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Pourquoi les séries françaises font un flop à l’étranger

Comment la culture télévisuelle française se plombe elle-même en France comme à l’étranger

Le français, un obstacle à l’exportation ?

Parmi les arguments qui reviennent souvent pour tenter de justifier le manque de succès des séries françaises, il y a souvent l’argument de la langue. Les séries anglo-saxonnes (et notamment américaines) domineraient le marché grâce à la prédominance de l’anglais. Cet argument est de mauvaise foi pour deux raisons. La première, c’est que même si les séries anglophones ont beau s’exporter massivement, il faut rappeler qu’elles ne sont pas forcément regardées en VO. En Europe, dans des pays tels que la France, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, les séries sont souvent doublées. Si vous regardez une série américaine sur TF1 ou M6, elle sera doublée en français dans la plupart des cas. Même chose sur la RTBF en Belgique et dans plusieurs pays voisins. 

La deuxième raison, c’est qu’il n’y a pas forcément besoin qu’une série soit réalisée dans la langue de Shakespeare pour pouvoir avoir du succès à l’étranger. La série La Casa de Papel (diffusée initialement sur Antena 3 en Espagne) a eu un énorme succès sur Netflix. Même chose dans une moindre mesure pour Les Demoiselles du Téléphone. Certaines séries allemandes ont elles aussi eu du succès : on peut citer l’excellent série Dark, Babylon Berlin ou encore Deutschland 83 (qui a obtenu un Emmy en 2016). La série italienne Gomorra a eu beaucoup de succès. La série politique danoise Borgen a reçu de nombreuses récompenses et distinctions en dehors du Danemark.

Dark, une série allemande en trois saisons ayant cartonné sur Netflix.

À part pour les séries humoristiques usant beaucoup des jeux de mots, prétendre que les séries françaises ne marchent pas parce qu’elles sont en français, c’est un peu de la mauvaise foi. Si des séries allemandes, espagnoles, italiennes et même danoises s’exportent, ce n’est pas grâce à la langue, mais parce qu’elles intéressent les gens. Les Espagnols ont produit une série sur un gang qui décide de faire un braquage, les Italiens ont fait une série sur la mafia, les Allemands ont fait une série de science-fiction et le voyage dans le temps. En France, les chaînes de télé ont produit une série sur un brocanteur âgé et une série sur les ragots de cagoles marseillaises qui ont souvent l’accent parisien. Les séries françaises ont dû mal à s’exporter non pas parce qu’elles sont en français, mais parce qu’elles sont nulles et ennuyantes. 

Une mauvaise allocation des moyens dans le public

Lorsqu’on parle du manque de succès des séries françaises à l’international, on entend souvent dire que les séries américaines marchent mieux parce qu’elles ont des budgets plus importants. C’est vrai. Mais en France, le problème, c’est surtout l’allocation des moyens plus que le budget total. En France, le groupe France Télévisions est réticent à produire des séries à gros budget, il préfère financer davantage de productions avec des budgets individuels plus restreints. Des budgets plus restreints, ça limite de facto les possibilités. Pour faire des séries comme Peaky Blinders, Les Demoiselles du Téléphone ou Babylon Berlin, il faut des budgets conséquents pour les décors, les costumes et les reconstitutions. Pour des séries comme Dark ou Doctor Who, il faut des moyens conséquents pour les effets spéciaux. En France, comme les moyens sont trop dispersés, cela a tendance à écarter les séries de SF et celles se passant à une époque passée. En France, des idées de séries comme Vikings, Dark, Babylon Berlin, Peaky Blinders ou Altered Carbon auraient probablement été refusées. 

En France, l’audiovisuel public préfère faire 5 productions à budget restreint plutôt qu’une production à gros budget. Avec un petit budget, il est plus facile de produire un épisode de Plus belle la vie qu’un épisode de Peaky Blinders. Et forcément, si la qualité est plus basse et si l’histoire intéresse moins les gens, la série aura moins de succès. Mais les budgets ne sont pas plombés uniquement par les séries peu ambitieuses, ils sont aussi utilisés pour produire des téléfilms. Le téléfilm, c’est un truc très français : un film diffusé uniquement à la télévision, qui n’a pas le budget et la promotion d’un film diffusé au cinéma, et qui se retrouve donc avec une faible visibilité et une faible rentabilité. Si La Casa de Papel et Stranger Things avaient été des téléfilms français, il est très probable qu’ils auraient fait un flop. Dans un rapport de 2016, la Cour des Comptes estimait que 75 % des téléfilms français étaient produits par France Télévisions, ce qui représentait 20 % de ses programmes, contre seulement 4 % chez TF1 et Canal+. Les Sages notaient également qu’il y avait un stock important de programmes jamais diffusés.


