délais très courts, des convois transportant du matériel militaire et de morceaux de navires démantelés ont commencé à traverser le pays d'ouest en est.  A Vladivostok, des navires et des sous-marins ont ensuite été assemblés à partir de ces éléments et des bases navales, des ports et des points d'appui maritimes furent construits.

Des chantiers navals ont ensuite été créés afin que des navires puissent être produits directement sur place et s'affranchir d'un temps de transit extrêmement long. Le chantier naval de Komsomolsk-sur-l-Amour est devenu le plus important de la région. Ce ne sera toutefois pas suffisant pour équiper efficacement ce flanc Pacifique. Le sous-développement économique général de la région a en effet conduit au fait que la plupart des grands navires et sous-marins équipant la flotte sont construits dans des chantiers situés sur la façade occidentale de l'URSS (Leningrad, Nikolaev, Severodvinsk) impliquant toujours un temps de transit important une fois l'unité déclarée apte au service.

A la fin des années 80, la Flotte du Pacifique était au sommet de sa puissance et menait des opérations dans l'Océan Pacifique mais également dans l'Océan Indien. Elle comprenait des centaines de bâtiments de surface et des dizaines de sous-marins. Hélas, la désintégration brutale de l'URSS au début des années 90 va conduire à un nombre faramineux de déclassements dans la mesure ou la nouvelle Russie en crise n'était plus en mesure d'exploiter, ni même d'entretenir correctement un nombre si important de navires. Tant et si bien que la flotte du Pacifique recevra le surnom de "cimetière de navires" et que de nombreuses unités seront démantelées pour en récupérer la féraille. Cette période de traversée du désert durera presque 20 ans, et durant les deux décennies 90 et 2000, la Flotte du Pacifique ne recevra que deux navires neufs.

Toutefois, durant cette funeste période, les navires qui sont restés en activité ont été traités avec beaucoup de soin. Certaines opérations de maintenance n'ayant pu s'effectuer faute de moyens, les équipages ont à certaines occasions effectués eux-mêmes ces opérations d'entretien, parfois lourdes, afin d'éviter que leurs navires ne soient déclassés. Cela a permis d'économiser des ressources financières tout en sauvant des navires.

A partir du début des années 2010, de nouveaux navires ont recommencés à être livrés au compte-gouttes à la Flotte du Pacifique.

 

Trois composantes

Actuellement, la flotte du Pacifique se compose de trois forces combinées.

La première composante qui est aussi la plus importante en terme de moyens se nomme officiellement "Flottille du Primorié", son QG est basé à Fokino, près de Vladivostok.

La dénomination de flottille est cependant impropre puisqu'elle comprend la presque-totalité des bâtiments de surface composant la flotte du Pacifique (plus de 40 unités) mais aussi les sous-marins à propulsion diesel-éléctrique et près d'une centaine de bâtiments de soutien en tout genre (du bâtiment hydrographique au remorqueur).  Elle englobe également au moins trois aérodromes accueillant des appareils de l'aéronavale à voilure fixe ou tournante dont les avions de patrouille maritimes et de lutte anti-sous-marine Il-38 et Tu-142. Enfin des unités d'infanterie de marine et d'artillerie de défense cotière lui sont également subordonnées. Cette composante est réguliérement déployée dans l'Océan Pacifique et méne des missions ponctuelles dans l'Océan Indien. Certaines de ces unités rejoignent parfois aussi les rangs de la force océanique permanente russe en méditerranée orientale.

La seconde composante est le commandement des sous-marins nucléaires dont le QG se trouve à Vilyuchinsk au Kamtchatka qui comprend exclusivement les sous-marins à propulsion nucléaire dont trois SNLE: le K-550 Aleksandr Nievsky et le K-551 Vladimir Monomakh (projet 955, classe Borei) ainsi que le K-44 Ryazan (projet 667BDR, classe Delta III). Le commandement des sous-marin compte également dans ses rangs plusieurs sous-marins nucléaires d'attaque des projets 949A (classe Oscar II) et 971 (classe Akula).

La dernière composante est le "commandement intégré des forces du nord-est". Sur le papier cette composante est chargée d'assurer la défense du Tchoukotka et du Kamtchatka. Dans les faits sa mission est avant tout de protèger le commandement des sous-marins nucléaires afin que celui-ci puisse se concentrer ses missions principales. Le QG du commandement intégré des forces du nord-est est stationné à Petropavlovsk-Kamchatskiy et comprend le reliquat des bâtiments de surface ne faisant pas partie de la première composante (soit une douzaine de bâtiments de combat et une trentaine de navires de soutien) ainsi qu'une brigade d'infanterie de marine, une brigade de missiles de défense côtier, et un régiment de MiG-31.

Après l'entrée en application des grandes lignes de la réforme Serdyukov de 2009, les flottes russes ont commencé à recevoir un grand nombre de nouveaux navires et des nouveaux équipements en nombre conséquent (plus de 50 bâtiments de combat et autant de bâtiments de soutien entre 2010 et 2015). L'immense majorité de ces nouvelles unités ont été données en priorité à la flotille de la Caspienne (qui affiche actuellement le plus fort taux de modernité de la marine russe, en grande partie en raison de son format réduit) ainsi qu'aux flottes de la Mer Noire et de la Baltique. La flotte du Nord à également reçu quelques unités importantes mais la flotte du Pacifique est, une fois de plus, restée en retrait de cet effort de modernisation bien qu'elle ait reçu deux SNLE et deux corvettes ainsi qu'une dizaine de navires de soutien au cours de la décennie 2010.

