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Les deux Espagne : quand l’histoire se venge

Pedro Sánchez,en présence du Roi, lors de son discours de la cérémonie de la Paques Militaire - MARISCAL / EFE / POOL

L’Espagne est différente. C’est en ces quelques mots que Manuel Fraga, ministre de la communication du Royaume d’Espagne vers la fin du régime franquiste, justifiait le régime politique espagnol différent de ses voisins. Selon ce point de vue, l’Espagne serait un peuple au sang chaud qui disposerait d’une telle énergie que seul un régime autoritaire ne pourrait la canaliser. Selon l’argumentaire adverse, c’est au contraire en faisant l’expérience de la démocratie que le peuple espagnol apprendra à ne plus sombrer dans les dérives qui ont mené à la prise de pouvoir du camp nationaliste. Mais tous admettent indirectement que c’est les radicalismes de chacun des camps qui sont le principal danger. Afin de ne plus retomber dans ces surprises, l’Espagne accepta d’oublier ces mauvais souvenirs. Le pays allait désormais vivre selon un régime politique démocratique ou la droite et la gauche s’échangent le pouvoir de manière régulière, en oubliant les conflits du passé et les vieilles rancunes. Il n’y a aucun blocage institutionnel majeur, les législatures ayant dans le pire des cas une espérance de vie de près 3 ans.

Vers la crise catalane

Comme dirait Éric Zemmour, l’histoire se venge. Après la crise économique de 2008, ce fut le début de la reprise de la vendetta entre ces deux Espagne. En effet, après la politique d’austérité du PSOE, l'extrême gauche réussie à former ce qui est aujourd’hui Union Podemos! un parti politique qui entra rapidement dans le paysage politique. Sous la pression économique et le refus de concéder plus d’autonomie, le mouvement séparatiste catalan réussi à prendre le pouvoir au sein de la généralité[1] de Catalogne et de disposer d’une influence réelle aux Cortès[2]. La réponse ne se fait pas attendre, face au nationalisme catalan et mu par une vision libérale de la société, Ciudadanos prend la tête de la droite en Catalogne, puis vient concurrencer le Parti Populaire au sein de la droite espagnole. 

Après un mandat majoritaire de 2011 à 2015, le PP ne réussit pas à former de coalition en 2015. Il doit donc convoquer une seconde élection qui a lieu quelques mois plus tard, en 2016. Aucune majorité ne se dégageant après ce nouveau scrutin, il devra son maintien au pouvoir à l’abstention du PSOE. La suite, la planète entière la connaît. En 2017, les séparatistes catalans tentent un référendum déclaré illégal par Madrid puis déclare l’indépendance, causant une crise constitutionnelle. Dans l’urgence, l’article 155 de la constitution est activé, et la généralité de Catalogne est administrée depuis Madrid, jusqu’à de nouvelles élections, de nouveau remportées par les partis séparatistes. La crise s’enlise, chaque camp ne changeant pas sa position. 

La confrontation s’enlise et se pourrie

En 2018, le PSOE prend le pouvoir à la faveur d’une motion de censure déposée contre le gouvernement conservateur dirigé par Mariano Rajoy, accusé de corruption. Les Catalans refusant de donner l’appui au budget socialiste l’année suivante, le budget est battu aux Cortès et l’Espagne retourne aux urnes en avril 2019. Le PSOE est réélu, mais incapable de trouver un accord avec l’extrême gauche, il n’a d’autres choix que de concéder la défaite et d’annoncer de nouvelles élections, le 11 novembre. Et là, le 21 avril espagnol survient. VOX, un parti d’extrême droite devient le 3e parti aux Cortès, Ciudadanos s’effondre.

