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Le XXIème siècle est-il celui des États-continent ?

Proclamation de l’Empire Allemand le 18 janvier 1871 - Anton von Werner

Introduction

Le 24 octobre 1648 étaient signés les traités de Westphalie qui mettaient fin à la guerre européenne de Trente Ans. Pour la première fois, le concept d’État-nation était reconnu officiellement et appliqué. Là étaient nés les principes fondamentaux de souveraineté, de droit de non-ingérence et d’équilibre des puissances qui allaient régir les relations internationales pendant des siècles. Ainsi, les XVIIIème et XIXème siècles furent ceux des États-nations dont l’apogée fut la Révolution française de 1789. Sous l’impulsion directe ou indirecte des Français, des territoires s’unirent comme l’Italie (1861), le Japon (1868) ou encore l’Allemagne (1871). Face à ces ensembles culturellement homogènes, les grandes puissances multiculturelles qu’étaient les empires s’effondrèrent à l’image de l’Autriche-Hongrie, morcelée à la suite de la Première Guerre mondiale en multiples nations souveraines comme l’Autriche, la Hongrie, la Tchéquie, la Slovaquie, la Slovénie, la Croatie, la Serbie ou bien encore la Pologne. Cependant, la victoire conjointe des États-Unis d’Amérique et de l’Union soviétique au sortir de la Seconde Guerre mondiale, remet en cause ce triomphe des nationalités. Ainsi, deux empires continentaux s’affronteront au cours de la Guerre Froide tandis que d’autres puissances tout aussi grandes en superficie émergèrent comme la Chine, l’Inde, ou encore le Brésil ; supplantant les anciennes puissances historiques. L’idée selon laquelle l’ère des nationalismes était révolue s’installa jusqu’à s’enraciner profondément dans certains États-nations qui cherchent aujourd’hui à s’unir pour exister (cas de l’Union européenne). Ainsi sommes-nous en droit de nous poser cette question : le XXIème siècle est-il celui des États-continent ? Pour répondre à cette interrogation, il convient d’analyser les raisons du succès de ces empires continentaux, nous conduisant à une nécessaire critique de ce modèle avant de s’intéresser au cas du futur de la France et de l’Union européenne…

Les raisons du succès des États-continent

Depuis 1945, le monde semble appartenir à des puissances continentales à l’instar des États-Unis d’Amérique, de l’Union soviétique (aujourd’hui devenue Russie), de la Chine communiste, de l’Inde ou encore du Brésil. Si la première domine culturellement, économiquement et militairement le monde, les autres entrent dans une opposition diplomatique, contestant la supériorité et l’hégémonie américaine. Dans cette liste, aucun État-nation traditionnel : pas de France, de Royaume-Uni, d’Italie, d’Allemagne, ou de Japon. Comment l’expliquer ? Premièrement, il faut bien analyser le contexte de l’ascension des État-continent. Les États-Unis et l’Union soviétique sont devenus des mastodontes diplomatiques, économiques, militaires, technologiques et culturels dans le cadre d’un monde industrialisé reposant sur la Masse. Avec des territoires immenses, aux ressources naturelles quasi-illimitées et disposant d’une démographie écrasante, les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale éclipsent leurs alliés européens que furent la France et le Royaume-Uni.

Autre raison évidente de ce succès : la ruine des puissances nationales traditionnelles. De 1913 à 2008, les cinq plus grandes puissances européennes (Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni) sont passés du quart de la production cumulée mondiale au dixième de celle-ci. Les deux conflits mondiaux, ravageurs, laissent une Europe exsangue et un vide international rapidement comblé par les nouvelles puissances industrielles.

Enfin, il est aussi possible de supposer que le modèle politique de ces États explique cette réussite. Quasiment toutes les puissances continentales sont des fédérations (Chine mise à part). Ce type de régime, extrêmement décentralisé, a le double-avantage d’un dynamisme industriel multipolaire et d’un recadrement de l’institution étatique sur ses seules missions régaliennes (justice, monnaie, défense) ; les autres missions sociales, économiques et culturelles étant prises en charge par les membres fédérés. Cela entraîne un fonctionnement institutionnel théoriquement plus efficace et moins lourd en procédures administratives avec une délimitation claire et définie entre les États fédérés et l’État fédéral.

La nécessaire critique de l’État-continent

Pour autant, derrière les spécificités se cachent un conformisme aux vieux principes de la diplomatie. L’État-continent n’est rien d’autre qu’un État-nation à grande échelle, avec une population homogène se reconnaissant comme Américains, Chinois ou Russes. De plus, il convient de rappeler que les États-continent ne représentent que sept des vingt plus riches nations mondiales en 2018. Seules les armées américaines, russes, chinoises et indiennes sont dans le top 10 mondial des puissances militaires. Malgré leurs ruines en 1945, les États-nation dominent encore la scène internationale avec des pays comme l’Allemagne, le Japon, la France, l’Italie ou encore la Corée du Sud et le Royaume-Uni.

