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Pourquoi et comment résister à une idéologie ?

Affiche de promotion du film “La Vague”.

Le terme d’idéologie a d’ores et déjà une connotation négative. Quand on parle d’une idéologie, c’est plus généralement pour la dénoncer que pour l’encenser. L’idéologie se construit à travers des dogmes, des doctrines. Dans celles-ci s’impose une autorité : en adhérant à une idéologie, on s’endoctrine. Guy Rocher, sociologue québécois, décrit dans Introduction à la sociologie générale, Tome I, page 127 aux éditions Crescendo, paru en 1968, l’idéologie comme étant un « système d'idées et de jugements, explicite et généralement organisé, qui sert à décrire, expliquer, interpréter ou justifier la situation d'un groupe ou d'une collectivité et qui, s'inspirant largement de valeurs, propose une orientation précise à l'action historique de ce groupe ou de cette collectivité. » Cette définition partiale et partielle étant posée, l’idéologie est beaucoup plus vaste et complexe. Il s’avère même extrêmement compliquer de se positionner dans un processus de refus d’idéologisation. L’époque est à l’idéologie, et d’ailleurs, la plupart d’entre nous adhérons à une idéologie sans le savoir : l’idéologie dominante présente dans chaque région du monde. En Europe, cette dernière se caractérise notamment par une globalisation de l’économie de marché, ceci différant complètement dans les tribus lointaines d’Amérique du Sud. Pourtant, une chose persiste : les idéologies sont présentes partout. De ce fait, il parait extrêmement difficile de résister à une idéologie, et même, pour aller plus loin, pourquoi le faire ? Faire partie d’un groupe, d’une idéologie commune semble donner un accès plus simple au bonheur.  

Pourquoi ? La question, malgré le paradoxe qu’elle contient en elle-même, semble juste. En effet, au sein d’un système construit, fermé, d’idéologies et d’idéologues, l’homme n’a plus besoin de penser par lui-même. Ses actions, ses réflexions lui sont dictées par un système parfaitement réglé. Les exemples sont multiples, en particulier un : dans le film « La Vague » réalisé par Dennis Gansel et sorti en 2008, appartenir à une idéologie, c’est vivre enfin, c’est se réaliser à travers un groupe. C’est bien connu : pour beaucoup d’entre nous, les plus timides, introvertis, rejetés, c’est dans le groupe, dans l’espace fermé et sécurisant d’une sociabilité édifiée pierre par pierre, que chacun peut en lui-même trouver sa place, et ainsi son Moi. D’après Abraham Maslow, psychologue américain, et ses travaux de 1954, l’humain a par essence besoin de cinq piliers : des besoins physiologiques (boire et manger), des besoins de sécurité, d’appartenance, d’estime et d’accomplissement. C’est ce besoin d’appartenance, qui implique immédiatement, au sein d’un groupe, un sentiment d’accomplissement, qui est recherché par les idéologues. Cet état d’accomplissement dans l’appartenance peut être illustré presque partout : dans la vie de tous les jours (à travers cette classe dans « La Vague »), dans un groupement politique (où sa voix, ses idées, même si elles appartiennent au groupe et sont donc des idées accouchées des doctrines du groupe, sont enfin écoutées et surtout entendues), dans l’histoire (et les idéologies célèbres comme l’idéologie marxiste). Toutefois, à travers tous ces cas, une limite subsiste : l’élévation intellectuelle s’arrête en même temps que l’individu arrête de réfléchir absolument par lui-même. A cela, on pourrait y répondre que penser par soi-même est une utopie : nous sommes constamment influencés par le monde qui nous entoure et qui nous force à penser de telle ou telle manière (à travers les publicités, les individus que l’on côtoie, Internet, la télévision, les réseaux sociaux…) Cependant, quelque chose se maintient malgré l’incitation de penser de telle ou telle manière : à travers la diversité de ces influences. Quand la télévision nous dit quelque chose, notre collègue nous dit le contraire. Quand la mannequin d’Instagram prône la maigreur, la chanteuse ronde vue sur Internet, sur Youtube, prônera la différence. A travers nos moyens d’informations, nous pouvons tout connaitre : une chose et son contraire. Libre à nous alors de nous faire notre propre avis, influencé par des milliers de choses. La diversité est la clé de la liberté. Au sein d’une idéologie, la diversité est assassinée. L’idéologie hait ce qui la contre. Souvent, l’idéologie hait les arguments. Lorsqu’une idéologie est posée et que l’on y rentre, que l’on y adhère, alors tous ces préceptes nous sont imposés, et ce, d’une manière si intelligente que l’on croit que ses pensées viennent à l’origine de nous. Le concept d’idéologie est donc assez sectaire… On résiste à une idéologie pour garder notre libre-arbitre, aussi bafoué soit-il. C’est pour sa liberté que l’on résiste aux idéologies. 

