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Militaris : Grumman F-14 Tomcat, l’ange-gardien des porte-avions américains

F-14D Tomcat assigné àaux Black Lions de l’Escadre de Combat 123

Au début de l’ère atomique, la marine de guerre américaine redoute la destruction de ses porte-avions – clé de voûte de sa puissance – par les bombardiers stratégiques en provenance d’Union soviétique. Les progrès technologiques dans le domaine des radars, des missiles et de l’aéronautique vont permettre de répondre à ce besoin de protection. C’est la naissance d’un avion légendaire, immortalisé par le cinéma d’action hollywoodien, le Grumman F-14 Tomcat. Déployé par l’US Navy durant plus de trois décennies, ce chasseur-intercepteur d’exception jouera son rôle de dissuasion et de défense stratégique, armé du puissant missile longue portée AIM-54 Phoenix. Retiré du service actif en 2006, il demeure encore la clé de voûte de la défense aérienne iranienne, seul pays à avoir disposé de ces appareils en dehors des États-Unis. Retour sur le plus célèbre des « Matous ».

Une conception alimentée par l’expérience vietnamienne et la Guerre Froide

Le concept d’avion chasseur-intercepteur à longue portée pour protéger les flottes de porte-avions américains n’est pas nouveau. Les premières études remontent aux premiers balbutiements atomiques de l’Union soviétique. Pour transporter les fameuses ogives, l’option spatiale est retenue prioritaire a contrario de l’état-major américain qui maîtrise alors mal ce nouveau domaine. La mise en orbite de Spoutnik conforte l’avance technologique des Russes dans l’aérospatiale et la fuséologie. À Washington, on craint pour les flottes aéronavales, supposées indestructibles depuis leur victoire sur l’Empire du Japon. Une seule explosion nucléaire pourrait décimer des Task Forces entières. Pourtant, aucune action concrète n’est menée pendant des années. En cause, la lutte d’influence entre la toute nouvelle US Air Force – et ses bombardiers stratégiques – et l’US Navy.

La guerre de Corée, puis celle du Vietnam, vont démontrer l’importance cruciale d’une force aéronavale dans la projection militaire. De plus en plus vulnérable, en particulier avec le développement de bombardiers stratégiques à long rayon d’action par l’URSS, la marine obtient les crédits pour la conception d’un intercepteur et d’un armement longue portée destinés à lutter contre les innovants missiles de croisières.

Un appel d’offres est lancé auquel répondirent le constructeur General Dynamics. Proposant une adaptation aéronavale de son bombardier tactique F-111, l’entreprise se retrouve face à de cuisants échecs liés à la complexité de l’appareil. En 1968, il est décidé de mettre fin au projet. Finalement, c’est l’avionneur new-yorkais Grumman – déjà associé au programme F-111 – qui trouva grâce aux yeux des autorités avec son prototype VFX.

Afin de limiter les coûts, le gouvernement impose la reprise de certains éléments embarqués du F-111 comme le radar, le missile longue portée ou encore les turboréacteurs. Le 21 décembre 1970, Grumman fit s’envoler son nouveau-né. C’était un avion biréacteur, bi-dérive, avec des ailes à géométries variables s’adaptant au profil de vol en temps réel. Sous le ciel de l’État de New York venait de naître le premier chasseur de quatrième génération.

Outre son rôle d’ange gardien de la flotte, le F-14 intègre quelques améliorations issues de la guerre du Vietnam. Le principal enseignement de ce conflit avait été le manque de performance des appareils américains en combat tournoyant (dogfight). Dépourvus de canons, les chasseurs accusaient de lourdes pertes contre des avions de conception soviétique disposant toujours de leurs mitrailleuses. On décida de conserver également la disposition de l’équipage en tandem, l’un derrière l’autre, pour la gestion des systèmes d’armes à l’image du McDonnell Douglas F-4 Phantom II, alors principal chasseur embarqué des États-Unis. C’est ainsi que se perpétua la fonction de RIO (Radar Intercept Officer), un second personnel navigant devant gérer le radar, les missiles, la navigation inertielle, les radiocommunications et la guerre électronique.

USS Entreprise (CVN-65), premier porte-avions nucléaire américain. C’est l’un des seize bâtiments de guerre aéronavals que le F-14 devait protéger à sa mise en service.

Premières années, premières difficultés

Le développement du F-14 était loin d’être académique. Afin d’éviter toute interférence de la part du secrétaire d’État lui-même, la Marine décida d’accélérer le déploiement de l’avion alors même que des problèmes moteurs étaient connus. En effet, les réacteurs Pratt & Whitney TF-30 étaient sujets à un phénomène dangereux : le décrochage compresseur. Provoqué par une prise d’assiette brusque, ce phénomène entraîne un défaut d’alimentation en air et une possible extinction du moteur. Combiné à la poussée résiduelle de l’autre turbine, ce problème conduisait à une perte de contrôle totale appelée « vrille à plat », poussant à l’éjection. C’est d’autant plus handicapant qu’un avion de combat est sensé réaliser des manœuvres brusques et rapides…

Malgré cela, l’appareil fut déclaré opérationnel et commença son déploiement sur les ponts des porte-avions américains dès 1972 sous sa première version, le F-14A Tomcat (Matou en anglais). Pour l’époque, c’était une véritable révolution technologique et militaire. Capable de croiser à Mach 2,34 (2,34 fois la vitesse du son soit environ 2 500 km/h), presque 16 000 mètres d’altitude et de parcourir presque un millier de kilomètres, l’avion de Grumman bénéficiaient d’une excellente manœuvrabilité pour son poids élevé – 18 tonnes à vide, jusqu’à 33 tonnes à pleine charge – grâce à un ingénieux système d’ailes à géométries variables géré par ordinateur.

