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L’hybridité des régimes politiques

Habituellement, la science politique utilise deux critères de distinction des régimes : sources du pouvoir et le degré de pluralisme. Ces critères participent activement à l’opposition ferme et répandue entre régime démocratique et régime autoritaire. La démocratie serait donc, selon cette vision, le meilleur mode de désignation du pouvoir politique garantissant la liberté, l’égalité des citoyens ainsi que l’alternance ; la condition au bon fonctionnement démocratique d’une société. A l’inverse le régime autoritaire reposerait sa légitimité sur la force et la contrainte. Il mettrait en place des élections uniquement pour se légitimer à l’extérieur et rejetterait les droits et libertés individuels. Mais force est de constater que ces modèles sont des idéals types (« catégorie qui aide à comprendre et théoriser certains phénomènes, sans prétendre que les caractéristiques de ce type se retrouvent toujours et parfaitement dans les phénomènes observés »), qu’on ne retrouve très peu voir pas à l’état pur dans les sociétés. Aujourd’hui beaucoup de travaux portent sur la démocratie et ses failles. Ils remarquent que l’instauration d’une démocratie n’induit pas forcément le respect de ses libertés et valeurs. A l’inverse des auteurs se sont intéressés à comprendre la réalité du régime autoritaire, son réel fonctionnement et ses véritables tenants. Ainsi, aujourd’hui il n’est plus question de qualifier des régimes selon leur état pur, mais de réfléchir sur leur hybridité. En d’autres termes, s’interroger sur la présence d’éléments autoritaires et démocratiques dans un seul et même régime.

 

La fin de la pertinence du modèle démocratique

Dans les régimes démocratiques, il n’est plus pertinent de prendre la démocratisation comme une norme, mais d’interroger à la fois ce qu’il peut y avoir d’autoritaire et de démocratique dans différents régimes, et interroger ces lignes de partage.     

On assiste selon Michel Camau à la fin du 20ème siècle à une « globalisation démocratique ». Beaucoup de pays veulent et peuvent se démocratiser, surtout ceux sortant de régimes dictatoriaux, même si certains font le choix de rester autoritaires. Pour ce qui est des vieilles démocraties, on remarque un rétrécissement des espaces démocratiques. C’est dans les années 80 qu’un bouleversement des approches s’opère, les veilles démocraties révèlent leurs failles. Une formule célèbre encore aujourd’hui s’immisce dans le débat public, celle de « la crise de représentation ». C’est l’incapacité des institutions démocratiques à fournir suffisamment de légitimité à l’action publique.

Dans les démocraties occidentales, on assiste à une concurrence de légitimité. C’est-à-dire que le personnel élu, qui était la seule instance habilitée à déterminer l’intérêt général par sa légitimité provenant du scrutin démocratique, se voit concurrencer par d’autres acteurs :

  • de la société civile (associations, syndicats) qui militent pour multiplier les procédures de démocratie participative ;                                                                                                                              

  • et des experts qui proposent des justifications techniques qui concurrencent le discours politique.                                                                                                                             

Dabene, Geisser et Massardier dans Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au XXIème siècle, s’intéressent à ces derniers et mettent en lumière des espaces fermés et peu concurrentiels dans les démocraties occidentales. Des espaces non pluralistes dans l’élaboration des politiques publiques. Ils remarquent en effet que l’expertise à pris le pas sur le politique car les sujets, sur lesquels la décision se fonde, sont complexes et techniques. Les démocraties prétendent ajouter des procédures qui permettent aux citoyens d’intervenir dans des enjeux techniques, mais en réalité quand on regarde les mécanismes concrets, les acteurs qui participent à la prise de décision sont pour beaucoup des experts, groupes d’intérêts et des techniciens. Or, ces individus n’ont jamais été élus, ils sont déconnectés de toute forme de procédure électorale. Ce sont ces individus qui, selon eux, représentent une véritable menace pour les élus car aujourd’hui toutes les décisions sont encadrées par ces experts. Cela incarne une réduction du champ démocratique.                                                                                            

Cette technicisation se déroule également dans les régimes autoritaires qui ont recourt au même type d’expertise et de justification technique. Ces experts participent aussi à un standard internationalement partagé valable pour les régimes autoritaires et démocratiques. En effet, dans leur conduite de politiques, tout type de régime se réfère à des organisations supranationales comme l’OMS pour les politiques en matière de santé.

