Militaris : Les fondamentaux du combat aérien

 
Combat aerien entre un P-51 Mustang de l’escadron des RedTails et un Me-262

Combat aerien entre un P-51 Mustang de l’escadron des RedTails et un Me-262

 

5 octobre 1914, France. L’aéroplane de type Voisin III manœuvré par le sergent Joseph Frantz (pilote) et Louis Quenault (mécanicien aviateur) abat un appareil allemand dans le ciel rémois. C’est là la première victoire aérienne de l’histoire humaine. Depuis cette date, les affrontements entre avions n’ont cessé de se multiplier, des « chevaliers du ciel » de la Grande Guerre aux anonymes et innombrables héros du conflit suivant. Après la Seconde Guerre mondiale, le combat aérien entre dans une nouvelle ère, celle de l’informatique, des radars embarqués et des missiles. Désormais, il n’est plus nécessaire de voir pour tuer : c’est une révolution militaire majeure. Ainsi, depuis la guerre du Vietnam, le combat entre aéronefs (air-air) s’articule autour de trois principes fondamentaux que cet article propose d’explorer : le combat-canon (dogfight), le combat rapproché (Within Visual Range ou WVR) et le combat au-delà de la portée visuelle (Beyond Visual Range ou BVR).

Le combat-canon ou « dogfight »

C’est le plus ancien type d’affrontement aérien encore existant. Improvisé lors des premières semaines de la Première Guerre mondiale avec l’armement de fortune de certains aéronefs, ce combat implique des échanges de tirs via une arme à feu traditionnelle (revolver, fusil, mitrailleuse lourde, canon, etc.). Ce sera le type d’engagement quasi-exclusif des avions de chasse jusqu’à la fin de la guerre de Corée (1950-1953). À portée visuelle et de tir (quelques centaines de mètres), les appareils s’engagent dans une danse macabre afin de chercher à se positionner dans les arrières de la cible.

 
Un F-14 Tomcat en dogfight avec un A-4 Skyhawk à Top Gun

Un F-14 Tomcat en dogfight avec un A-4 Skyhawk à Top Gun

 

Les manœuvres, violentes et brutales, reposent sur la gestion d’énergie (vitesse, puissance du moteur, trajectoire, altitude, etc.) pour vaincre l’adversaire. Ensuite, il convient d’abattre l’avion-cible par une courte rafale dans un souci d’économie de munitions et d’endurance. Ces rencontres extrêmement brèves (de l’ordre de la minute) accoucheront des premières figures acrobatiques encore enseignées aujourd’hui. Les premières figures légendaires de l’histoire aéronautique naissent ainsi au cours de la Première Guerre mondiale et s’appelleront René Fonck, Georges Guynemer, Manfred von Richthofen (le Baron rouge) ou encore Francesco Baracca.

 
Exemple de combat-canon au cours de la Première Guerre mondiale

Exemple de combat-canon au cours de la Première Guerre mondiale

 

Après la Grande Guerre, les armements s’améliorent ainsi que les performances aéronautiques des montures. Ainsi, comme le démontre le tableau ci-dessous, les appareils du conflit à venir n’ont plus rien à voir avec leurs illustres prédécesseurs en termes de performances comme de puissance de feu.

 
Dogfight_03.jpg
 

Conséquence logique de cette amélioration technologique, les avions de combat sont plus meurtriers et les victoires s’enchaînent avec des palmarès de plus en plus fournis. Ainsi, alors que l’as des as de la Première Guerre mondiale, le français René Fonck totalisait 107 victoires aériennes entre 1914 et 1918, celui du conflit suivant, l’allemand Erich Hartmann affichait 352 réussites entre 1942 et 1945. Le nombre d’as (cinq victoires ou plus) connaît la même ascension fulgurante. Enfin, la Seconde Guerre mondiale est cruciale dans la codification du combat-canon en cela que les tactiques théorisées à cette époque sont toujours en application au sein des armées aériennes nationales aujourd’hui.

Avec l’ère des missiles et du travail radar, certaines forces aériennes comme celle des États-Unis au cours de la guerre du Vietnam, firent le choix d’abandonner les canons, convaincus de la supériorité technologique des armes nouvelles. Fatalement, les pertes augmentèrent de façon désastreuse jusqu’au seuil critique d’une perte pour une victoire. C’est dans ce contexte que des écoles spécialisées dans l’art du combat aérien rapproché virent le jour comme la fameuse United States Navy Fighter Weapons School aussi connu sous le nom de « Top Gun ».

