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Les nouvelles routes de la soie, un projet ambitieux d'envergure mondiale (4/4)

Le président chinois Xi lors de son premier déplacement à l’étranger, en Tanzanie. (Crédits photo : DR)

LA « CHINAFRIQUE »  

Depuis sa découverte par des puissances européennes l’Afrique fait l’objet de nombreuses convoitises. Du commerce triangulaire entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques aux différents coups d’Etat orchestrés sinon soutenus par divers pays, l’Histoire de ce continent est malheureusement faite d’exploitation. Celle-ci s’exprime notamment par les différentes colonies dont disposait la France, l’Italie, l’Allemagne ou encore la Belgique avec le Congo. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et les différents mouvements d’indépendance des pays africains, le continent compte aujourd’hui 54 pays. Ces acteurs représentent une grande réserve d’alliés dans la communauté internationale, ainsi que des partenaires commerciaux stratégiques. Longtemps l’apanage de la France avec la « Françafrique », le continent berceau du monde change « d’allié » en se détournant de l’Occident pour regarder vers l’Asie et la Chine. Comme évoqué dans notre précédent article, ce rapprochement n’est pas récent puisqu’il puise son origine de la conférence de Bandung en 1955. Une conférence sur laquelle nous reviendrons afin de comprendre l’intérêt chinois pour l’Afrique, le basculement de la Françafrique à la Chinafrique, et l’aide « détournée » de la Chine au continent africain.  

DE LA FRANCAFRIQUE A LA CHINAFRIQUE : CHANGEMENT DE PARTENAIRE  

Un des principaux objectifs de la République Populaire de Chine lors de sa proclamation en 1949 fut la reconnaissance internationale. Le gouvernement chinois ayant fui sur l’île de Taïwan, la bataille entre ces deux entités pour obtenir la place la plus légitime à l’ONU était importante. Pour faire pencher la balance de son côté, le gouvernement de Mao décida de participer à la conférence de Bandung organisée en 1955. Réunissant Nehru (Inde), Nasser (Égypte) ou encore Soekarno (Indonésie) pour ne citer qu’eux, cette conférence fut la première à affirmer les droits des pays décolonisés du tiers-monde, notamment le droit et la volonté de ne pas s’aligner sur la politique des blocs américain et russe ; d’où naitra l’appellation du « mouvement des non-alignés ».  Le ralliement de la République Populaire de Chine à ce parti lui vaudra les faveurs de nombreux pays africains. De cette façon, Taïwan fut poussée petit à petit à la porte de l’Afrique.   

Aujourd’hui, la Chine est soutenue par la plupart des pays africains à l’ONU, seule une poignée privilégiant la Chine insulaire à la Chine continentale. Les objectifs de la Chine ne semblent pas seulement commerciaux mais également d’ordre diplomatique.  

Cette volonté pousse le gouvernement de Xi Jinping à continuer de porter assistance à l’Afrique en lieu et place de ses anciens partenaires européens, au premier rang desquels figure la France.   

Si les desseins peuvent varier, le fond n’en reste pas moins le même. L’Occident estime avoir un devoir d’accompagner l’Afrique sur la route de la démocratie et du libéralisme économique, là où la Chine s’appuie sur une coopération « Sud-Sud » de nations historiquement dominées par le Nord. Mais ces nobles ambitions sont nourries par une volonté commune de « pillage » économique (accès aux ressources naturelles et/ou marché africain) et une même logique géopolitique et diplomatique (conserver ou renforcer son influence dans la région).  

Cette appétence de l’Occident et de la Chine pour l’Afrique s’est néanmoins manifestée différemment. Alors que l’Europe conditionne son aide à la mise en place d’une démocratie, d’une bonne gouvernance économique et une coopération dans la lutte contre le terrorisme, l’Empire du milieu n’a cure de ces préoccupations. Au nom de la coopération « Sud-Sud », la Chine prône une non-ingérence dans les affaires intérieures africaines et pose aucune condition concernant le régime politique ou l’économie du pays. Les pays africains accueillent donc l’aide chinoise avec ferveur. Mais la vertu n’est pas la chasse gardée de l’Occident. Certaines aides ou programmes ne garantissent ou ne mettent en avant en rien les valeurs prônées par l’Europe. Le meilleur exemple de ce changement de partenaire est le train d’Addis Abeba en Éthiopie. La Chine a prêté plus de 4 milliards de dollars pour financer la construction d’une ligne entre la capitale éthiopienne et Djibouti, ligne construite 100 ans plus tôt par la Compagnie du chemin de fer franco-éthiopien.    

Le projet de nouvelles routes de la soie est vu comme une énorme opportunité pour les pays du plus vieux continent du monde. L’amitié entre ces derniers et Pékin est régulièrement rappelée lors de conférences ou sommets sino-africains. Depuis 2000, le forum sur la coopération sino-africaine se réunit tous les 3 ans pour exposer de nouveaux projets. Des partenariats de défense sont également organisés. Ce marché entre l’Afrique et la Chine est présenté comme « gagnant gagnant » par Xi Jinping, mais l’est-il vraiment ?  

