Militaris : La Cavalerie française
À travers le monde, la France est réputée pour son art de vivre, sa gastronomie, son raffinement aristocratique et son histoire royale. Naturellement, le pays n’a pas tardé à être associé à l’esprit chevaleresque et flamboyant d’une arme d’exception, à travers les victoires napoléoniennes comme les tirades poétiques de Cyrano de Bergerac. Des chars gaulois effrayant les Romains à ceux, en acier trempé de la Première Guerre mondiale en passant par les Croisés et les nobles maréchaux du Grand Siècle, la cavalerie française est l’héritière d’une histoire aussi ancienne que la France elle-même. Retour sur une arme d’exception qui s’inscrit dans l’identité nationale.
Un pays de tradition équestre
Avant que la France ne devienne une nation indépendante, les Gaules étaient réputées pour leurs populations équestres, notamment les chars de combat qui firent la renommée des troupes celtiques. Cavaliers hors-pair, les Gaulois font l’élevage de chevaux à travers tout le territoire et développent un ensemble de technologies qui serviront aux futurs maîtres romains et francs pour leurs armées.
La prise de pouvoir des Francs, alors que l’Empire romain d’Occident s’effondre, consolide le statut privilégié, d’aucun dirait « supérieur » de ceux qui vont bientôt s’appeler « chevaliers ». Au sein de cette population, il existe d’ailleurs un lien étroit entre le rang social et l’équitation, de telle sorte que les nobles seigneurs francs sont appelés à constituer les rangs de la cavalerie royale.
Tournois, joutes, code d’honneur, tout une mythologie s’établit au sein de la chevalerie française qui constitue un ordre bien établi et étroitement contrôlé par les autorités étatiques et pontificales. Rien d’étonnant à ce que les Francs constituent la principale force militaire au cours des premières croisades qui animeront le Moyen-Âge. Aux yeux du monde chrétien, le Royaume de France dispose de la meilleure armée et ce, grâce majoritairement à une cavalerie lourde d’excellente qualité. Fer de lance de l’ost des rois de France, elle sera cependant anéantie lors de la bataille d’Azincourt qui prend place dans le cadre de la guerre de Cent-Ans.
Véritable traumatisme, cette défaite inaugure la lente désintégration de la cavalerie en Europe au profit de la poudre à canon (artillerie et arquebuses) de sorte qu’à la Renaissance, celle-ci est largement marginalisée.
Le renouveau français
Sous la Renaissance, la France dispose tout de même de plusieurs milliers de cavaliers, notamment « légers » équipés de lances. Autre fait majeur, celle-ci n’est plus nationale puisqu’essentiellement constituée de mercenaires étrangers. Les guerres de religions et la centralisation étatique achèveront de détruire une cavalerie aux abois.
Pour autant, le XVIIème siècle verra le retour en force d’une arme légère, mobile et versatile. Les missions données sont désormais celles de la reconnaissance, du harcèlement des arrières et, éventuellement, de la percée (choc). À l’initiative de Richelieu, la cavalerie française renaît en adoptant l’organisation régimentaire. Mais c’est bien Louis XIV qui va redonner ses lettres de noblesse à une arme en dépérissement. Les dragons, les hussards, les chasseurs à cheval et autres carabiniers font leur apparition en adoptant des armes à feu plus efficaces et portatives.
C’est ainsi, grâce aux réformes de Richelieu et des Bourbons, que la cavalerie française sera disposée à servir le génie militaire d’un certain Napoléon Bonaparte.
L’Empire : âge d’or de la Cavalerie
Au XVIIIème siècle, la « reine des batailles » est l’Infanterie. La cavalerie, malgré de nombreuses réformes royales, joue un rôle annexe dans les grandes opérations militaires. Profondément restructurée après avoir été désorganisée sous la République, l’arme montée française connaît alors sous le règne de l’empereur Napoléon un âge d’or sous forme de chant du cygne.
