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Les États-Unis, puissance mondiale malgré elle ?

Vision de l’hégémonie états-unienne sur le monde - ©netivist.org

Le 2 décembre 1823, le président américain James Monroe énonçait les principes fondateurs de sa doctrine éponyme : isolationnisme et neutralité. Définissant la diplomatie américaine pendant près d’un siècle, la doctrine Monroe s’efface petit à petit jusqu’à la Seconde Guerre mondiale où les États-Unis deviennent une puissance mondiale de premier rang. Omniprésents en Occident européen et en Orient asiatique, les Américains jettent les bases du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. L’élection de Donald Trump en novembre 2016 transforme profondément la géopolitique américaine, revenant aux fondements nationalistes et isolationnistes traditionnels. Ce retour aux sources trahit-il une réticence à la grandeur ? Les États-Unis propulsés, à l’encontre de leurs convictions historiques profondes, grande puissance mondiale sont-ils réellement faits pour la grandeur internationale ? Les Américains le désirent-ils ? Quels bénéfices et inconvénients en tirent-ils ? Pour répondre à ces interrogations, il convient d’étudier les facteurs déterminants de la puissance américaine. Ensuite, nous reviendrons sur les évolutions et contradictions diplomatiques des États-Unis. Enfin, il conviendra de s’intéresser à la « réaction Trump » et aux convictions profondes du peuple américain ; fondement de la nation étatsunienne.

Les facteurs déterminants de la puissance américaine

Les États-Unis d’Amérique sont une république constitutionnelle fédérale et présidentielle. En 2020, cet État-nation s’étend sur plus de 9 millions de km² avec plus de 327 millions d’habitants. Troisième pays le plus peuplé du monde, son produit intérieur brut est le second avec presque 18 000 milliards de dollars contre 19 000 milliards pour la République populaire de Chine. Treizième nation en termes de développement humain (classement IDH), les États-Unis représentent 25% de la production mondiale de richesses. Comment expliquer cette puissance ? Qu’est-ce qui la caractérise ?

Les États-Unis sont une économie post-industrielle. La majeure partie de son économie est représentée par le secteur tertiaire (75%). La Banque et la Finance ont une place prépondérante dans l’économie américaine ; en témoigne l’importance mondiale des indices boursiers « Down Jones » et « NASDAQ ». La bourse de Chicago, moins connue que celle de New York, est la première bourse en termes d’opérations traitées. Troisième pays touristique après la France et l’Espagne, l’Amérique draine des dizaines de millions de visiteurs à l’année. Vecteur de transmission de la culture américaine, l’industrie du divertissement américaine (Hollywood) s’exporte à travers le monde et supplante régulièrement les productions nationales, obligeant certains pays comme la France à adopter des lois de protection culturelle. À l’étranger, les principaux partenaires commerciaux américains sont le Mexique, le Canada, la Chine, le Japon, l’Allemagne et le Royaume-Uni.

Malgré sa prépondérance pour les services, les États-Unis affichent un secteur secondaire dynamique orienté vers deux pôles majeurs : la haute-technologie et l’industrie lourde. Principal producteur mondial de pétrole et d’acier, l’Amérique demeure le chef mondial de l’industrie aérospatiale. Le numérique est également à la pointe avec des entreprises-phares comme Apple, Google et autres locataires de la fameuse Silicon Valley. À noter également la prépondérance rémanente de l’industrie automobile.

Enfin, comptant pour 5% de l’économie américaine, le secteur primaire se concentre sur deux pôles majeurs : l’agro-alimentaire et l’exploitation minière. L’agriculture américaine, premier exportateur et second importateur mondial, est la première du monde. Variée, celle-ci est connue pour ses bovins, ses alcools (whiskeys, vin de Californie), ses céréales (maïs, blé, soja), coton, tabac et divers fruits. Caractérisée par son intensité et son étendu, celle-ci est régulièrement critiquée pour son modernisme en totale opposition avec le traditionalisme et le « terroir » propre aux pays européens (notamment la France). Régulièrement dans les cinq premiers producteurs mondiaux de magnésium, phosphate, sel, pétrole, charbon, gaz naturel, or, soufre, cuivre, plomb, titane, zinc, argent, et fer.

Les États-Unis sont une grande puissance économique. Ses productions technologiques, agro-alimentaires, industrielles et culturelles inondent le Monde. Alpha et oméga de la Finance, de la Banque, et du capitalisme de façon générale, l’Amérique est le modèle des nombreuses nations libérales à travers le monde. Mais l’économie et la culture ne suffisent pas pour compter dans le monde, sans quoi le Japon et l’Allemagne seraient des géants. Une grande puissance complète se définit aussi par sa diplomatie et son armée.

