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L’OTAN en Europe centrale, entre attachement à l’Alliance et divisions stratégiques

Article écrit par Antoine R.

Le 7 novembre 2019, l’interview d’Emmanuel Macron et les propos du président français sur la « mort cérébrale » de l’organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) provoquent une onde de choc politique au sein des pays-membre de l’Alliance en Europe centrale. Parmi les réactions les plus virulentes figurent la réponse du Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki jugeant les propos du président français comme dangereux, tandis que le ministre des affaires étrangères hongrois Péter Szijjártó considère l’OTAN comme « l’alliance de défense la plus aboutie » [1][2]. Ces deux États influents dans cette région apparaissent comme particulièrement attaché à l’OTAN et à la relation transatlantique, malgré des divergences historiques, géographiques et stratégiques ancrés dans la spécificité géopolitique de l’Europe centrale.

Une aire géographique et culturelle marquée par une histoire conflictuelle

L’Europe centrale s’étend de l’Est de l’Allemagne à la Pologne, et de la rive sud de la mer Baltique jusqu’au nord des Balkans. Plus précisément, elle regroupe l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, le Liechtenstein, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Slovénie et la Suisse.  Historiquement, cette région est marquée par une hétérogénéité ethnique et linguistique des peuples qui la compose, avec des populations slaves, germaniques, magyares ainsi que des minorités ethniques telles que les populations juives et roms.[3]

Partagée par l’Empire d’Autriche, l’Empire Russe et la Prusse jusqu’en 1918, la région connaît un phénomène de création de nouvelles Nations au XXe siècle, comme la Hongrie, la Pologne ou encore la Tchécoslovaquie dans un contexte de conflits territoriaux et de montée de l’autoritarisme. Elle est par ailleurs soumise aux volontés expansionnistes de l’Union Soviétique et de l’Allemagne nazie à partir de 1933, partagée par ces puissances avec la signature du pacte germano-soviétique d’août 1939, précédant la Seconde Guerre mondiale, avant de tomber sous la domination de l’URSS suite à la défaite de l’Allemagne nazie, prisonnière du communisme jusque 1989.[4]

L’Europe politique en 1914. - La Croix, Musée de l’Armée-Invalides, 14-18 Mission centenaire.

L’Europe politique en 1923. - La Croix, Musée de l’Armée-Invalides, 14-18 Mission centenaire.

 

Des États fondamentalement attachés à la relation transatlantique dans un contexte de renouveau de menaces diverses

En 1999, l’Alliance, s’élargit à la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque, puis en 2004, à la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie.[5] L’élargissement de l’OTAN a pour conséquence géopolitique la neutralisation de contentieux hérités du partage des frontières de 1918 et de 1945, notamment celui des frontières germano-polonaises de 1945 et des frontières hongro-slovaques de 1918.[6] Avec l’expansion de l’OTAN, les États-Unis, première puissance militaire mondiale, deviennent ainsi un acteur important de la sécurité de la région en raison de leur poids inégalable au sein de l’Alliance.[7] L’ensemble des pays d’Europe centrale, à l’exception de la Slovénie, ont alors démontré leur soutien aux États-Unis dès 2003 par l’envoi de troupes en Irak dans un contexte de division des pays de l’UE sur cette question. L’importance stratégique des États-Unis est également incarnée par l’importance des exportations américaines de matériels militaires. Ainsi, depuis 1999, les exportations de défense représentent environ 3 milliards de dollars pour Washington, dont un montant total de 2 359 milliards de dollars de ventes vers la Pologne, loin devant la Roumanie qui totalise 256 millions de dollars de commandes, la République Tchèque avec 141 millions de dollars d’achat aux États-Unis et 83 millions de dollars d’exportations vers la Hongrie.[8]

L’intervention militaire de la Russie en Géorgie en 2008, puis le choc de la déstabilisation de l’Ukraine représentent alors un retour de la menace russe sur le flanc est de l’OTAN pour les États-Unis et leurs alliés centre-européens. Cette situation se traduit en Europe par une présence militaire de 38 000 personnels militaires et 11 000 civils de la Défense, notamment la présence de 5 garnisons en Allemagne, de 4 positions avancées comme à Poznan (Pologne), du centre d’entraînement de Novo Selo (Bulgarie) et du camp Mihail Kogalniceanu (Roumanie). Washington dispose également de 3 groupes de soutien, en Pologne, en mer Noire et dans les pays baltes, ainsi qu’une présence opérationnelle avancée (EfP) en Pologne.[9] Le renouveau de la meance russe a pour conséquence une hausse de l’effort budgétaire de défense, symbolisé par la part du budget militaire sur le produit intérieur brut (PIB). Ainsi, selon les estimations de l’OTAN pour l’année 2019, seuls 9 membres ont consacré 2% ou plus de leurs PIB à l’effort de défense, dont 6 PECO : la Bulgarie (3,25%), l’Estonie (2,14%), la Lettonie (2,01%), la Lituanie (2,03%), la Pologne (2%) et la Roumanie (2,04%).[10]

De plus, la guerre civile en Syrie depuis 2011, ayant pour conséquence l’émergence du groupe État Islamique, ayant pour conséquence une multiplication des attaques terroristes en Europe et une crise migratoire, représente un enjeu sécuritaire majeur pour l’Europe centrale, aboutissant à une position commune d’opposition à ce phénomène et aux mécanismes européens de quotas migratoires pour la redistribution des réfugiés.[11]