Après l’éprouvante bataille de Marengo, Bonaparte, alors Premier consul, fait renaître la cavalerie lourde en instituant les Cuirassiers. Arme de choc et de mêlée, commandée par le flamboyant et téméraire maréchal Murat, la cavalerie consulaire puis impériale sera l’arme fatale qui renversera l’ordre international européen, du moins jusqu’à la catastrophique campagne de Russie.
Privée de sa force de frappe décisive, l’Empereur sera vaincu. Dès lors, et durant un demi-siècle, la cavalerie française ne sera plus déployée dans des conflits majeurs, ce qui jouera un rôle crucial lors de la guerre franco-allemande de 1870.
De l’humiliation à la mécanisation
La guerre de 1870 est une humiliation pour la cavalerie française. Semblable à Azincourt de par son choc psychologique, elle anéantit une arme orgueilleuse et bercée des souvenirs glorieux d’Austerlitz et Friedland.
Après-guerre, le nouveau régime républicain veillera à une imitation des doctrines d’emploi équestres du voisin allemand. Contrairement à ses alliés, la France va abandonner l’idée d’une utilisation offensive de la cavalerie, jugée exceptionnelle, de telle façon que cette dernière jouera plutôt un rôle auxiliaire similaire à celui attribué au XVIIème siècle.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, le pays dispose de 90 régiments de cavalerie répartis dans 10 divisions dédiées et dans plusieurs détachements divisionnaires. Au total, 35 000 hommes et tout autant de chevaux. Du fait de la guerre des tranchées, cette force sera rapidement démontée, les chevaux étant renvoyés vers l’arrière pour des opérations logistiques.
Mais alors que la guerre moderne et industrielle voit la fin de la cavalerie traditionnelle, elle initie son remplacement par des montures mécaniques et artificielles : l’automobile, l’avion et le char d’assaut. Le premier type a démontré toute son efficacité et sa flexibilité dans la contre-offensive victorieuse de la Marne (les fameux taxis réquisitionnés). Le second a rapidement assumé un rôle crucial dans la maîtrise du ciel et des renseignements (reconnaissance aérienne, réglage de tirs d’artillerie, etc.). Enfin, le troisième genre a révolutionné la guerre de par sa mobilité et sa puissance de feu. En quelques mois, la France disposera ainsi d’un nombre impressionnant de camions, avions et chars qui lui permettront de remporter la victoire finale.
Le conflit terminé, la cavalerie française va être profondément réorganisée afin d’accueillir les innovations de ce début de siècle. Quinze ans plus tard, les dernières divisions sont transformées en DLM (divisions légères mécaniques), l’équivalent de ce qui deviendra outre-Rhin la Panzerdivision.
Réformes et modernisation
Malgré les efforts de l’Entre-Deux-Guerres, la France accuse un retard doctrinaire important face à l’Allemagne. Ses unités mécaniques, bien que puissantes, sont mal employées et l’ensemble du dispositif militaire national est balayé par la même mobilité qui avait fait la gloire d’antan.
Pourtant, c’est là que le pays va initier sa modernisation. Copiant le modèle américain, les Français libres vont faire des prouesses dans la libération du territoire national. Après-guerre, l’État développera la « division blindée » (Armored Division américaine). Ainsi, toute en gardant leurs appellations traditionnelles, plusieurs unités sont déployées en Indochine ou encore en Algérie, équipées de chars d’assaut modernes.
Dernière évolution, celle de la Guerre Froide qui démocratise le principe du char d’assaut principal (Main Battle Tank) incarné par l’AMX-30 et l’actuel Leclerc. Ainsi, au XXIème siècle, il est courant de croiser un régiment de dragons, de cuirassiers ou de hussards : seules les montures ont changé…
Sources :
Le cheval et la guerre, Daniel Roche (2002)
Histoire de la Cavalerie française, des origines à nos jours, Jean-Pierre Béneytou (2010)
Histoire de la cavalerie, Frédéric Chauviré (2013)