De plus, face à la désindustrialisation et la Révolution numérique, ces grandes puissances industrielles ne peuvent se concevoir comme solides. La Chine est connue pour sa dépendance envers la demande industrielle occidentale à l’image de l’Inde ou du Brésil. La Russie, dont une part non-négligeable de son économie repose sur les ressources énergétiques, est extrêmement dépendante des besoins européens en gaz notamment. Seuls les États-Unis ont su tirer leur épingle du jeu en étant à la pointe de la Révolution numérique et informatique tout en demeurant extrêmement fragiles eu égard à leur système économique spéculatif et boursier. Nées de l’industrie lourde, les grandes puissances continentales sont aujourd’hui face à un défi technologique important que seuls certains semblent avoir relevé tout en étant encore fortement dépendants de leur tissu industriel historique (la Chine, les États-Unis ou encore l’Inde par exemple).

Enfin, le modèle fédéral tant vanté par les partisans de l’État-continent a des défauts profonds à commencer par cette extrême décentralisation qui menace l’unité nationale. Si certes les États-Unis sont une nation, l’imigration de masse en provenance du Mexique menace son unité ethnique, culturelle et sociale. Ce n’est pas un hasard si Donald Trump mène une politique républicaine historique de renforcement de l’État fédéral sur les membres fédérés (dans la tradition d’Abraham Lincoln et de Théodore Roosevelt). La Russie est historiquement marquée par les réticences autochtones tandis que la Chine accuse des velléités de la part de nations intérieures comme le Tibet ou Hong Kong.

L’avenir de la France réside-t-il dans un État-continent européen ?

Et la France ? L’avenir de notre nation est-il dans la grande fusion européiste ? L’Europe fédérale, en tant qu’État-continent est-il le futur de la France ? C’est l’argument des fédéralistes européens depuis des décennies, considérant la France comme « trop petite pour peser ». Quid du Japon ou de la Corée du Sud qui sont des nations bien plus petites que la France et pourtant toutes aussi riches voire plus !? L’Empire du Japon et ses 5 000 milliards de dollars US de PIB ou la République de Corée et ses 1 600 milliards laissent perplexes ceux qui défendent une Europe fédérale.

De plus, l’Europe ne peut exister en tant qu’État-continent en cela qu’elle est tout sauf une nation. Nous l’avons démontré, les États-continent sont des États-nation à grande échelle. Or, il n’existe pas de nation européenne parce qu’il n’existe ni de peuple européen ni de culture européenne ni de religion européenne ni d’histoire européenne. Si l’Union européenne devenait un État souverain, elle ne serait rien d’autre qu’un empire multiculturel comme l’était l’Autriche-Hongrie, le Saint-Empire romain germanique ou encore l’Empire romain ! L’Empire européen serait alors en rebours de deux siècles (voire deux millénaires) sur l’histoire humaine, destinée à disparaître dans les mêmes affres que ses prédécesseurs. Mais quid d’une Europe resserrée, plus proche des Six fondateurs que des Vingt-Sept actuels ? Un échec là encore sans une unification par le fer. Si le rêve de voir s’unir l’Allemagne, la France, l’Italie et le Bénélux était possible en 1812, celui-ci demeure un songe tant ces nations sont aujourd’hui constituées et affirmées. C’est également oublier qu’il n’y a aucune unification nationale sans guerre ; de la France au Japon en passant par l’Allemagne, l’Italie, les États-Unis, et même la Chine, il est difficile d’imaginer une dérogation pérenne de cette règle millénaire…

La France est-elle destinée à disparaître, devancer par ses adversaires continentaux ? Est-elle destinée à demeurer un petit État-nation ? La réponse à la première interrogation est simple : tant que la France délèguera son destin à une coquille vide européenne, il est évident que la France en tant que grande puissance souveraine est vouée à la disparition. Pour la seconde question, la réponse semble assez évidente tant les conquêtes sont désormais limitées voire impossibles. Mais petit par la taille n’est pas synonyme de marginalisation. Malgré tout, la France est la sixième économie mondiale (2 775 milliards de dollars US en 2018), la cinquième puissance militaire et la première d’Europe, alors qu’il existe plus de 190 pays sur Terre ! Il est aisé d’imaginer quels sommets notre pays pourrait atteindre avec un regain de souveraineté et de volonté politique…

Conclusion

Les États-continent sont un succès économique, culturel, diplomatique et militaire indéniable. Leur puissance n’est plus à démontrer tant ils dominent le monde aujourd’hui. Cependant, il ne faut jamais oublier que leur puissance est due à l’industrie lourde et que le défi de la Révolution numérique leur est encore à relever. Plus encore, leur modèle politique tend à la désunion et met en péril l’homogénéité nationale qui fit leur force par le passé. Enfin, il paraît évident que la France n’a plus aucun avenir au sein de l’Union européenne qui la bride et réduit son rang dans le monde, souvent au profit de ses voisins plus pragmatiques comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Si la France veut reprendre en main sa puissance d’antan, il lui faudra nécessairement recouvrer sa souveraineté nationale et surtout sa volonté politique. Ainsi, pourrait-elle facilement devenir le Japon ou la Corée du Sud de l’Europe !

Sources :

L’État national, Mario Albertini (1960)

C’était De Gaulle, Alain Peyrefitte (1994)

Tribune de Valéry Giscard d’Estaing dans Le Monde (18/06/2009) : https://www.lemonde.fr/idees/article/2009/06/18/l-europe-doit-rejoindre-le-groupe-des-etats-continents-par-valery-giscard-d-estaing_1208394_3232.html

La constitution de l’Europe, Jürgen Habermas (2012)

Le Suicide français, Éric Zemmour (2014)

Destin français, Éric Zemmour (2018)