Finalement ce rôle croissant de l’expertise dans la décision politique installerait des mécanismes autoritaires dans les sociétés démocratiques. Ainsi l’aspect autoritaire ne se voit plus imputer exclusivement à des méchants autocrates et des vilains dictateurs, castrateurs des aspirations légitimes de leur peuple, mais aussi aux scrupuleux technocrates des démocraties occidentales. 

On remarque aussi, dans une autre mesure, que les démocraties, en ce moment, oscillent entre liberté et sécurité. A tel point que les impératifs sécuritaires (terrorisme, crise sanitaire) justifient un rétrécissement des libertés publiques. Ces menaces latentes et menaçantes sont donc utilisées afin de restreindre l’espace démocratique et d’effriter les formes de contestations traditionnelles et légales.  Les pays démocratiques tendraient donc de plus en plus vers une pente sécuritaire et autoritaire, les rapprochant donc de l’autoritarisme.  

Espaces démocratiques dans les régimes autoritaires

Aucun régime autoritaire ne se présente comme autoritaire, ils se veulent tous être des démocraties. Effectivement, ces régimes ont tous les attributs formels d’une démocratie : élections, institutions démocratiques ou encore pluralisme partisan. Certains d’entre eux se proclament même plus démocratique que « les véritables démocraties ». C’est le cas de la Russie qui se déclare être une « démocratie souveraine » contrairement aux démocraties occidentales qui sont des « démocraties dirigées ». Ces concepts font suite aux critiques que la Russie a reçu pour son autoritarisme prononcé. Poutine expliquait que les veilles démocraties étaient des façades dirigées par des forces extérieurs contrairement à la Russie qui est souveraines, autonome dans ses prises de décision et qui a un fonctionnement propre à leur culture.

Fareed Zakaria auteur et chercheur d’origine indienne, s’est également intéressé dans son livre « Démocraties illibérales », aux aspects démocratiques des régimes autoritaires. Pour lui les régimes autoritaires disposent d’une « démocratie populaire » (élections libres, régulières avec une participation active des citoyens).

Zakaria dit que l’accumulation d’attributs démocratiques des régimes autoritaires ne sous entends pas un phénomène transitoire tendant forcément vers une démocratie complète et pure, mais plutôt d’un phénomène d’accaparation d’espaces démocratiques durables au vu de stabilisé et de personnalisé le régime autoritaire.

De plus il explique que dans ces régimes, l’aide des bailleurs internationaux (FMI, BC), invite le citoyen à participer et à s’exprimer davantage. Par exemple, le Maroc dans les 90s cherche à stabiliser son régime pour bénéficier d’aides internationales. Il a donc créé des institutions respectant les droits de l’homme et abandonnant petit à petit les répressions les plus visibles et violentes. Les droits de l’homme sont ainsi mieux respectés, mais le régime demeure autoritaire.

D’autre part, Juan Linz et Alfred Stephan dans « Problem of Democratic Transition and Consolidation, », intensifieront l’idée d’autoritarisme démocratique avec leur concept de “consolidation”. Selon eux, une fois que le nouveau régime « démocratique » s’installe, la population a la crainte qu’il sombre une fois de plus dans l’autoritarisme. Ainsi, la démocratie va être consolidée une fois que le parti au pouvoir, qui a engendré la démocratisation, perds les élections et que l’ensemble du jeu politique reconnait qu’une alternance a lieu. Pour résumer, dans la transition, les acteurs font les institutions, dans la consolidation, les institutions sont suffisamment stables pour produire des logiques politiques.

