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Les enjeux de la fin du traité sur les Forces nucléaires intermédiaire (FNI)

Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev signant le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire - National Archives and Records Administration ARC

En décembre 1987, au crépuscule de la Guerre Froide, l’URSS et les Etats-Unis ont signé un traité de non-prolifération des missiles à capacité nucléaire d’une portée moyenne allant de 500 à 5 500 km (neutralisant ainsi les missiles balistiques SS20 soviétiques et Pershing américains). Le 2 août 2019, le traité a officiellement pris fin et amorce de nouveaux enjeux stratégiques sur le globe et des perspectives de développements militaire.

Qui sont les bénéficiaires ?

Les principaux bénéficiaires de la fin de ce traité sont la Russie et les Etats-Unis. La première ne se retrouve ainsi plus bridée dans le développement de ses missiles SSC-8 qui sont à l’origine de la discorde avec les Etats-Unis en 2014 autour du traité sur les FNI. Discorde qui a précipité le retrait russe du traité le 3 juillet 2019 puis le retrait américain le 2 août. La Russie peut ainsi maintenir son niveau de développement technologique en plus accroître sa force de dissuasion vers l’ouest européen et l’est asiatique jusqu’à l’Alaska.

Les Etats-Unis, dont le tournant asiatique a été des plus visibles depuis le début de la présidence de Donald Trump vont pouvoir aligner de nouvelles forces face à la Chine qui dispose d’un arsenal de missiles nucléaires à moyenne portée[1] renforçant ainsi les moyens déployés dans le Pacifique.

Les pays européens et principalement les puissances comme la France sont les grands perdants de ce traité. Tous membre de l’OTAN, les puissances européennes occidentales se retrouvent malgré-elles dans face à un défi qu’elles ne contrôlent pas, tiraillé d’un côté entre devant assurer une dissuasion crédible et donc participer à la course à l’armement, de l’autre, limiter et apaiser les tensions sur le continent européen avec la Russie. En juillet 2019, Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN a reconnu que les « défenses actuelles ne sont pas en mesure d’abattre un missile de croisière tiré depuis la Russie ». Là encore les pays européens de l’OTAN ne seront pas tous d’accord sur la ligne à adopter.

Impact sur la « course à l’armement »

La Russie a déjà anticipé la transition du traité en développant des missiles pouvant transporter une charge nucléaire. Ceci avec par exemple son missile Kalibr qui existe en plusieurs variantes. Le Kalibr est initialement un missile de croisière destiné aux bâtiments de la marine avec une portée opérationnelle de 50 à 300 km. Les dernières versions 3M-14/3M-14T allongeraient la portée d’environ 1 500 à 2 500 km, ils pourraient transporter des ogives nucléaires jusqu’à 500 kg, ces deux caractéristiques sur la portée et le transport font des Kalibr des armes qui étaient en capacité d’être interdites par le traité FNI. Les missiles Kh-101 (qui datent du tournant des années 2000) et leur variante Kh-102 seraient aussi concernés.

Les Etats-Unis ont lancé de nouveaux projets de missiles balistiques avec le projet Precision Strike Missile (PrSM) qui oppose les deux entreprises américaines de la défense, Raytheon et Lockheed-Martin.  La fin du traité permet la révision de la portée initiale bridée à 499 km, les premiers essais du missile doivent avoir lieu en août 2019 pour une mise en service estimée en 2023. Avec ce projet, les Etats-Unis comptent remplacer le Army Tactical Missile System (ATACMS) déployé en 1990 sur les systèmes HIMARS. Il est aussi prévu que les Etats-Unis mettent au point des missiles nucléaires de faible puissance à usage tactique. Il est a noté que la Pologne ainsi que la Roumanie ont commandé des systèmes HIMARS et seront donc en capacité de servir de plateforme pour des tirs de missiles PrSM, les deux pays semblent déjà avoir choisis leur voie.

Quels changements militaro-stratégiques ?

Diversifier sa force de dissuasion pour multiplier sa flexibilité et accroître sa capacité de survie en cas de conflits, tel est l’objectif d’un arsenal nucléaire intermédiaire. Outre un rapport coût/efficacité, la possibilité de doter par exemple des missiles de croisière d’une capacité nucléaire permet aussi de multiplier ses forces capables de délivrer une frappe de dissuasion, ainsi un bâtiment ou une force en apparence « conventionnelles » peu délivrer le feu nucléaire. Celle-ci sera d’une moindre puissance qu’un missile balistique certes, mais qui par effet de multiplication mettra à mal les défenses anti-missiles de l’adversaire. La multiplication des systèmes de forces nucléaires intermédiaires inclus par ailleurs un besoin pour les systèmes de défense de s’adapter en conséquence aux nouvelles menaces.

Alors que le traité New Start[2] (2010) arrive à échéance en 2021, il semble que les rivalités militaro-stratégiques soient à un tournant depuis la Guerre Froide. Le président américain Donald Trump à néanmoins fait part de son souhait à ce que le traité soit reconduit en y intégrant la Chine.

[1] Les missiles DF-26 chinois disposent d’une portée moyenne de 3 000 à 4 000 km et peuvent frapper la base américaine de Guam depuis la Chine continentale. Il s’agit aussi de des missiles de la série Hong Niao (HN).

[2] Le traité signé entre les Etats-Unis et la Russie limite le plafond du nombre de lanceurs à 800 pour 1 550 tête nucléaires.

Sources :

https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-de-la-dissuasion/le-missile-de-croisiere-a-capacite-duale-comme-moyen-de-dissuasion-56 

https://fr.sputniknews.com/defense/201812071039219767-missile-9m729-traite-fni-usa-russie/

https://fr.sputniknews.com/defense/201808151037663917-df-26-missile-nucleaire-chine/

https://www.la-croix.com/Monde/fin-traite-FNI-debride-course-armements-2019-08-02-1201038904

http://www.opex360.com/2019/08/03/fin-du-traite-fni-les-etats-unis-annoncent-le-developpement-de-nouveaux-missiles-conventionnels/