Les évolutions et contradictions diplomatiques des États-Unis

La doctrine Monroe édictée en 1823 est la clef de voûte de la diplomatie américaine pendant tout le XIXème siècle. Elle repose sur trois principes fondamentaux qui permettent de mieux comprendre l’attitude parfois paradoxale de l’Amérique : l’isolationnisme, la neutralité et l’impérialisme continental. Encore marqués par le souvenir de la colonisation britannique et des guerres de Révolution et d’Empire, les États-Unis affichent une attitude hostile envers l’Europe qu’ils considèrent comme un ensemble de nations colonialistes, impérialistes et belliqueuses. Pour éviter toute guerre non-désirée, le président démocrate Monroe réaffirme la neutralité américaine. Dans le même temps, il annonce que l’Amérique est souveraine, fermée à la colonisation, se gardant bien de définir « l’Amérique ». Dans le but de sanctuariser la souveraineté américaine, les États-Unis s’engagent à ne pas intervenir en Europe tant que les nations du Vieux-Continent n’interviennent pas aux Amériques.

La doctrine Monroe a un double avantage : laisser disponible la possibilité de colonisation du continent américain (prolongement de la conquête territoriale britannique) tout en écartant une intervention européenne en représailles d’alliances militaires éventuelles. C’est ainsi que les États-Unis vont profiter de la division politique européenne pour asseoir leur suprématie en Amérique. Dès 1853, le pays obtient ses frontières contemporaines continentales. En 1890, la résistance amérindienne est définitivement traitée. Le « Far West » devient un souvenir au fur et à mesure que la nation américaine se développe. Né ex nihilo, comme la quasi-totalité des États américains, l’Arizona devient le 48ème État fédéré en 1912.

Dans le même temps, la fin du XIXème siècle voit les États-Unis se constituer en empire. Nation maritime et commerciale par excellence, ils développent une puissante marine de guerre constituée de modernes cuirassés. Rapidement, la doctrine Monroe fait intervenir les Américains, et notamment les fameuses troupes de Marine (Marines). En raison de son importance stratégique, l’Amérique entreprend de transformer les Caraïbes en mare nostrum, n’hésitant pas à affronter des puissances européennes comme l’Espagne en 1898 après lui avoir auparavant pris la Floride (1819). Ainsi, de 1891 à 1912, les États-Unis n’hésitent pas à intervenir au Honduras, à Haïti, à Cuba, au Nicaragua, en Colombie, au Venezuela ainsi qu’au Chili. En 1900, la nation américaine domine le continent qu’elle a transformé en sphère d’influence.

Outre-Pacifique, la politique impérialiste américaine atteint le Japon qui est ouvert de force au commerce américain en 1853 en application de la « diplomatie de la canonnière » qui revient à laisser le choix à une nation d’ouvrir ses ports ou de les voir brûler. Les Philippines, auparavant espagnoles, deviennent un protectorat tandis que Guam, Porto Rico, et Hawaï sont annexés. Les marchés chinois suivent l’exemple japonais avec des investissements massifs et une ingérence de plus en plus grande dans la politique chinoise, dont le point culminant sera la guerre civile de 1927-1949.

En avril 1917, lorsque les États-Unis entrent dans la Première Guerre mondiale, ces derniers sont de facto une nation colonialiste et impérialiste contrairement au discours diplomatique du pays. Pour autant, de 1823 à 1917, ils sont restés cantonnés hors de l’Europe en application de la doctrine Monroe. Qu’est-ce à dire de leur entrée dans la Grande Guerre ? Celle-ci prend le contre-pied de l’historiographie européenne qui voudrait une intervention humaniste et démocratique. La réalité est bien différente. Longtemps mis en avant, le naufrage du Lusitania, paquebot civil en 1915, n’a pas motivé l’entrée en guerre des ÉUA qui intervient deux ans plus tard. La véritable raison de l’intervention américaine est motivée par l’effondrement de l’Empire russe en février 1917. Ce dernier menace une contamination sur le front occidental dû à l’arrivée massive des troupes allemandes du front russe vers le front français. Redoutant une Europe allemande néfaste au commerce américain, le président Wilson créé une propagande germanophobe de toute pièce alimentée par les événements du Lusitania et la guerre sous-marine reprise par Berlin. De plus, un autre élément est à prendre en compte : les dettes européennes. Depuis 1914, l’Amérique finance (tous) les belligérants qui ont suspendu leurs monnaies-or nationales pour de la monnaie-papier. Or, depuis la destruction du Lusitania, l’Amérique ne prête plus qu’aux nations française, britannique, italienne et russe. Les voir être détruites, c’est prendre le risque de perdre énormément d’argent…

