Les « Gaulois réfractaires »
La formule avait profondément choqué les Français – à raison – par son incroyable mépris, renforcé par le fait que ce soit le chef de l’État en personne qui la prononçât. Pourtant, cette sortie médiatique trahit une réalité intrinsèque au peuple français.
Avant de démontrer en quoi, malgré sa honteuse maladresse, le président de la République a raison dans son analyse, il convient de définir le peuple français. Contrairement à la Nation, celui-ci apparaît plus tardivement. L’appel royal du 12 juin 1709 demeure l’acte fondateur du concept politique de « peuple » en France. Menacé de défaite en pleine guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), Louis XIV s’adresse exceptionnellement à ses « peuples » pour qu’un sursaut national permette de renverser la situation dramatique dans laquelle le pays est alors engagé. À cet instant, il n’existe pas encore de peuple unifié et homogène mais des peuples aux cultures et identités plurielles. Malgré tout, cet appel à l’aide est fondamental : ce n’est pas devant les États-Généraux (assemblée élue représentative des trois ordres traditionnels de la royauté) ou un quelconque parlement que le monarque s’exprime mais aux habitants et « sujets » directement. Déjà, Louis XIV instaure un lien indestructible entre le chef de l’État et la base populaire, que même la Révolution ne saura détruire, en témoigne l’adhésion au régime impérial doté d’un exécutif puissant. Cependant, ce sont bien les événements révolutionnaires de 1789 qui vont accoucher d’un peuple français uni. La fête de la Fédération, la « Patrie en danger » ainsi que les victoires républicaines de Valmy et Fleury où les simples habitants du pays parviennent à triompher d’armées d’élite vont provoquer la consolidation d’un sentiment populaire national. Les actions impériales et républicaines qui suivront achèveront la mutation d’une société hétérogène en un ensemble uni. Dès lors il est possible d’affirmer qu’à la fin du XIXème siècle, le peuple français est devenu une réalité.
Qu’est-ce à dire de ce peuple ? En tant que société d’individus vivant sur un même territoire et partageant une histoire, des coutumes, une culture communes ; il est possible d’affirmer plusieurs vérités et constances singulières et uniquement attribuables à celui-ci. D’abord, la frugalité propre aux paysans d’antan. La France a longtemps été et demeure encore un pays de tradition paysanne, enraciné dans un territoire fertile et riche. Ne jamais dépenser plus que ce qu’il est permis, économiser, épargner, ne recourir au crédit qu’en cas de besoin ou pour un investissement immobilier, telle est encore aujourd’hui la réalité de nombreux Français. Conjointement à la frugalité, la prudence et le conservatisme trahissent les racines paysannes du peuple. Dès le XVIIème siècle, nombreux sont les ministres et dirigeants qui se plaignent du manque d’audace du pays, notamment dans les entreprises coloniales et marchandes. La prise de risque effraie au plus haut point. Enfin, le changement brutal, assimilé à une irrégularité des récoltes et donc un danger vital, constitue un élément fondamental de méfiance chez les Français. On comprend mieux les votes réactionnaires pré-1876 dès lors que le suffrage universel était disponible, ainsi que l’aspiration à la paix caractéristique des années 1871, 1936 et 1958. Enfin, le peuple français, parce qu’il est attaché à son territoire, affiche une constance à le défendre quoi qu’il en coûte, en attestent les formidables défenses déployées ne serait-ce qu’au cours des trois dernières guerres franco-allemandes en date (1870-1945).
Le peuple français est un peuple frugal, prudent, conservateur, pacifique et défensif. Parce qu’il considère le chef de l’État – qu’il soit roi, président ou empereur – comme un père protecteur, il attend en retour une aide, sorte de défense contre les injustices héritée de la mission régalienne instaurée par Saint-Louis voilà huit siècles. Il faut préciser que les rois de France ont toujours jouer le peuple contre les grands féodaux et seigneurs afin d’affirmer leur puissance et autorité. Nier ce qui fait la particularité du peuple français sur tous les autres – comme la Nation ou l’État français – c’est nier la réalité politique d’une société, c’est nier la culture et l’histoire qui l’ont construite. Ainsi, malgré une formulation inexcusable, Emmanuel Macron trahit une vérité sur le peuple de France. Mais au lieu d’embrasser ce constat et d’agir en concordance avec ce dernier, le chef de l’État a fait le choix de l’affrontement et du déni. Car ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que face aux « Gaulois réfractaires », il fait l’apologie des Danois luthériens, antithèse par excellence des Français catholiques…