terra bellum

View Original

L’Iran : une superpuissance régionale au cœur des conflits mondiaux (1/4)

Retour d’exil de l'ayatollah Khomeiny le 1er février 1979 - AFP

Article écrit par Henri et Clément

DE L’EMPIRE A LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE 

Au même titre que plusieurs pays incroyablement complexes et grands, tels que la Chine, l’Inde ou encore la Russie, l’Iran est ce que l’on appelle une superpuissance régionale. Son dirigeant, Mohamed Reza Shah, s’est même fait couronner le 26 octobre 1967 et s’attribue le titre « d'empereur des empereurs » après 26 ans de règne. Cette cérémonie illustre parfaitement la mégalomanie et le complexe du shah, cherchant à se faire reconnaître comme « l’empereur des empereurs », et par la même occasion à réaffirmer la puissance iranienne. Reza Shah aspirait à faire de son pays la cinquième puissance mondiale en modernisant institutions et infrastructures, et par une hyper occidentalisation de la société. C’est cette incompréhension de l’Iran et de son peuple, accompagnée d’une laïcisation et d’un changement de mœurs brutales qui poussera les iraniens à la Révolution islamique de 1979. 

Aujourd’hui l’Iran fait peur. Son programme nucléaire militaire inquiète tout l’Occident, ses combats idéologiques ou sur le terrain avec des adversaires tels que les États-Unis, l’Arabie Saoudite, ou encore Israël ne plaident pas en faveur d’un apaisement des tensions. Depuis le retrait unilatéral des USA de l’accord de Vienne (ou « accord des P5 + 1 »), Téhéran est sous pression. Dans ce combat où chacun montre les muscles, la moindre étincelle peut embraser la région la plus instable du monde. Le dernier incident en date, à savoir une attaque de drone attribuée à l’Iran sur une raffinerie saoudienne, a braqué les caméras du monde entier sur le principal régime Chiite au monde. Cela faisant suite à une destruction de drone américain pour cause de survol de zone iranienne, nombreux sont les observateurs à s’être étonné de l’absence de réaction des États-Unis, particulièrement des États-Unis de Trump. C’est précisément ce duel qui inquiète : deux superpuissances ayant basé leur force sur une absence de compromis. 

Dans cette nouvelle série d’articles, nous nous intéresserons donc à l’Iran. De par son Histoire, son régime politique, ses rapports de forces, ses opportunités commerciales et du rôle que pourrait jouer la France, l’Iran est un sujet immensément riche. Afin de bien cadrer cette nouvelle série, un premier article sera consacré à l’Histoire de l’Iran, un second traitera de ses adversaires, un troisième de ses alliés, et un quatrième apportera une analyse programmatique de la situation et du rôle de la France.   

L’EMPIRE PERSE 

Pour le monde occidental, l’Histoire de l’Iran commence, lors de la défaite de Darius III face à Alexandre Le Grand en 330 avant J-C. Sans surprise l’Histoire de l’Iran commence avant. Selon le récit national, la première figure mythique du royaume est Cyrus 1er roi d’Anshan, petit-fils du fondateur du premier Empire Perse. Jusqu’à la prise de pouvoir d’Alexandre le Grand sur le territoire, cet empire est indépendant. Ce dernier continuera de se développer jusqu’en 637 et la conquête musulmane. Même si les Perses rejoignent la liste des pays convertis à l’Islam, ils restent un peuple à part. En effet, tels les Turcs qui se dissocient des populations arabes, les Perses sont certes musulmans mais non arabes. De par leur culture et leurs coutumes ils se distinguent au sein du monde musulman. Cette distinction est fondamentale afin de comprendre la mentalité iranienne. Deux branches principales s’opposent : les sunnites et les chiites. Les premiers représentent environ 85 à 90 % des musulmans, tandis que la Perse compte en son sein 90 % de la population chiites mondiale. De plus, sous l’impulsion d’Ismaïl Ier la Perse se convertit au chiisme duodécimain au XVIème siècle dans le but de continuer à créer une identité iranienne à part et d’affirmer sa différence face à l’autre puissance musulmane de l’époque : l’empire Ottoman. 