Si la réponse semble assez évidente à la question : « Pourquoi résister à une idéologie », le comment du pourquoi le semble beaucoup moins. Résister à une idéologie, n’est-ce pas se cultiver au maximum pour pouvoir être en mesure de comprendre les dérives qu’une idéologie implique ? Mais une fois embrigadé dans une idéologie, comment connaitre ? Comment avoir une vision claire et objective de ce dans quoi nous sommes entrés ? L’idéologie aveugle, met des œillères aux hommes pour qu’ils voient uniquement dans la direction à laquelle on veut les faire voir, la direction de l’idéologie. Et même, pour aller plus loin, les idéologies trouvent même le moyen de se légitimer, en se faisant par exemple passer pour des sciences. De fait, la science est le contraire radical de l’idéologie, la science est rationnelle, objective. Pourtant, les marxistes, les psychanalystes ou même certaines religions se réclament d’être des sciences. Comment alors résister à cela si nous ne savons même pas dans quoi nous mettons réellement les pieds ? Une réponse pouvant être entendue est celle de la contre-idéologie : en regardant le contraire de son idéologie, on peut se faire son propre avis. Néanmoins, cette méthode n’est-elle pas contre-productive ? L’homme voudrait alors se débarrasser d’une idéologie en passant par une autre idéologie ? Il semble que l’on soit dans un cercle vicieux… L’idéologie contre l’idéologie amène-t-elle à un résultat probant ? En 1941, l’Allemagne (alors confondue dans une idéologie nazie) était attaquée par l’URSS (idéologie communiste). L’idéologie ne peut être prise à parti pour contrer l’idéologie. La méthode semble mauvaise. En outre, il existe une perversion de fond : souvent, les idéologies ont tendance à s’allier. Par exemple, l’idéologie végan est en chemin de s’allier à l’idéologie antispéciste. Résister à une idéologie en allant regarder vers les autres idéologies, c’est donc ne jamais être sûr du caractère objectif de sa démarche. C’est toujours être dans un processus de persuasion, d’un côté comme de l’autre. Pour résister à l’idéologie, l’homme a besoin d’une résistance non-idéologique.  

Cette résistance est notre travail à tous, elle doit être faite de manière consciente et indépendante, et passe par nous en tout premier lieu. C’est en connaissant le monde qui nous entoure et en nous connaissant nous-même que chacun de nous peut trouver en lui-même les armes psychiques, intellectuelles nécessaire pour résister à la facilité, aux idéologies dominantes et aux idéologies plus extrêmes. Toutes les enquêtes, les émissions d’informations l’ont bien montré : l’éducation est en mesure de préserver les hommes d’une descente aux enfers. Mais attention : si pour être libre il faut s’informer, il faut tout d’abord savoir s’informer. Avant d’être embrigadés dans des troupes djihadistes, les jeunes Français notamment s’étaient informés sur Internet, sur les réseaux. Mais cette information était partielle, incomplète, et c’est ce défaut dans l’information qui ne leur a pas permis pleinement d’être en mesure de porter un regard extérieur sur l’idéologie dans laquelle ils allaient alors entrer. C’est d’abord dans le milieu scolaire que l’on peut prévenir la radicalisation. Les idéologies trompent, étymologiquement parlant, elles ne sont qu’idées, et en aucun cas reflets de la réalité. En entrant dans une idéologie, on ne veut plus avoir peur. On veut se trouver. En se trouvant au sein d’un groupe, on se perd pourtant individuellement. Notre pensée est celle de l’ensemble. Nos désirs sont ceux de l’ensemble. Parfois même nos mouvements ne font plus qu’un (comme dans les défilés nazis ou encore les défilés de chinois sous le règne de Mao Tsé-Toung). A chacun alors, indépendamment, de ne pas avoir peur du vide. A chacun de vivre à travers le désir constant de se cultiver, d’en apprendre plus sur le monde, de ne jamais s’enfermer, de voir d’une manière plus vaste, plus complexe, et surtout, toujours, par soi-même. Résister aux idéologies, ce n’est pas seulement résister au marxisme, au communisme, ou même aux groupes de pensée comme le sont la psychanalyse. Résister aux idéologies comprend en son sein quelque chose de plus grand : c’est reconnaitre que la vérité ne pourra jamais être atteinte et accepter alors de la chercher jusqu’au bout. Chaque idéologie réclame sa propre vérité : le piège est dès lors tendu et il faut le contourner. C’est donc, finalement, surtout grâce à la force d’esprit, au désir de l’élévation intellectuelle et de liberté, et dans une quête continuelle d’une vérité jamais statuée que l’homme sera en mesure de résister aux idéologies.