L'Inde : futur puissance mondiale (1/4)
UNE IDENTITÉ COMPLEXE
Depuis toujours l’Inde fascine. La population, les traditions, l’organisation sociale ou encore la nourriture ; tout est différent au pays des Maharajas. Durant des centaines d’années l’Europe ne pouvait que fantasmer de ces terres lointaines, cet imaginaire fut rattrapé par la réalité lorsque Vasco De Gama découvrit l’Inde en 1497. Mais cette « découverte » n’a pas été motivée par des considérations humanistes ou dans un désir d’aventure, mais a bel et bien été guidée par des intérêts économiques. Au-delà d’une vision biaisée de l’Inde, voyant le pays comme un ensemble unifié alors qu’il fourmille de groupes tout aussi différents les uns des autres, le pays de Narendra Modi est aujourd’hui un cas complexe au sein de notre monde. La plus grande démocratie du monde peine à s’éveiller pleinement économiquement ; les inégalités sont criantes partout dans le pays, le premier ministre semble glisser doucement vers le culte de la personnalité, et les différences sur lesquelles le pays s’est fondé l’empêche de prendre son envol dans la hiérarchie officieuse mondiale.
Fort de sa population (la deuxième mondiale juste derrière la Chine et la 1ère en 2027 selon les estimations), son marché intérieur devrait lui permettre d’être un acteur incontournable du commerce mondial. Le pays possède sa propre agence spatiale (l'Indian Space Research Organisation) ce qui démontre sa volonté de jouer dans la cour des grands en ne dépendant de personne sauf d’elle-même. Cette nouvelle série d’articles s’attachera à comprendre pourquoi l’Inde n’arrive pas s’imposer comme l’une des cinq premières puissances du monde, pourquoi l’unification de la plus grande démocratie du monde est si complexe, et bien sûr quel rôle et position la France doit adopter envers le pays. Une fois n’est pas coutume, afin de comprendre l’enchevêtrement dans lequel l’Inde se trouve, une compréhension de son Histoire s’impose.
L’HERITIER D’UNE GRANDE HISTOIRE
Les premières traces de population occupant le territoire actuel de l’Inde remontent à - 3000 et – 2000 avant J-C, dans la vallée de l'Indus. Mais l’organisation sociale de l’Inde telle que nous la connaissons aujourd’hui, est apparue vers – 1000 avant J-C. Les premiers textes sacrés sont rédigés, les Vedas, fondant ainsi la religion hindouiste. Ces textes ordonnent le fonctionnement de la société avec à sa tête les Brahmanes (les prêtres, la bouche qui interprète les textes sacrés), suivies des Ksatriyas (les rois, les guerriers ou les mains), les Vaishyas (les marchands et artisans constituant les cuisses) et les Shudras (les serviteurs et paysans). En bas de ce système survivent les intouchables. C’est cette religion qui va fonder la civilisation indienne et qui sera au cœur de nombreux problèmes au cours de son Histoire.
Lorsqu’une religion définit une nation tout ceux n’en faisant pas partie en sont fatalement exclue. Dès - 500 avant J.-C. Le bouddhisme et le jaïnisme apparaissent. La première rencontre avec l’Occident s’opère peu de temps après avec l’arrivée des troupes d’Alexandre le Grand en – 327 avant J-C. Mais les relations entre l’Europe et l’Inde ne connurent que très peu d’activité, le Vieux Continent ne décida de porter d’intérêt à l’Inde qu’à la suite des grandes découvertes maritimes, dont bien évidement celles de Vasco De Gama. En 711 Muhammed Bin Qasim importe l’islam en Inde, et les environs de l’an 1 000 sont marqués par des incursions arabes de plus en plus fréquentes. Qutb-ub-din fonde le premier sultanat de Delhi en 1206. La nation indienne sera au cœur du dualisme entre hindouisme et islam. Le conflit entre les deux sera si intense que le Pakistan oriental et occidental verra le jour en 1947, alors que l’Inde proclamera une démocratie laïque.
C’est au milieu de ce multiculturalisme qu’arriveront les portugais à Goa en 1510, suivis des hollandais en 1609, des anglais en 1612, et de la France en 1672 à Pondichéry. L’Inde mettra un peu plus de 300 ans à récupérer le contrôle entier de son territoire. Les Anglais prennent définitivement l’ascendant sur les autres puissances européennes en battant les Français au Bengale en 1757. En 1803, l’Inde est sous administration britannique ; le colonisateur ne partira qu’en 1947.