En plus de sa spécificité religieuse et culturelle, la Perse est le premier pays du Moyen-Orient à se doter d’une constitution. En 1906 le pays mène à bien une Révolution constitutionnelle. Cette réforme doublée d’une abondance de pétrole attire fortement les convoitises. C’est ainsi que la Grande-Bretagne s’arrange pour obtenir le contrôle des puits de pétrole iraniens dès 1913. Ne nous méprenons pas, c’est bel est bien l’accès à l’or noir qui dictera la politique occidentale en Iran. 

DE LA PERSE A l’IRAN 

En 1921, Reza Chah Pahlavi mène un coup d’Etat et devient le premier personnage de l’empire dirigé par Ahmed Chah, dernier représentant des Qadjar. L’ascension de Reza Chah ne s’arrête pas là puisque le parlement vote la déchéance du souverain, avant de se proclamer Empereur et d’être couronné en 1926. Le règne de Reza Chah ressemble à celui de son fils sur plusieurs aspects : un grand changement social à marche forcée. Le pays se modernise à coup d’infrastructures, de codes et de lois, tout en puisant les fondements d’un récit national dans le glorieux passé perse. Mais, comme à l’image de la Turquie de l’époque ou du modèle du Chah, cette « modernisation » du pays, se fait au détriment des populations et traditions locales. Contrairement à Atatürk qui jouit encore aujourd’hui d’une grande popularité auprès de son peuple, cette absence de prise en compte des volontés tribales et/ou populaires inspire une profonde haine envers le Chah. Cette « modernisation » touchera à l’identité même du pays lorsqu’en 1935 le Chah changea son nom, passant de la Perse à l’Iran. Aussi puissant soit-il, il ne put résister lorsque les Alliés accusèrent l’Iran de coopérer avec l’Allemagne. Afin de s’assurer que le régime nazi ne puisse plus se fournir en pétrole, les Alliés décidèrent de déposer l’empereur, et de mettre à sa place son fils. Le deuxième monarque de la dynastie Pahlavi fut beaucoup plus enclin à collaborer avec l’Angleterre et les États-Unis. Cette défense de leurs intérêts abouti notamment à l’opération Ajax, au cours de laquelle les services secrets britanniques et américains mirent hors d’état de nuire Mohammad Mossadegh, alors que ce dernier souhaitait une distribution plus juste des bénéfices du pétrole entre Anglais et Iraniens. Comme son père, Mohammad Reza Chah réforma à tour de bras, notamment via la Révolution blanche. De la même manière, il ne prit absolument pas en compte les avis des populations locales, et réprima dans le sang tout avis autres que le sien à l’aide de sa propre police politique, la « Savak ». L’Occident à travers la France notamment, offrit un support de choix au Chah afin de développer l’énergie nucléaire. Cette politique permit au pays d’avancer, mais au prix d’un profond ressenti envers son empereur. Une première fuite et un premier retour trois jours plus tard eurent lieu en 1953 sous la pression du peuple. L’opération Ajax démontra que le Chah penche en faveur de l’Occident au détriment des intérêts nationaux. Afin de continuer à exploiter les réserves iraniennes, l’Occident ferme les yeux face à la répression extrêmement violente de toute contestation. L’inflation et la corruption finissent d’achever un peuple qui peine à couvrir ses besoins. Le fossé économique, social et culturel entre le Chah et son peuple est devenu trop grand, la solution pour les iraniens semble venir d’un homme, un haut religieux chiite : l’ayatollah Khomeiny. 

LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE 

Au-delà d’une Histoire d’une grande richesse, le principal attrait de l’Iran réside dans l’originalité de son régime politique. La République islamique d’Iran obéit aux lois de la République, mais surtout aux lois de l’Islam : la Charia. Cette particularité provient de la révolution islamique de 1979. Suite au fossé entre l’empereur Reza Chah et son peuple, un homme s’élève contre la tyrannie de la Savak : Rouhollah Khomeiny. Né en 1902 et membre d’une grande famille religieuse, il obtient le titre d’ayatollah en 1927 (plus haut rang du clergé chiite). Pendant plusieurs  décennies, Khomeiny publie de nombreux livres et s’oppose de plus en plus clairement au shah et à ses fidèles. En 1961 il devient « marja-e taqlid » (littéralement : modèle d’inspiration), plus haut rang accordé à un ayatollah. Il devient alors une véritable personnalité publique, et nombreux sont ceux venant l’écouter. Khomeiny délégitime le shah par ses discours et ses prises de paroles. Suites à de nouvelles critiques, il est forcé à l’exil en 1964 : c’est à partir de là que sa légende va se former. L’ayatollah part en Turquie, puis en Irak à Nadjaf (ville sainte chiite ou repose Ali, premier martyr du chiisme), et enfin en France à Neauphle-le-Château. C’est lors de cet exil qu’il enregistra ses prêches sur cassettes, qui seront ensuite diffusées clandestinement en Iran et lui permettront d’acquérir un statut de guide. Ces discours lui permettent de critiquer tout ce qu’une grande partie des iraniens refusent d’accepter. L’occidentalisation de la société est très mal vécue et le Shah, protégé par la savak, ne voit pas la contestation grandissante. La société de consommation et les mœurs sont de moins en moins tolérés. De plus, la corruption et la richesse de la famille impériale ne fait que souligner l’écart abyssale entre ce cercle de privilégiés et une population qui va de plus en plus mal. Pour ne rien arranger, une crise économique se produit. Le principal revenu du pays étant le pétrole, la crise de 1973 frappe l’Iran de plein fouet. Trop occupé à lutter contre le communisme, l’Occident et le Shah ont sous-estimé le mouvement de l’ayatollah. Le cycle des manifestations s’intensifie : manifestations, morts, deuil, manifestations… Le fossé est trop grand pour être comblé par une quelconque réforme économique, Khomeiny se prépare en France à la révolution qui gronde. 

Après des mois de protestations populaires et de manifestations contre son régime, Mohammad Reza Pahlavi quitte l’Iran le 16 janvier 1979. Le 1er février 1979, Rouhollah Khomeini revient en Iran en véritable sauveur. Après la proclamation de la neutralité des forces armées dans la révolution, Khomeini déclare la fin de la monarchie le 11 février et met en place un gouvernement provisoire, les casernes militaires jurent chacune leur tour allégeance. Les traîtres à la nation sont jugés par des tribunaux islamiques, et des comités locaux voient le jour avant de se renommer « Gardiens la Révolution » en mai 1979. Mais l’avenir du pays est loin d’être assuré : les relations avec les États-Unis sont au plus bas suite à la prise d’otage de l’ambassade américaine le 4 novembre 1979. Malgré sa popularité, l’ayatollah ne fait pas l’unanimité, les autres puissances de la région (Arabie Saoudite, Irak) ne voit pas d’un très bon œil cette révolution, le nucléaire tombe alors aux mains des gardiens de la révolution. 

Toutes ces questions trouveront leurs réponses dans la relation de l’Iran avec ses alliés et adversaires. Sa position géographique et idéologique fait du pays une entité à part sur l’échiquier mondial. C’est cette position que nous étudierons lors d’un prochain article. 

 

 

Sources : 

https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/A-Neauphle-Chateau-fantome-layatollah-Khomeyni-2019-02-01-1200999505 

http://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2017/10/25/26010-20171025ARTFIG00276-il-y-a-50-ans-le-couronnement-du-chah-d-iran-et-de-farah-diba.php 

http://www.histoire-en-questions.fr/curiosites/shah-iran.html 

https://www.humanite.fr/1978-liran-se-soulevait-contre-la-dictature-du-shah-653270 

http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve?codeEve=464