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Le « SCAF » : vers un nouvel échec européen  ?

La maquette du SCAF a été présentée au salon Euronaval en 2018 - Dassault Aviation - V. Almansa.

UNE COOPÉRATION EUROPÉENNE ? 

En 2017, la France et l’Allemagne annoncent s’associer pour la mise au point d’un « Système de Combat Aérien du Futur » ou SCAF. Cet avion de chasse, sensé entrer en service « à l’horizon » 2040 au sein de l’Armée de l’Air française et de la Luftwaffe allemande, devra être capable d’assurer des missions de supériorité aérienne, de frappes au sol et d’opérations aéronavales (déploiement depuis un porte-avions). Derrière ce projet, une volonté politique affichée de la part de la France (via le président de la République Emmanuel Macron) et de l’Allemagne (via la chancelière Angela Merkel) de disposer d’un vecteur commun. En 2019, l’Espagne annonce être intéressée par le SCAF mais demeure une nation « observatrice ». De là à parler de « coopération européenne »…  

En effet, il serait plus judicieux de parler d’un projet bilatéral entre la France et l’Allemagne qui témoigne, une fois encore, de l’aspect hypocrite de la construction européenne, le « couple franco-allemand » se voulant comme moteur de cette marche en avant vers l’Europe fédérale mais faisant tout ce qu’il faut, de par leur collaboration exclusive, pour détruire ce projet en excluant les autres pays-membres de l’Union. Pour autant, l’année 2019 a été forte en précisions pour ce projet franco-allemand : la France est désignée « leader » du projet avec une entreprise-phare : Dassault Aviation, fleuron aéronautique industriel du pays depuis l’après-guerre, à l’origine des célèbres Mirage III, IV, F1, 2000 ou encore du Rafale. Maître d’œuvre sur le projet, assistée par Airbus (où l’Etat français est le principal actionnaire avec l’Etat allemand), Dassault révèle encore un peu plus le caractère franco-français de l’entreprise et l’expertise tricolore dans le domaine de l’aviation militaire.  

C’est alors qu’on pourrait s’interroger sur la pertinence d’une coopération étatique dans le cadre du SCAF. En effet, la France seule pourrait tout à fait produire cet appareil puisque dans les faits, elle va le faire seule avec l’aide marginale de l’Allemagne. Quel intérêt à s’unir ? Une question de coûts ? Non, un coup de communication politique. Le 14 juillet 2019, le traditionnel défilé militaire des Champs-Elysées avait été placé sous le signe de « l’Europe de la défense ». Cette dernière, qui n’existe pas dans les faits (une Europe de l’OTAN serait plus juste), avait été mise en avant par le président de la République française pour vanter la collaboration européenne, comme si la France seule n’était pas capable de se défendre par elle-même (alors que sa capacité de frappe nucléaire la place d’office dans le club très fermé des grandes puissances militaires). Ce « coup de com’ » nie le caractère très particulier de l’Armée française qui, en Europe, est l’une des seules (avec le Royaume-Uni) à pouvoir projeter sa puissance dans le monde (via les SNLE* et l’aéronautique navale mais aussi via les différentes bases aériennes projetées comme au Proche-Orient). De plus, la France, qui a fait le choix de l’indépendance sous Charles de Gaulle, affiche des systèmes et armements propres qui la rendent atypique dans le paysage militaire mondial. Dès lors, le projet SCAF est une volonté affichée de promouvoir une Europe militaire apparemment unie mais qui ne défend réellement que les ambitions fédéralistes françaises qui voudraient faire de l’Europe une France à échelle continentale.  

DES ANTÉCÉDENTS PEU ENCOURAGEANTS 

La collaboration européenne en matière de défense est un vieux poncif qui ne cesse de revenir sur le devant de la scène militaire et politique. Pour autant, si celle-ci est vantée comme une chance et un gage de qualité, il est à souligner que nombre de projets communs sont soit tombés à l’eau, soit des échecs cuisants. Ainsi, dans les années 1980, la France et l’Allemagne planchent sur un projet de char d’assaut commun qui disparaîtra pour donner naissance aux chars Leclerc français et aux chars Léopard 2 allemands. Cette même décennie devait aussi donner naissance à un avion de combat du futur (ACX) qui, à la suite de nombreux désaccords nationaux, accouchera du Rafale français et de l’EF2000 Eurofigther « européen » (Allemagne/Royaume-Uni/Espagne/Italie). Quant aux projets qui ont aboutis, ceux-ci se révèlent imparfaits, produits de compromis entre Etats-majors nationaux à l’instar de l’Airbus A400M Atlas loin d’être opérationnel 5 ans après sa mise en service dans l’Armée de l’Air française. Seule réussite notable pour le moment, le ravitailleur A330 Phénix entré en service en 2018 dans l’Armée de l’Air et qui semble remplir sa mission sans encombre (après tout, un ravitailleur n’est rien de plus qu’un avion de ligne avec une perche de ravitaillement…). L’Eurofigther est lui aussi imparfait avec de nombreux problèmes techniques alors que le Rafale (de conception franco-française) est lui, pleinement opérationnel.  

QUEL AVENIR POUR LE SCAF ?  

Le SCAF doit entrer en service à « l’horizon 2040 ». Vingt ans c’est long. Surtout lorsqu’on sait qu’il peut se produire quatre changements à la présidence de la République française ainsi que cinq changements potentiels à la chancellerie allemande. D’ici là, l’Union européenne aura peut-être implosé et la collaboration bilatérale ne sera plus qu’un souvenir lointain. Mais le SCAF peut aussi bien voir le jour. Si tel est le cas, il sera un avion français de par sa conception et la planification de ce projet. Si le projet n’abouti pas, alors sans doute connaîtra-t-il le même destin que l’ancien ACX : une scission qui donnera naissance à un avion français d’un côté et un avion « européen » de l’autre. Quoiqu’il en soit, il ne faut pas en attendre trop de la part d’un « coup de com’ »…  

*SNLE = Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engins autrement dit, les sous-marins capables de frappes nucléaires stratégiques.  

Sources 

https://www.usinenouvelle.com/article/voici-a-quoi-va-ressembler-le-futur-avion-de-combat-scaf.N855350 

https://www.bruxelles2.eu/2018/11/07/ce-quest-leurope-de-la-defense-ce-quelle-nest-pas/ 

http://omnirole-rafale.com/genese/ 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Char_Leclerc#D%C3%A9veloppement 

http://www.opex360.com/2018/05/05/quelques-eurofighter-typhoon-allemands-seraient-pleinement-operationnels/ 

http://www.opex360.com/2018/03/01/30-avions-de-combat-eurofighter-typhoon-allemands-ont-ete-disponibles-2017/ 

https://www.usinenouvelle.com/article/un-rapport-allemand-parle-de-problemes-persistants-avec-l-a400m.N673634 

https://www.europe1.fr/economie/airbus-bute-une-nouvelle-fois-sur-les-problemes-de-son-avion-militaire-a400m-3575261