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L’Europe de la Défense ou le serpent de mer de l’Union européenne

Le président Emmanuel Macron salue la foule avec à ces côtés Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées. - REUTERS/Stephane Mahe

Il y a une thématique qui revient souvent lors des débats, des colloques et des discussions sur l’avenir ou l’évolution des institutions européennes : la défense. En effet, alors que de nombreux pans de souveraineté ont déjà été transférés à l’Union européenne, il semblerait que le domaine de la défense, des forces armées, de l’armement reste systématiquement lettre morte. Nous traiterons dans cet article du premier projet d’armée européenne, la CED puis des raisons internes et externes à l’UE qui rendent son développement militaire impossible en l’état et nous conclurons sur une alternative possible à l’Europe de la Défense. 

AUX ORIGINES : LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE DE DÉFENSE 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’idée d’unir les armées du Vieux Continent ne date pas du discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron. C’était même un des projets très sérieux qui a vu le jour peu après la Deuxième Guerre mondiale. En effet, en 1950, les «pères fondateurs» de l’Europe voulaient se prémunir d’une éventuelle attaque soviétique. Qui plus est, les Américains étaient, à ce moment-là, massivement engagés dans la dure guerre de Corée et Washington voyait d’un bon œil l’ajout de nouvelles troupes pour renforcer ses forces en Europe. En particulier, les Etats-Unis souhaitaient réarmer l’Allemagne de l’Ouest, premier «rempart» en cas d’attaque de l’Armée rouge en alignant une dizaine de divisions allemandes vers l’Est. 

Cependant, dans les pays victimes de l’Occupation, en premier lieu la France et la Belgique, l’idée de réarmer les ennemis d’hier passait très mal. C’est ainsi qu’est né le projet de CED, de Communauté Européenne de Défense. Ce projet prévoyait de fondre les armées des Etats en une seule entité. La seule échelle nationale aurait été celle du bataillon (soit un maximum de 800 soldats de même nationalité) et le tout dispersé dans des grandes unités (brigades, divisions, corps d’armée) multinationales. Le but de ce melting-pot était officiellement d’empêcher l’Allemagne de reconstituer un commandement suprême tout en disposant de ses masses. La CED aurait été placée sous les ordres des états-majors de l’OTAN déjà existant à l’époque. Les Etats-Unis auraient complété le dispositif avec des éléments navaux, aériens et bien sûr nucléaires.  

Si le Benelux, l’Italie et l’Allemagne se rallièrent à ce projet, ce ne fut pas le cas de la France. Les communistes et les gaullistes (alors les deux plus importants partis de France) s’y opposèrent vivement. Les premiers, valets de Moscou, étaient contre car la CED était dirigée contre l’Union soviétique. Les seconds ne voulaient pas en entendre parler au nom de la souveraineté nationale. Comme le résuma brillement le général de Gaulle, la CED revenait, moins de dix ans après 1945, à priver la France vainqueur de son armée, à en redonner une à l’Allemagne vaincue et à inféoder directement l’Europe aux Etats-Unis.  

L’Assemblée nationale tua finalement le projet dans l’œuf en 1954. 

POURQUOI UNE EUROPE DE LA DÉFENSE EST IMPOSSIBLE 

Depuis l’échec de la CED, aucune tentative aussi ambitieuse n’a vu le jour. Les quelques initiatives dans le sens d’un Europe militaire restent lettres mortes ou résultent d’initiatives bilatérales des Etats agissant en pleine souveraineté. La Brigade franco-allemande l’illustre parfaitement.   

On pourrait résumer l’échec actuel de l’Europe de la Défense à un seul mot : l’OTAN. Cette alliance supranationale tournée contre le monde communiste durant la Guerre froide lui a survécu et s’est développé considérablement. Moyen d’influence américain sans précédent, l’OTAN dispose de nombreuses structures de commandements intégrés où, de facto, les Alliés se retrouvent placés sous les ordres de généraux américains ou britanniques (les grands alliés des USA). Langue, matériel, structures, doctrines,… à tous les niveaux, le ton est donné par Washington. 

L’OTAN est une organisation si complexe et complète que peu de dirigeants européens voient l’intérêt de s’en passer. Au pire, cela les livrerait à une hégémonie militaire française sur l’Ancien Continent, grande crainte des Allemands qui perdraient ainsi leur leadership sur les institutions européennes. Au mieux, la plupart des chefs d’Etat et de gouvernement européens souhaite renforcer leurs capacités en les laissant sous la coupe de l’OTAN. Ils sont d’ailleurs régulièrement encouragés dans ce sens par le State Departement : les Etats-Unis auraient moins de forces sur le terrain (pour les rediriger vers l’Asie et le Pacifique notamment) tout en conservant la main mise sur les armées de leurs «alliés». 

Autre effet «pervers» de l’OTAN est que cette Organisation a fait passer aux Européens le goût de se défendre par eux-mêmes. Si ce n’était pas flagrant durant la Guerre froide, ce l’est depuis la chute du Mur de Berlin. Les parts de budget consacrées aux forces armées n’ont jamais cessé de baisser. Dans de nombreux pays, le lien armée-nation est devenu inexistant. Alors que les frontières méridionales de l’UE sont menacées par des organisations terroristes armées, aucune intervention n’a été envisagée. Or, le coût d’une opération militaire serait moindre que ceux qu’engendre l’anarchie à nos portes dont l’immigration clandestine massive.  

En conséquence, l’Union européenne et ses Etats apparaissent comme les pantins des Américains et donc comme des interlocuteurs négligeables (ce qui est catastrophique au vu des négociations sur l’Ukraine). De plus, en manquant de hard power, il est tout simplement impossible de prétendre être un power, une grande puissance digne d’être écoutée. Comme l’a écrit l’historien romain Tacite dans ses Annales : «Rien n’est aussi faible ou instable que le renom d’une puissance qui ne se fonde pas sur ses forces propres». 

QUELLE ALTERNATIVE A L’EUROPE DE LA DÉFENSE 

La solution à la défense de l’Europe ne peut venir que des Européens et du niveau le plus adapté à une telle matière : le niveau national. Les armées européennes ne doivent pas être une addition de faiblesse mais une union des forces de chacun. Cela passe par l’augmentation dans chaque Etat des budgets de défense, car oui il faut y investir et c’est la première raison d’être d’un Etat ! Les industries nationales d’armement doivent renaître, être redynamisées. La nouvelle menace cyber doit pouvoir être contrée au niveau de chaque nation puisque chaque nation a un système et une relation au numérique différent.  

Ce n’est que s’ils prennent leur sécurité en main que les Européens l’obtiendront réellement sans être contraint par les impératifs d’une diplomatie dictée depuis l’étranger.  

Mais, que deviendrait l’OTAN ? Il est certain que des Etats souverains et capables d’assumer cette souveraineté n’en auraient plus besoin. En tout cas, l’Organisation aurait perdu son sens. Le Traité entre les Etats-Unis et les nations d’Europe pourraient être conservé pour rassurer les pays de l’Est craignant le voisin russe.  

Alors, une alliance européenne verrait le jour. Son fonctionnement serait basé sur des commandements interalliés (et non pas intégrés) répartis entre Etats où ils sont égaux et non aux ordres d’un hégémon.  

Peut être est-ce là la vraie Europe de la Défense…