UNE COOPÉRATION NORD-SUD  

Depuis la fin des années 1990 les objectifs de la Chine en Afrique ont évolué : d’abord d’ordre économique avec un accès aux matières premières et produits agricoles, puis par l’achat d’entreprises d’extraction et d’importation pour faire venir ses produits sur le continent, et enfin par l’exploitation du besoin en infrastructures. Mais la diplomatie n’en a pas pour autant perdu de son importance, la Chine se présentant comme une alternative à l’Occident et entraînant avec elle d’autres pays comme l’Inde, le Brésil et la Turquie.  

Selon le programme de recherche China Africa Research Initiative, la Chine (à travers son gouvernement, ses banques et entreprises) aurait accordé 125 milliards de dollars de prêt au continent en moins de 10 ans. Mais ces aides ne sont pas distribuées n’importe où. Si les premiers bénéficiaires sont parmi les plus forts économiquement en Afrique, (Afrique du Sud, Égypte ou encore Nigeria), d’autres comme Madagascar ou le Sri Lanka sont pris au piège. En 2016 un accord-cadre est signé entre Madagascar et un consortium chinois afin de conférer à l’Ile une véritable économie bleue. Mais très vite les pêcheurs de cette dernière sont submergés de bateaux chinois venu pêcher dans leurs eaux. Cet accaparement des ressources naturelles fait partie d’une stratégie chinoise appelée « loan-to-own » (prêter pour posséder). Les pays occidentaux ont pu se montrer frileux à l’idée de prêter aux pays africains. Dans le but de s’éviter d’éventuelles difficultés de paiement de la part du pays débiteur, la Chine se paie en ressources naturelles. Et si cela ne peut être fait, elle peut prendre le contrôle de la souveraineté de l’infrastructure qu’elle a construite, comme à Gwadar.  

Mais cette aide chinoise est également différente de l’aide occidentale. Lorsqu’un pays européen investit en Afrique, ce sont les travailleurs sur place qui effectuent les travaux. Lorsqu’un entrepreneur chinois souhaite bâtir, ce sont les entreprises chinoises et leurs travailleurs qui viennent sur place au détriment de la main d’œuvre locale. De plus, les subventions pour les constructions de bâtiments d’utilité publique comme les routes, ou de prestige comme un palais présidentiel, sont conditionnées à la concession d’exploitations minières ou pétrolières.  

Les relations entre Zhongnanhai (le siège du gouvernement de la République Populaire de Chine) et l’Afrique ressemblent aux relations entre le Nord et le Sud : des investissements en échange d’un accès aux matières premières sécurisé. L’Afrique ne tient qu’un rôle de fournisseur et d’immense réservoir pour déverser les produits chinois et fournir du travail à ces entreprises. La Chine est en train de mettre la main sur un immense continent regorgeant de ressources, et ce, au détriment des normes sociales, politiques et environnementales. La diplomatie chinoise n’a jamais été aussi forte, ce qui constitue un nouveau défi pour l’Europe. Même si son importance ne doit pas être exagérée (en 2011 l’UE était le premier partenaire de l’Afrique avec 20 % de ces échanges, contre 7 % pour la Chine) celle-ci ne fait qu’augmenter. De plus, l’implantation de la première base chinoise militaire à l’étranger ne fait qu’écho à l’intensification de la présence chinoise en Afrique. Alors qu’elle avait toujours juré de ne pas le faire pour ne pas ressembler à l’Occident, la Chine a ouvert une base à Djibouti, non loin de celle des Américains, Français ou Italiens.  

Ces relations tendent à renforcer l’influence chinoise via son soft power, et c’est peut-être là que réside le point essentiel.  

CONCLUSION  

A travers ce projet pharaonique des nouvelles routes de la soie, la Chine entend diffuser son modèle partout où ses routes passent. Afin de se relever du siècle de la Honte, la culture chinoise est mise en avant.  

Xi Jinping reprend un glorieux passé pour mieux assurer l’avenir. Ce projet s’étend sur les mers et les terres, et chaque partenaire sera obligatoirement influencé par Pékin. Que cela soit l’ouverture d’institut Confucius à travers les pays présents sur ces routes afin d’implanter ou de renforcer la vision du monde chinoise, ou bien via des films comme Wolf Warrior 2 qui promeut une amitié sino-africaine ; la Chine cherche à étendre son soft power et à s’imposer comme le modèle dominant. Mais l’Occident n’a certainement pas dit son dernier mot. Que cela soit en Afrique ou en Chine, les élites continuent de reproduire le mode de vie européen en matière de mode ou de goûts. Le soft power chinois ne cesse de s’accroître, mais l’influence culturelle occidentale à encore de beaux jours devant elle.  

  

Sources :  

http://www.ictsd.org/bridges-news/passerelles/news/les-relations-%C3%A9conomiques-entre-lachine-et-l%E2%80%99afrique-%C3%A0-un-moment-de https://www.cetri.be/La-Chine-en-Afrique-avantages-ou https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-3-page-150.htm# https://www.youtube.com/watch?v=vtxx3nBE_0s&list=WL&index=10 https://www.youtube.com/watch?v=-ko5BxPz2OE&list=WL&index=11