Pour pallier à ce manque d'unités neuves et modernes, la flotte du Pacifique a alors du axer son effort sur la refonte et la modernsiation d'unité anciennes.

 

Les programmes de modernisation et de réarmement

Le premier programme, le moins ambitieux, concerne les patrouilleurs lance-missiles du projet 12341 Ovod-1 (Nanuchka III) et vise au remplacement des missiles P-120 Malakhit (SS-N-9 Siren) par des missiles 3M24 Uran (SS-N-35), plus performants.

Le deuxième programme concerne les bâtiments de lutte anti-sous-marine du projet 1155 (classe Udaloy) qui vont subir une profonde modernisation en particlier en termes d'éléctronique et surtout d'armement. Les canons AK-100 de 100mm seront remplacés par un unique canon A-190-01 de 100mm, l'espace libéré par le deuxième canon AK-100 supprimé accueillera des tubes lanceurs VLS pouvant accueillir les missiles de la gamme Kalibr et les missiles anti-sous-marins URK-5 Rastrub-5 (SS-N-14) seront remplacé par des missiles 3M24 Uran (SS-N-35). Suite à ces modifications, les bâtiments seront reclassés en tant que frégates. A noter que le premier bâtiment de ce type à avoir subi cette modernisation est le Marshal Shaposhnikov dont les essais en mer ont commencé au printemps 2021. Trois autres unités devraient également être modernisées.

Enfin, le programme le plus difficile à mener à bien sera peut-être la modernisation des sous-marins du projet 949A (classe Oscar II) par l'installation de tubes VLS afin d'echanger leurs missiles P-700 Granit (SS-N-19 Shipwreck) par des missiles de la gamme Kalibr et, à terme, leur permettre d'employer le missile hypersonique 3M22 Tsirkon.

Les travaux ont d'ores et déjà débuté sur les sous-marins K-186 Irkoutsk et K-442 Chelyabinsk mais leur retour au service opérationnel ne devrait pas avoir lieu avant 2023.

Un certain nombre de nouvelles unités neuves devraient également rejoindre la Flotte au cours de la décennie 2020.

Suite à un contrat signé en 2017, il est prévu qu'au total 6 sous-marins à propulsion diesel du projet 636.3 (classe Kilo 636.3) entrent en service au sein de la Flotte du Pacifique d'ici 2025. Trois ont été livrés depuis 2019 et les trois autres devraient suivre au rythme d'une unité par an.

Une dizaine de corvettes appartenant aux projets 20380, 20385 et 20386 (bâtiments partageant tous la même base commune) devraient également venir renforcer la flotte du Pacifique avant la fin de la décennie.

Six patrouilleurs lance-missiles du projet 22800 Karakurt dont la construction a débuté en 2019 devraient également rejoindre la Flotte entre 2025 et 2030.

Enfin 4 bâtiments de guerre des mines du projet 12700 Aleksandrit et 2 bâtiments amphibies du projet 11711 et une demi-douzaine de navires de soutien de différents types destinés à la flotte du Pacifique sont également en construction pour une a livraison annoncée avant 2030.

Un porte-hélicoptère d'assaut parfois présenté comme la solution de remplacement russe aux BPC Mistral non livrés par la France et baptisé Ivan Rogov (projet 23900) a également été mis sur cale le 20 juillet 2020 pour une admission au service actif au sein de la Flotte du Pacifique annoncée pour 2028. Ce délai semble toutefois très optimiste et comme souvent avec les chantiers navals russes, et de surcroit quand il s'agit des têtes de série, il est fort possible que ce délai soit repoussé à plusieurs reprises. En tenant compte des retards habituels et de la durée des essais, toujours très longue en Russie pour les nouvelles classes de bâtiments, une admission au service actif au début de la décennie 2030 semble plus réaliste.

Ce rééquipement et ces programmes de modernisation devraient lui permettre à minima de continuer à pouvoir verrouiller la mer d'Okhotsk en accord avec la traditionnelle doctrine russe des "bastions maritimes" Elle devrait également rester en mesure de projeter ponctuellement ses bâtiments en haute mer dans le Pacifique et dans l'Océan Indien. L'arrivée de bâtiment de tonnage plus important (les frégates du projet 22350, classe Gorshkov) est quant à elle attendue à partir de 2027 au plus tôt. C'est donc plutot la décennie 2030-2040 qui pourrait marquer le retour d'une présence hauturière russe appuyée dans le Pacifique.

 

Conclusion

La Flotte du Pacifique est la dernière flotte à faire l'objet d'efforts pour sa modernisation qu'elle va partager entre construction de nouvelles unités et mise à niveau de bâtiments existants. Ici, l'adage "faire du neuf avec du vieux" sera encore d'actualité pendant quelques temps au moins pour cette flotte qui ne peut pas encore renouveler ses bâtiments de combat de fort tonnage et est obligée de faire du "downsizing". Attention toutefois, car cette réduction de tonnage ne rime pas ici avec réduction de la puissance de feu et les armements qui pourront être mis en oeuvre n'en seront pas moins redoutables, comme ce sera le cas pour le futur missile hypersonique Tsirkon, future terreur des groupes aéronavals.