Enfin, On a tendance à penser que la recherche du consentement de la population par les régimes autoritaires n’est qu’une façade et une stratégie. Or c’est un impensé, ces derniers mettent en œuvre des procédures de légitimation qui ne sont pas dysfonctionnelles. Bien au contraire, si le pouvoir se maintient c’est parce que les institutions arrivent à se stabiliser et jouer un rôle. Il faut éviter le biais cognitif qui consiste à apparenter directement la légitimité avec les démocraties.

Ça ne sert donc plus à rien de parler de régimes autoritaires ou démocratiques, il faut étudier les dynamiques autoritaires et démocratiques dans les régimes politiques.

L’efficacité condition d’une meilleure légitimité : le cas de la Biélorussie 

On va désormais montrer que le mieux-être de la population l’emporte sur le mandat électoral et ouvre donc à une plus facile comparaison entre régime démocratique et autoritaire. Les régimes autoritaires ne se transforment plus en démocratie, ils évoquent un aménagement des procédures au nom du bonheur collectif et de l’efficacité du pouvoir politique.

Il est important d’évoquer les travaux qui ne prennent pas la légitimité comme quelque chose qu’on gagne indéfiniment, mais qui s‘interrogent sur les gains et pertes de légitimité. Juan Linz dans « The Breakdown of Democratic Régimes » montre que les démocraties naissent rarement avec une pleine légitimité. Même si, leur apparition rend davantage confiant et rassuré les citoyens qui l’ont mis en place, force est de constater que pour croire durablement en ce régime, il doit faire en sorte de démontrer son efficacité. Si ce n’est pas le cas, il perdra sa légitimité. C’est par ce postulat que Linz distingue deux types de légitimité : une « légitimité de principe » et une « légitimité d’exercice ». Cette dernière est la légitimité issue de l’efficacité des actions que le pouvoir politique mettra en place.

La Biélorussie est l’exemple d’un régime autoritaire qui a su se faire reconnaître et apprécier par cette légitimé d’exercice et donc susciter le soutien et l’adhésion. L’Union européenne considère la Biélorussie comme la ≪ dernière dictature d’Europe ≫. C’est un régime présidentiel autoritaire, disposant d’un parlement bicaméral et d’une constitution, dirigé par Alexandre Loukachenko depuis 1994. Ce dernier met en œuvre un contrôle étroit du pouvoir sur la vie politique et la société. Le Parlement comporte peu d’élus d’opposition et les opposants sont régulièrement mis en prison ou poussés à émigrer. Mais, force est de constater que pour ses voisins : les russes, les ukrainiens, les arméniens ou encore les uzbeks, la Biélorussie est un modèle. C’est le seul pays ou la transition post soviétique s’est bien passée. En effet, la Biélorussie s’est engagée à créer des institutions démocratiques, elle dispose d’une économie dite de socialisme de marché. Les entreprises privées sont autorisées et elles sont invitées à une grande responsabilité sociale, même si les secteurs clés restent sous tutelle nationale. Elle protège activement sa population, le plein emploi se maintient, l’éducation et la santé sont gratuite.

Ainsi, la Biélorussie semble être dirigée d’une main fer par un Etat fort mais force est de reconnaitre, qu’il maintient sa stabilité par une légitimité d’exercice/efficacité, qui permet une adhésion sincère de sa population au régime politique. Une adhésion de plus en plus absente dans nos démocraties occidentales.

 

Sources : 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ideal-type

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/2019/02/22/31002-20190222ARTFIG00171-les-democraties-occidentales-souffrent-d-abord-et-avant-tout-d-une-crise-d-efficacite.php

Cohendet, Marie-Anne. « Une crise de la représentation politique ? », Cités, vol. 18, no. 2, 2004, pp. 41-61

Dabène, Olivier, Vincent Geisser, et Gilles Massardier. Autoritarismes démocratiques. Démocraties autoritaires au XXIe siècle. La Découverte, 2008

https://www.youtube.com/watch?v=QTZJ3t-XA8c

https://www.laculturegenerale.com/fareed-zakaria-democratie-illiberale/

Juan Linz et Alfred Stephan, Problem of Democratic Transition and Consolidation. Illustrée. JHU Press, 1996

https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1980_num_30_3_416336_t1_0612_0000_002