Comprenant l’urgence de la situation, le gouvernement intérimaire dirigé par Pedro Sanchez conclu rapidement un accord avec le parti de Pablo Iglesias. Cependant, reste un gros problème; comment trouver un accord avec les Catalans quand on sait que l’extrême droite n’attend que cela pour commencer à déstabiliser le pays? Comprenons-nous bien, nous ne parlons pas d’une extrême droite comme le Rassemblement National en France qui a depuis longtemps accepté les règles de la démocratie, nous parlons d’un parti caricaturalement extrémiste dont plusieurs élus appellent ouvertement à l’invocation de l’article 8 de la constitution. Cet article de la constitution prévoit que «les forces armées, composées de l'armée de terre, de la marine et de l'armée de l'air ont pour mission de garantir la souveraineté et l'indépendance de l'Espagne, de défendre son intégrité territoriale et son ordre constitutionnel. » Pire encore, le roi semble approuver tacitement cette logique, invoquant «la fidélité des forces armées à l’Espagne et à la constitution ». Le regard que Pedro Sanchez donnera au chef de l'État et des forces armées après cette phrase ne laisse aucun doute, il permet de confirmer que nous parlons bel et bien d’un désaveu. Pedro Sanchez sera finalement reconduit président du gouvernement le 7 janvier 2020, mais avec une marge de manœuvre très réduite. 

La démocratie n’est pas une panacée

Quelle est la cause d’une telle descente aux enfers pour une Espagne qui avait pourtant l’avenir devant elle après la transition démocratique et son miracle économique ? Est-ce la mauvaise gestion économique ? Est-ce l’intolérance d’une droite qui croit avoir le monopole de l’hispanité ? Est-ce l’intransigeance de l’indépendantisme catalan qui croit avoir le monopole de la démocratie ? Est-ce l’arrogance d’une gauche qui démontre déjà l’arrogance du pouvoir ? La vraie réponse est très simple, pourtant tragique. Les deux Espagne ont pu cohabiter sous l’impulsion d’une démocratie nouvelle puis d’une économie qui roule à plein régime, cette nouvelle union était condamnée par l’histoire à échouer. Vous savez, quand un peuple décide de tout oublier, l’histoire reviendra un jour ou l’autre le hanter. Ce jour-là, il faudra faire des choix que nous avons refusé de faire pendant trop longtemps en raison cause des souvenirs douloureux.  

La question dont seule l’Espagne détient la réponse est la suivante: démocratie ou unité ? Doit-elle accepter le départ de la Catalogne du royaume d’Espagne pour retrouver une stabilité démocratique au prix de la perte économique et culturelle que cela entraînerait ? Ou au contraire, doit-elle décider de tout mettre sur la table afin de préserver son unité, quitte à y perdre une bonne partie de sa démocratie et de sa stabilité au passage ?

 

[1] Généralité de Catalogne : Gouvernement autonome de la Catalogne

[2] Cortès : Parlement espagnol



Sources :

(Espagnol) Pour les déclarations du roi : https://www.abc.es/espana/abci-agradece-fuerzas-armadas-lealtad-y-compromiso-espana-y-nuestra-constitucion-202001061315_noticia.html#vca=rrss&vmc=abc-es&vso=tw&vli=cm-general&_tcode=M2prMWQx

(Espagnol) Pour les déclarations de l’extrême droite : https://www.antena3.com/noticias/espana/espinosa-de-los-montero-sobre-sacar-a-las-fuerzas-armadas-a-la-calle-el-ejercito-esta-para-hacer-guardar-la-constitucion_202001055e11e19e0cf22da6f2ac87df.html

(Espagnol) À propos du slogan «L’Espagne est différente » https://www.abc.es/espana/20141221/abci-spain-diferent-201412181821.html

(Anglais) Résumé de la crise catalane : https://en.wikipedia.org/wiki/2017%E2%80%9318_Spanish_constitutional_crisis

(Français) Liste des chefs du gouvernement espagnol, afin de vous orienter sur Wikipédia si vous voulez mener vos propres recherches: https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_chefs_du_gouvernement_espagnol#R%C3%A8gne_de_Juan_Carlos_Ier_(1975-2014)

(Français) Documentaire Juan Carlos, l’enfance d’un chef qui raconte la transition démocratique https://www.youtube.com/watch?v=cWZPmMuWzFk&t