Philosophie indienne, Kamasutra : l’origine de la femme soumise
Le samedi 23 novembre 2019 se tenait dans toute la France une marche contre les violences sexistes et sexuelles. Aujourd’hui, nous luttons pour les femmes, éternelles mineures. Ce qui est ici en jeu, c’est l’image des femmes comme objets sexuels, comme objets de soumission. Cette vision de la femme est présente dans l’imaginaire collectif depuis des siècles, et peut être expliquée par la place des femmes dans l’Inde ancienne, dans l’Inde du Kamasutra. Notre connaissance ethnocentrée des traditions occidentales, européennes, ne nous a que très peu appris quant aux cultures éloignées. D’ailleurs, le Kamasutra est vulgarisé : ce recueil hindou ne peut se limiter aux dessins érotiques, il est en fait un traité regroupant la description de différentes activités, toutes référant à la vie privée d’un couple (les arts amoureux et les pratiques sexuelles). Cependant, ces dernières ne représentent qu’une partie infime du traité et sont pourtant les plus connues : l’objet du livre est bien plus large que la description des pratiques sexuelles immortalisées dans la pierre, notamment dans les temples de Khajuraho. C’est donc vers l’Inde qu’il faut se tourner pour comprendre une partie de l’origine de la vision des femmes en tant qu’objets sexuels. Toutefois, cette conception reste à analyser et à nuancer.
Dans l’hindouisme, la femme n’est décrite que par rapport à l’homme dont elle dépend (d’abord son père, et ensuite son mari). Ce qui est très étonnant est que le devoir (svadharma) des femmes en Inde n’est pas la maternité, mais la satisfaction des désirs de son homme. C’est pourquoi toutes les femmes, dès leur plus jeune âge, doivent étudier le kama. Celui-ci représente un des quatre buts de l’existence humaine dans la tradition brahmanique : le kama signifiant le désir, le plaisir, la satisfaction sexuelle. C’est d’ailleurs le seul traité traditionnel auxquelles les femmes aient accès : leur seule instruction repose donc uniquement sur une question : comment satisfaire son mari ? Quels moyens pour lui faire atteindre la plus pure des jouissances ? Ce traité du Kamasutra a un but : apprendre à la femme à aimer d’une bonne manière, de façon à ce que les hommes et les bêtes ne s’aiment pas (et donc ne s’accouplent pas) de la même façon.
Le devoir de la femme est réellement, pleinement, la satisfaction sensorielle de son mari : elle doit être experte dans l’art amoureux, tout comme le sont les prostituées indiennes. Lui sont conseillés divers artifices comme les parfums pour éveiller les sens, la décoration, notamment avec les fleurs, la pratique de la musique et du chant… Les femmes doivent aussi rendre leur compagnie divertissante, et donc avoir de la conversation. Le fait de se cultiver n’ayant comme visée que celle de divertir son homme.
Toutefois, il faut nuancer et remarquer la seule chose - certainement - de positif et moderne dans cette conception hindouiste du rôle de la femme : la conquête d’une femme qui ne prend pas de plaisir en retour n’a aucune valeur. La femme n’est pas passive : elle est réellement la partenaire de l’homme quand il s’agit de la quête du désir. L’homme se présenterait même comme une victime du pouvoir de séduction féminin. Dans la tradition brahmanique, si le seul rôle de la femme est la pratique de l’amour, elle est cependant un partenaire absolument respecté. Son désir lui-même est nécessaire à la satisfaction de l’homme : c’est la fusion des deux sexes et la satisfaction mutuelle qui est visée dans l’acte. C’est donc dans leur rôle de partenaire sexuel que les femmes trouvent pleinement leur rôle, leur devoir, et qu’elles peuvent tendre à une complémentarité avec l’homme, qu’elles ne possèdent dans aucun autre domaine. Mais la morale à dégager est aussi celle que l’individu seul, sans apport de la femme, n’est rien. De même, le plaisir non partagé n’a aucune valeur.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment cette image de la femme a-t-elle évoluée ? L'humain a besoin d’exemples, de modèles. S’ils reposaient dans l’hindouisme sur le traité du Kamasutra, ils semblent maintenant reposer sur les films pornographiques, très largement diffusés et en libre-accès. Ici encore, les femmes en sont à la fois les protagonistes mais aussi les objets sexuels. Le support visuel a donc évolué : passant de traités traditionnels à des supports numériques. S’il y a bien un changement, il n’y a pourtant pas forcément un progrès. Et plus encore, si l’image des femmes reste très souvent bafouée, elles ne représentent néanmoins plus des expertes de la sexualité. En effet, deux internautes sur trois visitant un site pornographique seraient des hommes. Leur rôle a changé, d’abord pour avoir comme premier devoir la maternité (et non plus la satisfaction des désirs) et aujourd’hui leur épanouissement propre, avant les enfants et avant leur partenaire. L’heure est à l’individualisation de la femme, et même si beaucoup reste à faire, le modèle hindouiste du Kamasutra semble aujourd’hui désuet.