Enfin, la montée de la Chine en Europe centrale représente également un enjeu de divisions relatives aux d’investissements dans divers secteurs économiques et d’infrastructures au sein de l’initiative du format « 17+1 » qui regroupe ainsi l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République Tchèque la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Slovénie, la Croatie, la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’Albanie et la Macédoine. Cette tendance est particulièrement redoutée par Washington, relative à la sûreté des infrastructures et des communications par la pratique de l’espionnage, du sabotage ou encore de la pression politique chez ses alliés d’Europe centrale, ainsi qu’un enjeu pour la cohésion de l’OTAN dans la région.[12]



De profondes divergences de perception des menaces pour l’OTAN en Europe centrale

Malgré l’attachement des pays d’Europe centrale à l’OTAN et à la relation transatlantique, de profondes divergences géopolitiques se distinguent sur l’attitude à adopter vis-à-vis de la Russie entre les États qualifiés de « frontline states », bordant la Russie, et ceux de la « Mitteleuropa », pays au centre de cette région.[13] Plus précisément, on peut ainsi distinguer les positions de fermeté de l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie appelant au renforcement de l’OTAN dans la région aux sommets de Newport et de Varsovie ainsi que le vote des sanctions économiques contre Moscou. L’approvisionnement énergique depuis la Russie représente également un enjeu de division entre les pays d’Europe centrale. La Russie représente 40% des importations de gaz et 27% des importations de pétrole de l’UE par les pipe-lines « North Stream », « Yamal », « Fraternité » et « Soyouz ».[14] Le projet « North Stream 2 » reliant directement la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique, en contournant les pays baltes et la Pologne, a été décrié par ses derniers, ressuscitant le spectre traumatique du pacte germano-soviétique du 23 août 1939 où l’Union Soviétique et l’Allemagne, aboutissant au partage de l’Europe centrale et au début de la Seconde Guerre mondiale.[15]

Tracé des gazoducs russes existants ou en projets en Europe - ‘Gazoducs Russie/CEI vers l’Europe’. Planète Énergieshttps://www.planete-energies.com/fr/medias/infographies/gazoducs-russie-cei-vers-l-europe

Cette position contraste ainsi avec l’attitude du ministre des affaires étrangères hongrois Péter Szijjártó, en visite à Moscou en juin dernier, a annonçant l’achat de 4,2 milliards de mètres cubes de gaz à gazprom sur les cinq prochaines années.[16] La Russie est également accusée d’instrumentaliser des réseaux d’affaires et des partis politiques afin de mener une stratégie d’influence dans la région, doublée d’une campagne médiatique de « guerre informationnelle », par l’utilisation de la chaîne Russia Today et de la « ferme des trolls » sur les réseaux sociaux afin d’instrumentaliser les mécontentements et affaiblir la position de gouvernements de membres de l’UE et de l’OTAN.[17] À l’inverse des « frontlines states », des États de la « Mitteleuropa » tels que la Hongrie, la République Tchèque et de la Slovaquie ont exprimé la volonté lever les sanctions de l’UE contre la Russie et la normalisation des relations avec la Fédération de Russie.[18]

Par ailleurs, une profonde divergence de perception de la menace chinoise entre Budapest et Varsovie, entre une volonté d’ouverture économique et de négociation avec Huawei pour l’installation du réseau 5G du côté hongrois, et une position de fermeté côté polonais, symbolisé par l’arrestation à Varsovie d’un homme d’affaire chinois accusé d’espionnage. [19] [20]




Sources :

[1] ‘Pour le Premier ministre polonais, les propos de M. Macron sur l’Otan sont “dangereux”’. 2019. Zone Militaire. 

[2] ‘Péter Szijjártó on Macron’s Claim That NATO Is “Brain Dead”’. Amanpour & Company.

[3] Europe Centrale : Définition de Europe Centrale et Synonymes de Europe Centrale (Français)’. http://dictionnaire.sensagent.leparisien.fr/Europe%20centrale/fr-fr/

[4] Bogdan, H. (2017). Histoire des pays de l'Est. Tempus Perrin

[5] ‘20160627_1607-Factsheet-Enlargement-Fre.Pdf’.

[6] ‘Between the Eastern Flank and Mitteleuropa’. 2019. Visegrad Insight.

[7] Grand, C. (2015, Mai-août). Les nouveaux équilibres de la puissance militaire au XXIe siècle. Questions internationales, 73-74, 14-26

[8] ‘Importer/Exporter TIV Tables’. http://armstrade.sipri.org/armstrade/page/values.php

[9]USArmyEuropeFactSheet190804.Pdf’.

[10] ‘20191129_pr-2019-123-En.Pdf’. https://www.nato.int/nato_static_fl2014/assets/pdf/pdf_2019_11/20191129_pr-2019-123-en.pdf ).

[11] ‘Cedc-Declaration-June-2017.Pdf’

[12] ‘Beyond 5G, Central Europe Will Be Key to Countering Chinese Technological Influence’. 2020. Atlantic Council. 

[13]Between the Eastern Flank and Mitteleuropa’. 2019. Visegrad Insight. 

[14] ‘Gazoducs Russie/CEI vers l’Europe’. Planète Énergies. 

[15] ‘Gazoduc Nord Stream 2: Peut-on Faire Confiance à l’Allemagne Pour Défendre Les Intérêts Européens ?

[16] ‘Hungary to Purchase 4.2 Bn Cubic Metres of Russian Gas’. 2020. Hungary Today. 

[17] Ibid

[18] ‘OBS_Russie+Caucase+Europe+Orientale_201606_Russia+and+CEE,+Means+of+Pressure+and+Channels+of+Influence+-+juin+2016.Pdf’.

[19] Szabolcs, Panyi. 2019. ‘Hungary’s Government Is Quietly Neck-Deep in the U.S.-Huawei War’. Direkt36. 

[20] Plucinska, Joanna, Koh Gui Qing, Alicja Ptak, and Steve Stecklow. ‘How Poland Became a Front in the Cold War between the U.S. and China’. Reuters.