GANDHI : LE PÈRE DE L’INDE
De l’interdiction de certaines de pratiques religieuses (comme le sati en 1829), à la prise du Penjab suites aux combats avec les Sikhs, en passant par la proclamation de la reine Victoria comme impératrice des Indes en 1877, la présence anglaise n’a que trop duré. Les Indiens deviennent de plus en plus nombreux à réclamer leur indépendance et le départ des colons. C’est lors la première guerre mondiale, alors que l’Angleterre se bat en France contre l’Allemagne et l’empire austro-hongrois, qu’un avocat indien diplômé de Londres rentre au pays…
Né en 1869 dans une famille aisée de l’Inde, Mohandas Karamchand Gandhi poursuit ses études à l’âge de 19 ans en Angleterre. Alors conseiller juridique en Afrique du Sud, il est frappé du traitement infligé aux Noirs et aux Indiens dans ce pays, également membre de l’empire colonial anglais. C’est dans ce cadre qu’il développe les techniques qui allaient lui permettre de réaliser le rêve d’indépendance des indiens : la non-violence. Une fois quelques succès obtenus en Afrique, il se décide à rentrer en Inde ; la première guerre mondiale fait rage, plus d’un million d’indiens sont engagés dans le conflit.
L’Angleterre n’a pas le choix : afin de concentrer tous ses efforts en Europe, elle s’engage à prendre des dispositions en faveur de l’indépendance de l’Inde. Bien évidemment, une fois la Grande Guerre terminée, les promesses n’engagent que ceux qui y croient. La cause de l’indépendance de l’Inde gagne de plus en plus d’adhérents, et plusieurs lignes se dessinent alors. Au traditionnel enchaînement de violences, Gandhi oppose une foi sans faille : l’Inde sera indépendante. A la non-violence, le futur libérateur de l’Inde ajoute le boycott. Il attaque l’Angleterre dans ses entrailles : les finances. En 1921 Gandhi devient le dirigeant exécutif du Parti du Congrès. Les anglais n’hésitent pas à réprimer ses méthodes pacifiques dans le sang : en 1922 la ville de Chauri Chaura est témoin d’un massacre. Face à cela, Gandhi décide de stopper ses actions, il est alors condamné à 6 ans de prison. En son absence les relations entre hindous et musulmans se tendent, des incidents éclatent entre les deux communautés.
Les négociations n’avancent pas, les Britanniques n’ont aucun intérêt à laisser l’Inde devenir indépendante. Afin de faire bouger les choses et forcer le gouvernement de Sa Majesté à s’asseoir à la table des négociations, Gandhi décide de marcher jusqu’à la mer afin de récolter du sel. La collecte du sel étant un privilège anglais, son acte est illégal mais néanmoins suivi par des milliers de compatriotes. Malgré les arrestations, les négociations avancent : Gandhi rejoint par Nehru, le futur premier ministre de l’Inde, est en bonne voie pour réussir.
Malgré le refus du Mahamat de voir l’Inde participer à la Seconde Guerre mondiale, plus de deux millions d’Indiens participeront aux combats. En opposition aux mouvements refusant le combat si l’indépendance de l’Inde n’est pas assurée, un groupe va prendre une décision étonnante et emprunter un autre chemin pour tenter d’arriver au même résultat : la légion de l’Inde libre. Ce moment très peu connu de l’Histoire de l’Inde est initié par Subhas Chandra Bose. Souhaitant à tout prix obtenir l’indépendance du colonisateur britannique, Chandra Bose propose aux généraux nazis de recruter les Indiens capturés par l’armée allemande afin de combattre l’Angleterre. Hitler méprise les Indiens mais ses conseillers y voient une opportunité. 3 000 indiens capturés rejoignent la légion de l’Inde libre. Contrairement aux unités indiennes anglaises, la légion de l’Inde libre ne choisit pas de regrouper ses combattants par religion. L’Histoire donnera tort à Chandra Bose : il meurt avant l’indépendance de l’Inde, tandis que l’Angleterre tient enfin parole et accorde à l’Inde son indépendante en 1947.
