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"L'Europe, c'est la paix."

Le président français Mitterrand et le chancelier allemand Khôl en 1984. Ils symbolisent la mantra de la paix grâce à l’Europe.

« La liberté rend esclave », « La guerre c’est la paix », ou encore « L’Ignorance rend fort » auraient pu être des maximes cantonnées au domaine de l’imaginaire et du fictif. C’était sans compter sur le fédéralisme européen et son fameux « l’Europe c’est la paix ». Qui n’a jamais entendu cette affirmation vieille de décennies ? Que ce soit dans la bouche de socialistes, conservateurs, libéraux ou écologistes, cette quasi-devise est assénée comme une vérité contre tout détracteur éventuel. Pourtant, ce mensonge qui n’a rien à envier au roman du Britannique George Orwell 1984, est régulièrement battu en brèche par les souverainistes, nationalistes et même tout simplement les pragmatiques lucides. Retour sur un mensonge d’État vieux comme Jean Monnet…

LA PAX EUROPAE  ? 

Depuis 1945, le continent européen n’a pas connu de guerre majeure. 74 ans de paix qui peuvent aisément faire penser à la fameuse Pax britannica (1815-1914) qui avait maintenu le Royaume-Uni dans un état de paix nationale et européenne sans précédent dans l’Histoire. L’Europe peut-elle se targuer de la même situation ? Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le continent européen a connu plus d’une trentaine de conflits, guerres et insurrections armées, de la guerre civile grecque (1945-1949) à la guerre du Donbass (en cours depuis 2011), la plus frappante et mémorable étant la guerre civile en ex-Yougoslavie (1991-1999). Les acteurs du second conflit mondial n’ont pas pour autant été épargnés en témoigne le Royaume-Uni qui fut frappé par la guerre en Irlande du nord (1968-1998) ou encore la France et ses guerres coloniales en Indochine (1945-1954) et en Algérie (1956-1962). De plus, ces mêmes pays ont mené des guerres contre des nations souveraines comme en Irak en 1991 et 2003 ou encore contre la Libye en 2011. En revanche, il est vrai que la paix a pu être conservée entre les deux ennemis récurrents du XXème siècle à savoir la France et l’Allemagne. Les conflits cités plus haut sont aussi beaucoup moins destructeurs que ce que l’Europe a pu expérimenter sur la période 1870-1945. De là à considérer que « l’Europe c’est la paix entre l’Allemagne et la France », il n’y a qu’un pas facile à effectuer.  

Pour autant, est-ce grâce à la construction européenne, comme l’affirment à qui veut l’entendre les européistes ou à cause de facteurs exogènes ?  

QUELLE EUROPE AUX ORIGINES ? 

La France et l’Allemagne sont en paix depuis presque trois quarts de siècle après s’être affrontés tout aussi longtemps au cours de trois guerres meurtrières. De 1870 à 1945, la France aura perdu presque 6,5 millions d’hommes (dont presque 2 millions de morts) tandis que l’Allemagne accuse plus de 10 millions de pertes humaines (dont 7 millions de morts) sur la même période. La France a représenté 73% des pertes de la guerre de 1870, 33% des pertes de la Grande Guerre et 0,8% des pertes de la Seconde Guerre mondiale. L’Allemagne, compte pour 27% des pertes de 1870, 33% des pertes de la Grande Guerre et 10% des pertes en 1945.  

Devant ces chiffres macabres s’établit une réalité : avec 16 millions de pertes humaines en 75 ans (pour une population moyenne cumulée d’environ 110 millions d’Allemands et de Français), les deux nations sont à bout de souffle. Leurs industries, leurs agricultures, leurs infrastructures, leurs armées, et leurs régimes politiques sont épuisés par trois conflits industriels majeurs. De plus, de cette série de conflits, aucun des deux pays ne sortira finalement vainqueur puisque sur leurs cendres encore fumantes, deux nations s’imposent : l’Union soviétique, héritière de la Russie, et les États-Unis d’Amérique. Même si l’URSS fut frappée de plein fouet par les conflits de 1914 et 1939, accusant des pertes gigantesques, elle s’impose grâce à sa démographie (170 millions d’habitants en 1946) et son industrie lourde. L’Amérique profite des mêmes facteurs (140 millions d’habitants en 1946), d’autant plus qu’elle n’a pas été touchée sur son sol national, tant en 1914-1918 qu’en 1939-1945, affichant un complexe militaro-industriel sans égal dans le monde d’après-guerre.  

