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Militaris : Renault FT, le premier char moderne

Renault FT utilisé par les troupes anglaises durant la Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale, outre la monumentale boucherie qu’elle fut, introduisit toutes les armes modernes sur lesquelles reposent les armées nationales dignes de ce nom : avion, sous-marin et char d’assaut. Contrairement à une idée reçue, la guerre n’est pas un cheminement linéaire d’évolutions techniques mais plutôt un enchevêtrement d’essais empiriques qui accouchent, in fine, de résultats. Le char d’assaut blindé et chenillé ne s’est pas imposé de lui-même sur les champs de bataille de la Grande Guerre, il est le résultat d’une évolution technique et doctrinaire empirique et parfois même hasardeuse. Une chose est certaine, le premier d’entre eux, qui légua son ossature à tous, fut le légendaire Renault FT français. Retour sur une épopée mécanisée qui révolutionna l’art de la guerre moderne.

Les premiers essais

Il est facile, a posteriori, de polémiquer sur les ancêtres du char d’assaut moderne. Des inventions de Léonard de Vinci aux œuvres de science-fiction de la Révolution industrielle, de nombreuses paternités sont disputées.

D’un point de vue pratique et concret, certains essais sont réalisés au début du XXème siècle dans différents pays européens tels que la France, l’Autriche-Hongrie ou le Royaume-Uni. Ceux-ci concernent avant tout des voitures blindées ou des canons autopropulsés comme le français Léon Levavasseur. Mais le blindage s’arrêtait souvent aux coques des cuirassés et aux flancs des trains. Aucun projet, aussi pertinent était-il, ne fut retenu par les différentes forces armées avant le début du conflit.

Le basculement d’une guerre offensive et mobile à un affrontement statique sur le front occidental, conduisit les différents états-majors à revenir sur les projets avortés avant 1914. Face aux tranchées, aux obus et aux nids de mitrailleuses, certains en étaient rendus à l’évidence qu’un moyen de transport protégé par des plaques d’acier était nécessaire dans le but de percer le front et reprendre l’initiative.

Les Britanniques, sous l’impulsion d’un certain Winston Churchill alors ministre de la Marine, se lancent les premiers dans l’étude de ce qui deviendra bientôt le « tank » (« réservoir » en français afin de tromper l’espionnage ennemi). Pour le futur Premier ministre, ces nouvelles armes devaient être des cuirassés terrestres et disposer d’une artillerie conséquente. C’est à la bataille de la Somme (1916) que les premiers chars « Mark I » furent déployés : ce fut un échec cuisant. Trop lents, s’enfonçant dans un terrain boueux et labouré par les préparations d’artillerie, ils furent la risée d’un état-major anglais conservateur. Bien sûr, l’impréparation et la hâte qui firent se déployer prématurément ces nouvelles machines jouèrent un rôle décisif dans l’échec des tanks. Pour autant, l’expérience n’était pas stérile et attira l’attention des Français en la personne du colonel Jean Estienne.

L’expérience française

Le colonel Estienne est un officier d’artillerie qui fut chargé, avant-guerre, d’organiser le service aérien militaire naissant. Conquis aux idées nouvelles et à l’utilité des machines volantes, il est rapidement séduit par les travaux britanniques sur le char d’assaut moderne. Côté français, l’entreprise Schneider travaillait elle aussi sur un modèle à déployer en masse pour briser le front statique en place depuis bien trop longtemps. Cependant, à l’inverse des alliés anglais, les Français mènent toute une série d’essais en arrière pour valider les prototypes. Livré à la fin de l’année 1916, le blindé accuse les mêmes difficultés que son homologue britannique.

En 1917, la Compagnie des forges et aciéries de la marine et d’Homécourt (FAMH) accoucha du Saint-Chamond (en hommage à son site de production). Mieux armé (équipé du légendaire canon de 75 mm français), mieux protégé, il est aussi plus lourd que son prédécesseur et peine à briller dans la guerre de tranchées. Là encore, comme pour les Britanniques, la précipitation décrédibilisa ce qui n’étaient encore que des prototypes lors de la bataille du Chemin des Dames.

Estienne, du fait de l’échec de Nivelle, risque de voir être dissous cette « artillerie spéciale ». Mais l’arrivée de Pétain à la tête des opérations le sauve d’une disgrâce. Le matériel est commandé en masse : la France a compris le potentiel de cette arme nouvelle ! De plus, un nouvel engin, extrêmement prometteur, vient de faire son apparition…

Le Renault FT à la conquête des tranchées

Depuis 1916, la modeste entreprise Renault travaille sur un modèle de char léger en collaboration avec l’Armée française et le désormais général Estienne. La nouvelle machine, achevée en mars 1917, conquis immédiatement l’état-major qui en commanda des milliers ! Révolutionnaire de par son architecture, le Renault FT (code chronologique propre au constructeur) étonne et suscite un regain d’intérêt pour l’arme blindée.

Automitrailleuse à chenilles, le Renault FT est équipé d’une tourelle pivotante à 360° pouvant être assortie d’une mitrailleuse Hotchkiss M1914 ou d’un canon de 37 mm à partir de 1918. D’un poids compris entre 6,5 et 7 tonnes (contre 22 à 24 pour le Saint-Chamond), le véhicule était capable d’afficher une vitesse de 8 km/h sur routes et de franchir une pente à 10% grâce à son moteur de 18 ch. Cette « mobilité » sera un aspect déterminant.

Déployé au cours de l’année 1918 et jusqu’à l’armistice, le Renault FT sera produit à plus de 3700 exemplaires. Utilisés en formations offensives, ils jouent un rôle crucial dans les contre-attaques de l’armée française et l’épuisement final de l’adversaire allemand. Petit, mobile, facile à produire, il vient de révolutionner l’art de la guerre terrestre. Ainsi le comprirent George S. Patton, engagé volontaire sur le front français, et toute une génération d’officiers allemands dont Erwin Rommel ou Heinz Guderian. L’Armée allemande, dans la conception de sa « guerre-éclair » s’inspirera grandement de cette arme nouvelle, en témoignent les frêles mais rapides Panzer I et II qui firent la conquête de la France en 1940.

Char principal de toutes les armées du monde qui désiraient se doter d’une force blindée, il connut un immense succès commercial après la Première Guerre mondiale. Ainsi, il est possible d’en retrouver massivement dans l’Armée française au 1er septembre 1939 et dans celle de l’Allemagne jusqu’à la libération de la France pour des opérations de maintien de l’ordre.

Sources :

La guerre des chars : 1916-1918, Henri Ortholan (2007)

Le général Estienne – père des chars : Des chenilles et des ailes, Arlette Estienne-Mondet (2010)