UN COLOSSE AUX PIEDS D’ARGILES
Le destin de l’Inde en tant que nation est jumelé avec celui du Pakistan. Suites aux tensions entre les communautés hindouistes et musulmanes, deux pays seront donc créés : l’Inde et le Pakistan. Si les communautés possèdent chacune des zones bien établies, d’autres régions vont être beaucoup plus disputées. Le meilleur exemple est certainement la région de Jammu-et-Cachemire. Historiquement dirigée par un hindou mais à majorité musulmane, la région est en proie à de nombreuses tensions depuis toujours et illustre la complexité de la situation. Suite à l’indépendance des deux pays, le dernier mahârâja de la région ne souhaite rejoindre aucun des deux camps. Des guerriers armés par le gouvernement pakistanais pénètrent le territoire, ce qui pousse le mahârâja à demander l’aide de l’Inde en échange de l’intégration de la région dans le pays. 60 % du territoire revient à l’Inde, prenant le nom de Jammu-et-Cachemire. La première guerre indo-pakistanaise aura duré deux ans, de 1947 à 1949. Afin de régler le conflit dans les règles, un statut autonome est accordé à la région en 1950 par la constitution. Mais dès 1965 la deuxième guerre indo-pakistanaise éclate, toujours à propos du Cachemire. En 1994 une résolution des deux chambres du parlement indien refuse l'autonomie de l'État du Jammu-et-Cachemire. Trois ans plus tard, des nouveaux affrontements ont lieu à la frontière. Le 5 aout 2019, le gouvernement du fraichement réélu Narendra Modi applique une promesse de campagne et rétrograde le statut de la région en la soumettant au contrôle direct de la capitale. Les tensions ressurgissent, des coupures de téléphones et d’internet à l’arrestation des responsables politiques locaux, la paix paraît être un objectif bien lointain pour Jammu-et-Cachemire.
Les tensions avec le Pakistan dépassent de très loin le cadre d’une querelle territoriale. Depuis la création des deux Etats, de nombreux conflits ont éclaté entre eux. La troisième guerre indo-pakistanaise a lieu en 1971 lorsque l’Inde soutient l’indépendance du Pakistan Oriental, qui deviendra le Bangladesh. Les essais nucléaires surprises de l’Inde en 1974 incitent le Pakistan à faire de même. Les deux pays se doteront successivement de la puissance nucléaire en 1998, les obligeant à discuter par peur d’un conflit se réglant à coups d’atomes. Mais l’Inde n’est pas seulement intervenue en faveur du Bangladesh, le pays intervient au Sri Lanka de 1987 à 1990, ainsi qu’aux Maldives en 1988. Il existe donc une volonté de contrôler ou au moins de peser sur les politiques de ses voisins, mais cela s’avèrera beaucoup plus compliqué avec l’un de ses adversaires et pays frontalier : la Chine.
Malgré la conférence de Bandung en 1955 et la création du mouvement des non-alignés dont fait partie le pays de Xi Jinping, les deux puissances ont leurs conflits territoriaux, avec la guerre sino-indienne concernant des frontières entre les deux pays (Aksai Chin et le sud de l’Himalaya), guerre perdue par l’Inde qui n’aura d’autre choix que de laisser la Chine annexer l’Aksai Chin. En 1975 des nouveaux incidents frontaliers éclatent. De plus la Chine n’a jamais hésité à menacer l’Inde de soutenir le Pakistan. Aujourd’hui ces deux pays sont les plus peuplés au monde, leurs marchés intérieurs font fantasmer tous les entrepreneurs du monde.
L’Asie du Sud sera le prochain pôle commercial mondial, rassemblant la moitié de la population du globe et des échanges toujours plus nombreux. La Chine tout comme l’Inde veulent en être le centre. Et si, en plus de proposer une démocratie contre une dictature, l’Inde devançait la Chine ?
Sources :
https://www.merveilles-du-monde.com/Taj-Mahal/Inde/Principales-dates-de-l-Inde.php
https://www.linternaute.fr/actualite/biographie/1776088-gandhi-biographie-courte-dates-citations/
https://www.auswaertiges-amt.de/fr/newsroom-/-/2262162
http://lautrecotedelacolline.blogspot.com/2017/06/guerre-dans-lhimalaya-le-conflit-sino.html
https://www.eulerhermes.fr/actualites/croissance-inde-2019.html