Le WVR, évolution technologique du combat aérien

Après la guerre de Corée, les avancées technologiques dans le domaine des « roquettes guidées » permirent d’accoucher des premiers missiles « air-air ». Ceux-ci furent d’abord de deux types avant l’introduction des premiers missiles à guidage dit « actif » au cours des années 1970.

Les missiles air-air à guidage passif ont besoin d’une source extérieur pour s’orienter et c’est la cible qui va leur offrir. Communément, dans le cadre du combat aérien moderne, les missiles à guidage infrarouge sont surreprésentés à l’image du vénérable AIM-9 Sidewinder américain. Côté français, on peut citer les missiles de la gamme Magic (1975) et MICA-IR (2000). Leur principe de fonctionnement est simple : doté d’un autodirecteur visualisant les sources de chaleur (tuyères des moteurs), le missile suit celles-ci jusqu’à impact. Malgré sa redoutable capacité « tire et oublie » (le pilote n’a pas besoin de pointer l’adversaire le temps de la course du missile), ce type d’armement n’est pas exempt d’inconvénients. Les premières versions étaient régulièrement « brouillées » par leur environnement (désert, soleil, etc.) tandis que les avions emmenèrent rapidement des leurres thermiques pour se protéger. Enfin, la nécessite de visualiser une source de chaleur pour être mortel contraint à un engagement à très faible portée (inférieur à 20 km pour les versions les plus récentes, dans les faits, moins de 10 km) ainsi qu’un positionnement sur les arrières de la cible pour une plus grande efficacité (bien qu’il existe de plus en plus de missiles « tous aspects »). Malgré cela, l’engagement « Fox Two » (terme OTAN qualifiant le tir de ce type de missile) reste extrêmement populaire et efficace.

 
Tir de leurres infrarouges (flares) par des Mirage 2000 français

Tir de leurres infrarouges (flares) par des Mirage 2000 français

 

Le développement et le perfectionnement des radars embarqués au cours des années 1950 et 1960 ont conduit à la mise au point d’un nouveau type de missile à guidage dit « semi-actif ». Équipé d’un relai assurant la communication avec l’avion-père, ce missile se dirige vers toute cible aérienne « illuminée » par un faisceau radar venant du tireur. Qualifié de « Fox One », il comprend les anciens missiles américains AIM-7 Sparrow et français Matra R530 qui équipaient les Mirage F1 et 2000 de l’Armée de l’Air à partir de 1980. Le principal avantage d’un tel armement est sa capacité d’engagement à moyenne portée (entre 5 et 30 km de moyenne) ainsi qu’une émancipation vis-à-vis des conditions météorologiques. Désormais, il n’est plus nécessaire de voir l’ennemi pour le vaincre. Malgré tout, ces missiles restent pleinement utilisables à portée visuelle (moins de 20 km) car il ne faut pas confondre « portée » et « portée utile ».

Comme une munition traditionnelle, un missile dispose d’une certaine énergie, conférée tant par son moteur-fusée que par la vitesse héritée de son avion-porteur. Cependant, si la cible effectue une manœuvre défensive (ou « évasive »), le missile va dégrader son énergie pour la suivre. Tout le travail radar et pilote consiste alors à positionner l’ennemi dans la NEZ ou No Escape Zone, distance à laquelle le missile voit ses chances de succès augmenter considérablement. En contrepartie, la distance d’engagement se réduit pour offrir un maximum d’énergie à l’arme. Comme pour les missiles courte-portée, l’aspect de la cible vis-à-vis du tireur modifie énormément de facteurs : il sera toujours plus facile de toucher une cible en rapprochement rapide qu’en éloignement.