Outre le fait que l’intervention américaine fut plus symbolique et morale qu’efficace, la fin de la Grande Guerre consacre l’hégémonie économique et financière des États-Unis sur l’Europe exsangue, saignée à blanc par quatre ans de conflit et 40 millions de morts. Celle-ci transparaît dans les décisions de 1918-1919 : interdiction de démembrer l’Allemagne au profit de la France, réticence donc à une offensive finale vers Berlin qui aurait anéanti tout revanchisme, Société des Nations sans pouvoir, équilibre des puissances tout en favorisant les Anglo-Saxons et Germains face aux Français, etc. Malgré elle, l’Amérique a dû intervenir en Europe. Pour autant, le créancier a tous les droits sur ses débiteurs, ce qui explique l’ingérence américaine dans une Grande Guerre à laquelle elle n’a quasiment pas participé. Les États-Unis se sont enrichis sur le dos des nations européennes ; la Seconde Guerre mondiale les rendra plus puissants militairement.

Pour contenir l’Allemagne revancharde, Washington comptait sur la France comme rempart. Possédant la plus puissante armée du monde d’alors, elle est considérée indestructible. Il faudra six semaines pour que les Allemands anéantissent les Français. C’est un choc psychologique sans précédent. Roosevelt, europhile, décide alors de provoquer la guerre pour des raisons similaires au premier conflit mondial : le refus de l’hégémonie allemande en Europe. Conscient qu’Hitler n’oserait jamais déclarer la guerre aux États-Unis, il décide de proclamer un embargo pétrolier contre l’Empire du Japon alors en pleine expansion territoriale en Chine. Moins d’une année plus tard, l’Amérique est frappée à Pearl Harbour. Cette fois-ci, la population soutient la guerre. Loin d’avoir les meilleurs soldats (France), le meilleur matériel (Allemagne), le meilleur réservoir démographique (Union soviétique) ni même la meilleure doctrine maritime (Japon), les États-Unis vont triompher grâce à deux facteurs déterminants et complémentaires : l’industrie lourde et l’éloignement. Leurs matériels de qualité moyenne inondent les théâtres d’opérations tandis que leur éloignement leur permet de produire à plein régime pendant trois ans. Enfin, un dernier élément primordial vient s’ajouter à la liste : la puissance technologique. Regroupant les meilleurs chercheurs scientifiques d’Occident, l’Amérique développe l’arme atomique avant tous ses concurrents, lui permettant d’asseoir sa puissance militaire.

L’étape finale de la transformation diplomatique américaine est la Guerre Froide (1945-1991). Le monde est partagé en deux sphères d’influence ; celle de l’Union soviétique, de Berlin à Pyongyang, et celle des États-Unis d’Amérique, de Séoul à Ankara. Face à l’épuisement total des nations européennes alliées (France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie), Washington est obligé de prendre la direction de l’Alliance pour défendre ses intérêts : le pays est entré en guerre pour éviter une hégémonie allemande sur l’Europe et japonaise sur l’Asie, ce n’est pas pour y voir se développer une hégémonie soviétique sur ces deux continents. Prisonnière de sa propre puissance, les États-Unis deviennent une puissance malgré eux, s’engageant dans des conflits longs et éreintants comme en Corée (1950-1953) ou au Vietnam (1954-1975) pour combattre l’influence russe. Après la chute de son adversaire, l’Amérique obtient une position hégémonique mondiale qui lui permet d’imposer sa vision aux autres nations bien trop faibles pour s’y opposer.