Ainsi, au sortir de la guerre, les forces armées américaines sont le parfait reflet de cette industrie nationale colossale : 60 000 avions allant du chasseur léger au bombardier stratégique lourd, 23 cuirassés, 128 porte-avions toutes classes confondues et plus de 1 000 destroyers constituants ainsi 70% du tonnage mondial. Leur matériel se retrouve chez tous les « Alliés », de la France au Canada en passant par la Pologne, l’Union soviétique et le Royaume-Uni. Mais plus important que tout cela, les États-Unis d’Amérique sont, depuis le 16 juillet 1945, la première puissance nucléaire de l’Histoire humaine, capable de raser des villes entières en quelques secondes.  

Face à cette puissance de feu sans commune mesure, les nations européennes sont devenues des nains. Ruinées, dans les tous sens du terme, elles ne sont plus capables d’affronter l’Union soviétique qui se presse déjà à leurs portes, contrôlant la moitié orientale du continent. Dans ce contexte de Guerre Froide naissante, les nations européennes sont plus occupées à reconstruire qu’à se faire la guerre. De plus, pour la première fois depuis des siècles, l’Allemagne et la France ont un ennemi commun : Moscou. Outre-Atlantique, Washington compte redresser l’Europe pour en faire un rempart contre le communisme au même titre que le Japon, la Chine, la Corée ou le Vietnam en Asie. C’est l’objectif du fameux plan Marshall qui accompagnera les pays développés à panser les plaies du précédent conflit.  

DE L’ENNEMI COMMUN(ISTE) À LA DISSUASION NUCLÉAIRE 

La « construction européenne » est lancée à partir de 1949 et la mise en place de l’OTAN par les États-Unis. Les années 1950 seront marquées par des tensions au sein des pays occidentaux, notamment entre la France et l’Allemagne occidentale : les Américains désirent doter les Allemands d’une armée souveraine afin d’affronter les forces communistes en cas d’invasion. Pour contourner les réticences françaises, le projet de Communauté européenne de défense (CED) est lancé. En lieu et place d’une résurrection allemande, c’est une fusion des armées européennes qui profiterait avant tout aux États-Unis qui voient dans ces mêmes forces un ensemble disparate et logistiquement difficile à organiser en cas de guerre. Retoquée par les communistes et les gaullistes, la CED met fin à l’idée d’une Europe politique et militaire. L’Europe économique sera alors préférée, en témoigne la signature du traité de Rome, fondant la Communauté économique européenne (CEE) en 1957.  

Ainsi, les années 1950 et 1960 sont marquées par des tensions entre Paris, Bonn et Washington. Cependant, ces déchirements idéologiques et historiques sont vite mis de côté face à la menace bolchevique. Faisant office d’épouvantail et de fédérateur, l’Union soviétique efface les conflits intra-européens et force ces nations longtemps ennemies à l’entraide. De plus, tous les membres de la CEE (exception faite de l’Irlande) étaient déjà membres de l’OTAN avant d’être intégrés au Marché commun, ce qui empêchait de facto une guerre intérieure. Même après la chute du bloc communiste, il apparaît que l’intégration à l’OTAN est un passage obligé en vue de l’entrée dans l’Union européenne, nouvelle forme de la CEE à partir de 1993. Ainsi, en 20 ans, l’UE accepta 16 nouvelles nations dont seulement cinq ne faisaient et ne font toujours pas partie de l’OTAN : l’Autriche, la Suède, la Finlande, Chypre et Malte. Pour le reste, tous les nouveaux États membres sont passés par l’OTAN avant d’intégrer l’Union. Au même moment, l’ennemi communiste laissa la place à l’ennemi russe dans les consciences et nombre de pays orientaux voyaient dans la dualité OTAN/UE une protection américaine face à une résurrection de Moscou. Enfin, n’oublions pas de préciser que l’Union européenne est soumise, par le traité de Lisbonne (article 42 du traité sur l’Union européenne – 2009), à l’OTAN en ce qui concerne l’assurance de sa défense. C’est une vassalisation de fait des États membres aux États-Unis d’Amérique et il est aisé d’affirmer que l’Amérique a fait taire les velléités guerrières de ses vassaux pour obtenir un ost dévoué et uni à utiliser en cas de guerre… 

