Les nouvelles routes de la soie : un projet innovant d’envergure mondiale (2/4)

 
Illustration du “Devisement du Monde” de Marco Polo où ses parents remettent au Pape une missive de l’empereur mongol (1271).

Illustration du “Devisement du Monde” de Marco Polo où ses parents remettent au Pape une missive de l’empereur mongol (1271).

 

LE MYTHE DES ROUTES DE LA SOIE 

En 1298, Marco Polo publie «Le devisement du monde». Ce récit marqua de façon indélébile l’imaginaire occidental. Mais derrière ce dernier se cache une série d’approximations et de croyances qui viendront ternir la réalité́ historique. Aujourd’hui, nous connaissons mieux la période décrite ainsi que le contexte. Le mythe des routes de la soie n’en est plus un à de nombreux égards. Différents symboles sont à relativiser et son influence ne réside pas forcément là où on l’attendait.

Tout est une question de point de vue 

Comme décrit dans l’article précédent, la Chine n’appréhende pas les routes de la soie de la même façon que nous. Tout d’abord, ces routes n’ont été connues sous ce nom qu’au XIXème siècle, et l’Occident ne fut pas le partenaire privilégié de Pékin. Même si l’âge d’or de ces routes eut lieu il y a plusieurs centaines d’années, leur appellation est plus contemporaine que ce que l’on pense. « Les routes de la soie » ne sont pas d’origine chinoise. C’est un Allemand, Ferdinand von Richthofen, qui, au XIXe siècle a surnommé ces axes commerciaux ainsi.

De plus, l’origine de ces routes est bien loin des préoccupations européennes. On pourrait penser à juste titre qu’elles furent développées dans un but d’échange, mais c’est ce sont en réalité des objectifs militaires qui guidèrent la décision de l’empereur Han, au IIe siècle avant J-C. Afin de stopper ses ennemis et d’acquérir une armée plus performante, il décida de nouer des alliances avec des peuples nomades, dont les Yuezhi. La guerre est plus forte que le commerce.
 

Autre erreur de ressenti : la soie. Longtemps considérée comme un bien de très haute valeur dans notre société, cela fut loin d’être le cas pour l’Empire du Milieu. Bien que son secret fut jalousement gardé (toute exportation de soie sans autorisation était punie de mort) sa valeur n’en fut pas pour autant capitale pour les sujets de l’empereur Han. La soie trouvait son utilité autre part : en tant que monnaie. En effet, d’après Etienne de la Vaissière « les paysans chinois avaient pour obligation de produire quelques rouleaux par an, ils payaient avec leurs impôts »1. Alors qu’en Europe cette matière était vendue à prix d’or, de l’autre côté de l’Asie la soie faisait office de monnaie d’échange pour les paysans ! Cette utilisation diamétralement opposée était également emprunte d’un aspect pratique. Son usage en tant que monnaie facilita grandement les échanges, le bronze (monnaie de nombreux pays à l’époque) étant bien plus lourd et donc difficile à transporter.

De ces différents symboles et de leurs interprétations découle un concept servant une notion particulièrement importante en termes de rayonnement culturel : le soft power. A travers ses légendes, la Chine a pu véhiculer une certaine image d’elle. C’est peut-être en cela qu’elle est la grande gagnante des routes de la soie.

Les routes de la soie : appareil du soft power chinois

« La route de la soie fut l’un des itinéraires les moins empruntés de l’histoire » Valérie Hansen

Cette légende fût l’objet de nombreux fantasmes, mais la réalité fut toute autre. Comme évoqué précédemment, les symboles sont à relativiser et à interpréter différemment, mais leur influence est indéniable. De nombreux contes et auteurs se sont inspirés de ces échanges pour nourrir leurs histoires, ce qui démontre une attirance certaine envers les différents acteurs.

Le principal gagnant de cette « admiration » est bien évidemment la Chine. En tant qu’investigateur de ces routes et principal parti, son bénéfice s’apprécie sur plusieurs plans. Tout d’abord économique en devenant un commerçant incontournable. Ensuite militairement en renforçant son influence. Et enfin culturellement en diffusant sa vision du monde et ses valeurs, et c’est peut-être là le principal bénéfice de ces échanges.

Cependant comme le précise Valerie Hansen « La route de la soie fut l’un des itinéraires les moins empruntés de l’histoire ». Malgré cette faible fréquentation, son influence dans notre imaginaire collectif n’en demeure pas moins importante. Les routes de la soie caractérisent les premiers pas d’échanges transcontinentaux et avec eux tous les fantasmes véhiculés. L’Histoire est une suite d'interprétation. Certains événements ont marqué de leurs empreintes notre façon de voir le monde. Mais derrière le mythe et au-delà de la part de vérité qu’il comporte, la réalité est bien plus contrastée.

Les nouvelles routes de la soie voulues par Xi Jinping témoignent d’une volonté de retrouver la place jadis occupée par la Chine. Selon la cosmogonie chinoise, tout ce qui est en-dessous du ciel appartient à l’empereur. Or, les différentes ingérences étrangères ont mises à mal cette vision. La Chine s’est relevée du siècle de la honte et souhaite mettre définitivement derrière elle cette douloureuse phase de son histoire. L’appellation du projet de Xi Jinping n’est pas anodine. Le secrétaire général du Parti communiste chinois puise dans l’histoire de son pays pour repartir de l’avant.

Ce projet comporte bien d’autres volets que j’évoquerai dans le prochain article de cette série : L’économie bleue de l’empire du milieu.

 

Sources : 

https://www.youtube.com/watch?v=l43nazfBhrQ&list=WL&index=15  

François-Guillaume Lorrain « Des Han à Marco Polo, ils ont inventés la mondialisation », Le Point, 8 août 2019.  

Valérie Hansen, The silk Road, 2012. 
Pierre Tiessen & Régis Soubrouillard, La France Made In China, 2019.