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L’INDE : FUTURE PUISSANCE MONDIALE (3/4)

La monnaie est un élément essentiel de la souveraineté et de la puissance d’un Etat. (Crédits photos : Mivr - Adobe Stock)

UN POTENTIEL INEXPLOITÉ 

Le 8 novembre 2016, Narendra Modi et son gouvernement annonce que les plus grosses coupures de la monnaie nationale (la roupie indienne) ne seront plus valides, leur déclaration à la banque est obligatoire. Ces « plus grosses coupures » représentes 87 % de la monnaie en circulation. Cette opération a un but : obliger les détenteurs d’argent sale à déclarer leurs revenus, afin de lutter contre la corruption. Mais deux problèmes majeurs empêchent la bonne exécution de cette opération : les banques n’ont pas été mises au courant et ne sont pas prêtes, 98 % des transactions en Inde se font en liquide (les Indiens ont l’habitude de thésauriser et non de déposer leur argent). Ce qui devait arriver arriva : cette mesure fut un échec.  

Cette action démontre une volonté de réforme, mais des obstacles bien ancrés. Afin d’analyser la situation économique actuelle de l’Inde et les défis qui l’attendent, il est nécessaire de rappeler quels chemins celle-ci a suivi, et dans voies le pays souhaite se lancer.  

A LA RECHERCHE DE L’AUTOSUFFISANCE  

Suite à l’indépendance du pays en 1947 et le départ du colon britannique, l’Inde doit se construire. Inspiré par le socialisme anglais, les industries indiennes se développent, mais le pays choisit également de suivre un autre modèle : l’URSS et ses plans quinquennaux. En centralisant la planification, le pays limite lui-même ses ambitions. Le secteur bancaire ne permet pas non plus de rêver d’une croissance forte puisqu’il est très réglementé. Aujourd’hui ces mesures peuvent paraître contre-productives, mais ces dernières sont à juger à la lumière de deux faits.  

Jusqu’aux années 1990, l’Inde fut loin d’être le seul pays à adopter ce type d’économie. La plupart des pays asiatiques voyaient l’économie également au travers du prisme de la planification, et ce concept était loin d’être étranger pour les pays d’Europe de l’Est, ou d’Amérique du Sud. Durant cette période la croissance stagna à 3,5 % du PIB, chiffre peu impressionnant au regard de la tendance actuelle malgré les difficultés (7,3 % en 2018, 3ème taux le plus élevé au monde). En plus d’être un modèle dans l’air de son époque, le développement économique n’était pas l’objectif premier des gouvernements. Depuis les premières volontés indépendantistes la population prône l’autosuffisance à travers le mouvement Swadeshi (signifiant littéralement autosuffisance en hindis). En 1947 le principal problème de l’Inde est sa capacité à nourrir sa population. Alors premier ministre, Nehru déclare en 1948 « everything else can wait but not agriculture ». Ces paroles seront appliquées et la révolution verte aura lieu dans les années 1960 grâce à une modernisation des techniques et machines agricoles. L’Inde réussit le défi de nourrir une population ayant un des plus forts taux de croissance de l’Histoire.  

LA LIBÉRALISATION DE L’INDE 

Les années 11990 sont marquées par une libéralisation du monde, et principalement du continent asiatique. Si les Etats-Unis et l’Angleterre, à travers Reagan et Thatcher, pratique un capitalisme agressif et déréglementent le marché tous azimuts, l’Inde suit cette direction mais à son rythme. A l’image de Deng Xiaoping injectant une dose de capitalisme dans le socialisme chinois, le pays de Gandhi libère son marché : autorisation des investissements étrangers, les droits de douanes passe de 85 % à 12,5 % en 1992, les Indiens peuvent investir dans les entreprises étrangères, privatisation de certains secteurs publics et développement d’infrastructures… L’Union indienne s’ouvre au monde, mais a pris un retard considérable sur ses voisins asiatiques, avec notamment les quatre dragons (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan), et surtout sur son principal adversaire : la Chine.  

Le socialisme de marché chinois a fait du pays l’usine du monde, rôle que l’Inde aurait pu tenir. Aussi déplaisant soit-il, ce dernier a permis l’Empire du Milieu de sortir une grande partie de sa population de la pauvreté. Si la croissance a augmenté le niveau de vie des Indiens, nombreux sont ceux encore sous le taux de pauvreté. En février 2008, le FMI estimait que ce taux était tombé lentement de 36 % en 1994 à 28 % en 2007, pour arriver à 25 % en 2018.  