 
Tir d’un AIM-7 Sparrow par un F/A-18 Hornet australien

Tir d’un AIM-7 Sparrow par un F/A-18 Hornet australien

 

Enfin, le principal inconvénient de ce type d’arme est le mode de fonctionnement du radar de l’avion-tireur. En effet, celui-ci est contraint de concentrer toute son énergie sur une seule et unique cible pour s’assurer une chance de tuer. N’ayant plus de conscience situationnelle et environnementale, il devient lui-même une proie de choix pour la force aérienne ennemie. Autre désavantage, le manque de « discrétion ». Un radar actif peut être repéré par un ensemble de senseurs embarqués. Dès lors, s’il concentre toute son énergie sur une cible, celle-ci peut facilement savoir quand elle est ciblée et fuir le combat ou réagir au mieux. Pour finir, il existe également des moyens de leurrer ce type de missiles via des « paillettes » métalliques larguées par la cible qui brouille les systèmes radar en cela qu’elles font apparaître de nouveaux échos trompeurs.

Tuer sans voir, l’apogée du combat aérien contemporain

Au cours des années 1960 et 1970, de nombreuses équipes d’ingénieurs cherchaient un moyen de perfectionner les missiles. Le principal problème explicité précédemment est la nécessité de cibler en permanence l’appareil ennemi pour le détruire via son propre radar embarqué. L’ensemble de ces recherches aboutirent à la création des premiers missiles à guidage « actifs » au sein des forces aériennes américaine et soviétique. Le modèle le plus connu demeure l’AIM-54 Phoenix (1974) employé par le F-14 Tomcat pour protéger les groupes aéronavals d’attaques ennemies. Aujourd’hui, les Américains emploient le redoutable AIM-120 AMRAAM (1991) tandis que les Français – et Européens – font usage des MICA-EM (1996) et, plus récemment du missile Meteor (2012).

 
Tir d’un AIM-54 Phoenix par un F-14 Tomcat américain

Tir d’un AIM-54 Phoenix par un F-14 Tomcat américain

 

Le principe de fonctionnement de ce missile « Fox Three » est simple. L’avion-tireur scanne le ciel en continue sans cibler d’avion ennemi en particulier ce qui assure une discrétion plus importante que lors d’un engagement « Fox One ». Une fois la cible repérée, identifiée et désignée au système radar de l’avion, le missile est tiré. Sans changer son mode de fonctionnement, le radar oriente le missile sur l’écho-cible. En phase d’approche terminale, le radar embarqué de l’arme prend le relais en accrochant en continu son objectif. Ce n’est qu’à cet instant là seulement que la cible se rend compte du tir du missile, rendant la réaction souvent tardive. Cette nouvelle capacité propulse le combat aérien dans une nouvelle ère, celle du BVR (Beyond Visual Range). Dans ce cadre, les manœuvres sont moins violentes et consistent régulièrement en des « allers-retours », l’avion tireur cherchant à s’éloigner un maximum dès lors que son missile devient autonome.

Malgré cela, ce type de combat demeure rare dans le cadre des guerres asymétriques modernes où il est nécessaire d’identifier une cible avant de l’abattre et donc de s’en rapprocher. Même s’il existe des caméras embarqués disposant de zooms optiques performants à bord des chasseurs modernes, cet exercice restreint les capacités d’engagement et conduit plus facilement à des combats WVR plutôt que BVR. Pour cela, les missiles « Fox Three » disposent donc d’une capacité de tir « actif », pouvant être tirés à courte portée sans nécessité de guidage préalable comme dans le cas d’un engagement longue distance. Mais cette fonctionnalité est à nuancer en cela qu’elle a déjà occasionné des tirs fratricides, le missile prenant pour cible le premier écho radar qu’il perçoit…

Conclusion

Le combat aérien est un « art » ancien pour ce domaine neuf qu’est l’aéronautique militaire. Développé sous la Première Guerre mondiale, théorisé au cours de la Seconde, il n’a cessé de bénéficier des avancées technologiques pour devenir de plus en plus mortel. Si le combat tournoyant au canon n’a que peu changé par rapport à la bataille d’Angleterre, vitesses et altitudes d’engagement mis à part, le développement et le perfectionnement des missiles et des systèmes de guidage radar, de leurres et de détection ont propulsé la guerre aérienne dans une nouvelle ère. Malgré tout, la première règle de celle-ci demeure inchangée malgré un siècle d’existence et de pratique : « le premier à être repéré est quasiment toujours le premier à être abattu ».



Pour en savoir plus…

Chaîne YouTube « ATE CHUET TOPGUN2SPEAKER » de Pierre-Henri Chuet, ancien pilote Super-Étendard et Rafale M dans la Marine nationale française.