Mais le principal facteur de paix en Europe depuis 1945 est sans conteste la dissuasion nucléaire. Sur le continent, deux nations possèdent cette force de frappe : le Royaume-Uni (1952) et la France (1960). En 2019, l’arsenal atomique franco-britannique équivalait à environ 600 têtes. Assurément, ce n’est pas cela qui permit de préserver la paix. Certes une guerre entre Londres et Paris aurait été impensable aux vues du principe de destruction mutuelle assurée induit par l’utilisation massive d’armes atomiques. Outre le fait qu’un tel affrontement relève de la science-fiction (les deux pays sont membres de l’OTAN et avaient un ennemi commun en la personne morale de l’URSS), qu’est-ce qui aurait empêché la France de soumettre l’Allemagne avec sa force nouvelle ? Le suzerain protecteur de la RFA : les États-Unis qui alignaient, au plus fort de la Guerre Froide (1985), 23 500 ogives. Et face à lui, l’arsenal soviétique qui, à la même période, culminait à plus de 39 000. On comprend mieux pourquoi la Guerre Froide n’a jamais débouché sur un conflit ouvert… sans quoi plus personne ne serait là pour en discuter.  

Ce climat de peur, qui permit d’éviter l’affrontement traditionnel comme lors de la crise des missiles de Cuba, mis un terme aux guerres classiques et à la conception historique de la guerre comme prolongement de la diplomatie.  

CONCLUSION 

En somme, l’Europe en tant que construction économique ou politique n’a pas empêché la guerre. Non seulement il y eût des conflits armés sur le continent depuis 1945 mais en plus de cela, penser que la paix serait la conséquence de la CEE ou de l’UE revient à verser dans le dogmatisme. En revanche, il est vrai que les grandes guerres industrielles du XXème siècle ont été évité, non pas grâce à l’épopée européenne mais grâce à deux facteurs majeurs : l’ennemi commun soviétique et la peur de la destruction mutuelle assurée induite par la dissuasion nucléaire mondiale. En définitive, si la France vit en paix depuis plus de 50 ans, ce n’est pas grâce à Bruxelles mais bien grâce à la Alamogordo, localité dans le Nouveau-Mexique qui vît naître la première bombe atomique de l’Histoire humaine : Trinity. Penser que l’Union européenne garantit la paix, revient à du révisionnisme historique servant un discours idéologiquement orienté dans un but toujours plus important de propagande au fur et à mesure que le soutien des peuples à l’UE se dégrade dans le temps…  

Sources :

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tats_membres_de_l%27Union_europ%C3%A9enne 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Organisation_du_trait%C3%A9_de_l%27Atlantique_nord#%C3%89tats_membres_et_partenaires_de_l'OTAN 

https://www.upr.fr/faq/positionnement-politique-de-lupr-et-propagande-europeiste/comment-osez-vous-etre-contre-leurope-puisque-leurope-cest-la-paix/ 

Traité sur l’Union européenne, Lisbonne (2009) 

https://www.bvoltaire.fr/leurope-cest-la-paix-mme-loiseau-se-moque-du-monde/