Mais cette politique que l’on pourrait qualifier de protectionniste, voire d’isolationniste, ne possède pas que des mauvais côtés : l’Inde a particulièrement bien résisté à la crise des subprimes de 2008. Le contrôle des institutions sur le marché a permis maîtriser les répercussions économiques et la libéralisation modéré a assuré une croissance régulière. Mais depuis 2004 et le gouvernement de Manmohan Singh, les réformes s’accélèrent.  

OBJECTIF : DEVENIR LA 6ème ECONOMIE DU MONDE 

Premier sikh à accéder au poste de premier ministre de l’Union indienne, Manmohan Singh et son gouvernement ont eu à affronter un problème économique majeur entre 2004 et 2014 : l’inflation. Suite à la limitation de création de monnaie par le FED (banque centrale américaine), 5 monnaies ont étaient fortement dévalué, et avec elles l’économie de 5 pays (appelé les 5 fragiles par la banque Morgan Stanley) : la Turquie, le Brésil, l’Afrique du Sud, l’Indonésie et l’Inde. Même si la palme de la monnaie la plus touchée revient à la livre turque, l’impact sur l’Inde est mesurable grâce à un indice financier propre au pays : le prix de l’oignon. Deuxième légume le plus consommé après la pomme de terre, l’oignon représente une denrée alimentaire de base pour les indiens. En 1998 son prix explose et le Bharatiya Janata Party (le parti au pouvoir) doit laisser sa place aux élection régionale, en 2013 son prix est multiplié par 4, en septembre 2019 son prix triple menaçant à nouveau les dirigeants d’une crise.  

Si cette indice ne se montre que maintenant, un autre chiffre illustre les difficultés économiques du gouvernement actuel : le taux de chômage atteint 6,1 % pour l’année 2017-2018. Si ce chiffre paraît dérisoire en France, il revêt un tout autre sens dans un pays où le chômage n’a jamais été un problème ni au cœur des discussions. Depuis 45 ans jamais le taux de chômage n’a jamais été aussi élevé. Malgré ce point noir, Modi et son gouvernement ont globalement su adopter de bonnes réformes pour le développement de l’économie indienne, notamment une mesure que nous avons déjà évoquée : le programme « Make in India ».  

Le premier ministre indien ambitionne de presque doubler le PIB du pays pour 2024, passant de 2700 milliards de dollars à 5000. Si le pays réussit, il deviendra la 3ème économie du monde en dépassant le Japon. Mais si cet objectif paraît aujourd’hui irréalisable, un autre semble lui davantage à sa portée : devenir la 6ème puissance économique du monde, et ainsi dépasser la France. Deux arguments peuvent venir soutenir cette prédiction. Premièrement : le marché intérieur indien, avec une population qui devrait dépasser celle de la Chine en 2027, aucune entreprise ne peut délibérément ignorer l’Union indienne. Deuxièmement : la croissance, même si celle-ci a été revu à la baisse pour 2019 (on parle de 6 % alors que les premières prévisions visées 9 à 10 %) elle reste exceptionnelle.  

Dans un contexte où les Etats-Unis et la Chine se livre une guerre commerciale et qu’un accord se fait attendre, les entreprises ont toutes intérêts à reconsidérer l’Inde comme une solution à ce conflit. En livrant un combat contre son rival mondial l’empire du milieu pourrait servir les intérêts de son rival régional, et ainsi permettre à l’Inde de poursuivre sa montée des marches du classement de l’économie mondiale.   

Sources :

https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2009-3-page-557.htm#  

http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20171108-inde-monnaie-billets-banque-disparition-argent-liquide-especes  

https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/inde-la-demonetisation-a-ete-un-cuisant-echec-pour-new-delhi-137686  

http://www.expert-comptable-international.info/fr/pays/india/economie-3  

https://www.francetvinfo.fr/monde/les-cinq-fragiles-ce-n-est-pas-un-groupe-rock-mais-le-nouveau-nom-des-brics_3068993.html  

https://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/24/le-gouvernement-indien-menace-par-la-crise-de-l-oignon_3465892_3234.html  

https://blog.courrierinternational.com/bombay-darling/2019/10/28/le-prix-de-loignon-cet-indicateur-economique-indien/  

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_PIB_nominal  

https://www.lopinion.fr/edition/international/ralentissement-economie-inde-trou-d-air-affaiblissement-durable-197153