Son système radar et armement était lui aussi exceptionnel. Disposant d’un puissant radar à effet doppler mécanique AN/AWG-9 d’une portée de 360 kilomètres, il surclasse tous ses opposants et homologues. Plus encore, il dispose d’une capacité inédite de surveillance et de ciblage lui permettant de voir vingt-quatre cibles, d’en afficher dix-huit au RIO et d’en attaquer six simultanément. Mais un radar air-air ne serait rien sans un missile adapté.

Le Hughes AIM-54 Phoenix est un missile air-air longue portée initialement développé pour le F-111 navalisé. Repris pour le F-14, il dispose de caractéristiques de vol exceptionnelles : une altitude de croisière avoisinant les 30 000 mètres, une portée maximale de 184 km et un système de guidage autonome permettant à l’avion-porteur de ne pas s’exposer aux éventuelles représailles ennemies. Déployé à partir de 1974 et exclusif au Tomcat, le Phoenix va assurer la dissuasion et la protection aérienne de son groupe aéronaval pendant trente ans.

F-14A de la VF-86 « Jolly Rogers » tel qu’apparaissant dans le film Nimitz : Retour vers l’Enfer (1980).

Refontes et maturité opérationnelle

Le F-14 Tomcat sera produit à 712 exemplaires entre 1970 et 1991 dont 632 pour la seule marine de guerre américaine. Face aux multiples incidents aériens induisant les moteurs de l’avion, la Navy décida leur remplacement par ceux déjà utilisés par les F-15 Eagle et F-16 Fighting Falcon de l’armée de l’Air, le General Electric F110. Les premiers remplacements commencèrent en 1979. Finalement, une refonte générale intervient en 1987 avec la version F-14B. Les nouveaux moteurs sont intégrés de série et l’avionique passe de l’analogique au numérique. Certaines capacités air-sol furent également intégrées, donnant à l’appareil le surnom officieux de Bombcat en référence à sa nouvelle possibilité d’emport en bombes.

Les années 1980 sont également celles des premiers engagements opérationnels pour le compte de l’Amérique. Les victoires aériennes interviennent contre la Libye en 1981 et 1989. Cependant, du fait de son retard technologique et de son manque d’intégration au système de liaison de données, le Tomcat ne participa que de façon anecdotique à la guerre du Golfe, ratant par là-même l’occasion de s’illustrer contre l’armée de l’Air irakienne. Crédité de seulement quatre victoires aériennes en plus de trente ans de service, le F-14 peine à remplir sa mission première dans un contexte diplomatique et militaire reléguant les combats aériens à l’Histoire de l’aviation. Son emploi contre des cibles terrestres peine à convaincre un état-major obnubilé par la standardisation et la furtivité symbolisées par la montée en puissance de la gamme F/A-18 Hornet et le développement du futur F-22 Raptor.

Malgré une nouvelle refonte intervenue en 1991 sous la dénomination F-14D Super Tomcat, la production est arrêtée faute de commandes. L’avion sert désormais pour des missions de reconnaissance, de renseignement photographique et de défense aérienne. Son successeur, une version améliorée du F/A-18 commence dans le même temps sa production sous l’appellation Super Hornet avec une mise en service opérationnel en 2001.

Condamné à la retraite, le F-14 Tomcat effectue son dernier vol en 2006. Il intègre alors la réserve et certains musées d’aéronautique. Immortalisé par le film américain Top Gun (1986), cet avion incarne l’aéronautique navale américaine et le métier de pilote de combat moderne.

Avec le film Top Gun (1986), le Tomcat s’inscrivit dans la culture populaire et l’imaginaire collectif entourant le monde de l’aviation militaire.


La carrière iranienne du F-14 Tomcat

Aucun autre pays que les États-Unis n’utilisèrent le Tomcat à l’exception de l’Iran qui accusa réception de 79 appareils entre 1976 et 1979, date de la révolution islamique. C’est sous bannière iranienne qui va démontrer aux yeux du monde sa puissance opérationnelle. Déployé dans le cadre de la guerre Iran-Irak, il va démontrer l’efficacité de son radar couplé au missile Phoenix. Au total, ce sont 160 appareils irakiens qui seront détruits en vol par le Tomcat entre 1980 et 1988. Pourtant utilisé initialement comme un avion d’alerte, usant de son puissant radar pour aider les autres appareils de la flotte aérienne nationale, il va rapidement être opposé à de nombreux avions de conception soviétique et même françaises (Mirage F1 et Mirage 5 vendus à l’Irak). Avec un total de douze à seize pertes côté iranien, le Tomcat affiche un rapport victoire/défaite de 10:1, faisant de lui un des meilleurs chasseurs-intercepteurs de l’Histoire aérienne.

Aujourd’hui encore, l’armée de l’Air iranienne possède et déploie des Tomcat. Mis à niveau avec les moyens du bord, notamment le marché noir, le couple Tomcat-Phoenix est maintenu à flot par une aviation encore marquée par ses exploits opérationnels. Pourtant, peu d’éléments laissent à penser que cet appareil serait efficace contre les nouvelles montures occidentales et leur soutien électronique (brouillage, leurres, surveillance radar, etc.). Pour autant, sa récente intervention dans la guerre civile syrienne contre l’État islamique – l’escorte d’un bombardier stratégique russe – démontre encore la capacité de ce vénérable chevalier du ciel au front.

F-14 de l’armée de l’Air iranienne. L’Iran est le seul opérateur étranger du Tomcat. C’est également le pays qui lui permit de briller sur le plan militaire.


Sources :

Tomcat! : The Grumman F-14 Story, Paul Gillcrist (1994)

Iranian F-14 Tomcat Units, Tom Cooper (2004)

Flight of the Phoenix, George Marrett (2006)