La « réaction Trump » et l’opinion publique américaine

Qu’ont pensé les Américains de ce bouleversement diplomatique majeur ? Fortement opposés à la Première Guerre mondiale car n’y voyant pas le bien-fondé, elle est majoritairement isolationniste et attachée à la stricte application de la doctrine Monroe. C’est l’attaque japonaise de Pearl Harbour, le 7 décembre 1941, qui renversa l’opinion américaine et la rendit belliqueuse. Comme tout peuple attaquer sur son sol, ce qu’avait compris Roosevelt, le peuple américain se donna corps et âmes dans la Seconde Guerre mondiale. Au cours de la Guerre Froide, les Américains sont anticommunistes en cela que cette doctrine économique est en tout point opposée au capitalisme. Cependant, il faut comprendre que la Guerre Froide n’a pas été un affrontement idéologique économique mais bien une lutte entre deux puissances nationales à l’échelle mondiale : l’URSS et les ÉUA. Un premier choc psychologique renverse l’opinion américaine en 1968 avec l’offensive du Têt au cours de laquelle les troupes américaines sont attaquées par surprise par les troupes nord-vietnamiennes. La destruction de la censure militaire a permis aux populations de réaliser l’ampleur de cette guérilla dans laquelle les Américains étaient mobilisés (la conscription ne fait pas partie de la culture américaine). Il faudra la victoire éclair de la guerre du Golfe en 1991 et les attaques terroristes du 11 septembre 2001 pour réconcilier les Américains avec la guerre. Cependant, empêtrée dans des conflits décousus face à des adversaires en perpétuelle reconstitution, l’Amérique retrouve son état d’esprit post-Têt.

C’est dans ce contexte de refus d’ingérence que l’État américain profond va voter pour Donald Trump président. À la surprise générale, celui-ci est élu face à Hillary Clinton qui, dans la droite ligne de George W. Bush et Barack Obama, était une va-t-en-guerre. Dès son arrivée au pouvoir, il annonce la fin du tribut américain au Moyen-Orient et rapatrie les troupes nationales d’Afghanistan, Syrie et Irak. Face aux adversaires russe, iranien, nord-coréen et chinois, il emploie une politique de pression économique, de chantage et de protectionnisme qui économise le sang des « boys ». Contre les États européens, il menace l’OTAN de destruction afin de les inciter à assumer eux-mêmes leur défense. En 2020, son bilan économique, politique, diplomatique et militaire est sans appel. C’est le retour à un certain isolationnisme traditionnel et Donald Trump devient le premier président américain à ne pas engager de forces nationales depuis le républicain Herbert Hoover (1929-1933).

Cependant, il ne faudrait pas considérer que tout le peuple américain soutient la politique nationaliste de Trump. À l’instar des autres pays occidentaux, l’Amérique est divisée en deux groupes distincts. Dans les campagnes, les petites et moyennes villes, les Américains soutiennent leur pays et la politique de paix relative induite par l’isolationnisme. Dans les grandes villes, une autre partie des Américains, déracinés et interconnectée avec les autres populations urbaines mondiales, considère que l’Amérique a un rôle universaliste et désirent qu’elle conserve son rôle de « gendarme du monde » hérité de la Seconde Guerre mondiale, quitte à entrer en guerre contre la Chine, la Russie ou l’Iran ; perpétuant une politique autodestructrice héritière de la Guerre Froide et incarnée par le camp démocrate.

Conclusion

En somme, les États-Unis héritent d’une situation géopolitique léguée par la Seconde Guerre mondiale. Face à la saignée démographique, économique, militaire et politique des nations européennes au cours des deux conflits mondiaux industriels, l’Amérique est devenue, malgré ses fondements politiques et diplomatiques profonds, une grande puissance mondiale voire la plus grande puissance mondiale. Profitant de leur hégémonie, les États-Unis s’enrichissent mais s’embourbent aussi dans des guerres multiples desquelles ils ne sortiront qu’avec un retour à la diplomatie traditionnelle sous le mandat de Donald Trump. À l’instar des autres populations occidentales, le peuple américain est divisé entre ceux, appartenant à l’Amérique profonde, qui soutiennent Trump et la politique traditionnelle historique, et ceux, appartenant à l’Amérique mondialisée des grandes métropoles, qui défendent le mondialisme et l’interventionnisme au nom des « droits de l’Homme ». Les États-Unis étaient destinés à devenir une grande puissance de par leur esprit de conquête et de domination, mais semble-t-il, n’étaient pas prêts à assumer la gouvernance du monde, là est toute la nuance…

Sources :

Pearl Harbor : une provocation américaine ?, André Kaspi (1987)

Histoire du XXe siècle Tome 1 : la fin du « monde européen », Serge Bernstein & Pierre Milza (1996)

Franklin Roosevelt, André Kaspi (1997)

La civilisation américaine, Collectif avec André Kaspi (2004)

Les États-Unis, société contrastée, puissance contestée, Michel Goussot (2007)

Comprendre les États-Unis d’aujourd’hui, André Kaspi (2008)

Rapport de l’épreuve de dissertation d’Histoire contemporaine du concours d’entrée à l’ENS Lettres & Sciences humaines, École normale supérieure (2018)

Théories de la politique étrangère américaine : Auteurs, concepts et approches, Charles-Philippe David & Frédérik Gagnon (2018)

La Chute de la météorite Trump, Paul Jorion (2019)