Des choix différents entre public et privé

On peut aussi voir des choix très différents entre l’audiovisuel public et l’audiovisuel privé. Comme on l’a vu, France Télévisions préfère souvent produire ses propres séries, tandis que TF1 et M6 allouent une grosse partie de leur temps d’antenne aux séries américaines. Il y a cependant une exception dans le paysage audiovisuel français : Canal+. La chaîne cryptée produit plusieurs des séries qu’elle diffuse, et elle y met souvent des moyens plus conséquents que France Télévisions. Parmi les séries à succès du groupe Canal, on peut citer la Baron noir, Borgia, Versailles, Les Revenants ou encore Engrenages. Certes, il y a aussi quelques séries issues de l’audiovisuel public qui ont eu du succès à l’étranger, mais c’était souvent moins que certains succès diffusés sur Canal+.

Le Bureau des Légendes, Engrenages, Baron Noir, Versailles, Braquo : Canal+ réussit à produire des séries qui se vendent.

Alors pourquoi Canal+ arrive à exporter tandis que France Télévisions n’y arrive pas ? C’est simple : Canal+ est un groupe privé. En tant qu’entreprise privé, Canal+ se doit d’être rentable. Pour être rentable, il faut que les séries produites par le groupe attirent des spectateurs et s’exportent à l’étranger. Et pour attirer des abonnements payants, il faut que le contenu proposé soit attractif.

Netflix arrive à attirer des abonnements payants notamment grâce à des productions originales comme Stranger Things, House of Cards, The Crown, Mindhunter, Orange Is the New Black ou encore Umbrella Academy. Si le contenu intéresse les spectateurs, ils s’abonnent. Les groupes privés comme Canal+ et Netflix ont des objectifs de rentabilité. Quand Canal+ met un budget conséquent pour une série, c’est dans l’espoir d’attirer des abonnements payants sur les chaînes du groupe et de vendre les droits de diffusion à des chaînes étrangères. Si les séries s’exportent mal et si les gens sont peu nombreux à s’abonner, Canal+ perd en rentabilité.

L’audiovisuel public, lui, ne fonctionne pas de la même façon : il est en grande partie financé par une taxe, la redevance audiovisuelle. Il y a aussi dans une moindre mesure des revenus issus de la publicité. Mais avec ce système, de nombreux programmes sont financés et produits, et ce même si leur rentabilité est totalement incertaine. Les téléfilms sont peu accrocheurs et difficilement exportables, donc peu rentables. Des programmes sont produits pour rester en stock des années, et même n’être jamais diffusés (et dans ce cas c’est une perte sèche). Dans son rapport de 2016, la Cour des Comptes indiquait que France Télévisions était dans “une situation plus proche d’un guichet de subventions que d’une entreprise en négociation commerciale avec ses fournisseurs”. 

Pourtant, on peut noter qu’ailleurs, les chaînes publiques savent produire des séries qui s’exportent. Au Royaume-Uni, Peaky Blinders était diffusé sur la BBC avant d’être sur Netflix. Les séries Doctor Who, Sherlock et Bodyguard ont aussi été produites pour la BBC. Les séries comme Misfits, Skins, The End of the F***ing World et même Black Mirror étaient diffusées sur Channel 4. Quand les budgets sont suffisants, que l’histoire n’est pas centrée sur un brocanteur, sur un instituteur dépressif ou sur des commères marseillaises, il est plus facile de faire une série intéressante et exportable. 

Une absence de remise en question dans l’audiovisuel public français

Face aux flops répétés des séries françaises et à leur manque d’attractivité face aux séries étrangères, notamment américaines, les décideurs français ont souvent tendance à trouver des excuses : “le français n’aide pas”, “l’anglais aide à l’exportation”, “les Américains ont de plus gros budgets” ou encore “Netflix fait de la concurrence déloyale”. Plutôt que de remettre en question les orientations budgétaires et de réfléchir à des séries plus attractives et plus rentables, les décideurs français préfèrent dire que c’est la faute des autres.

Les séries françaises ont dû mal à percer et à rivaliser face aux séries anglo-saxonnes, le législateur français a donc décidé d’imposer des quotas de productions françaises et européennes dans les grilles de diffusion. En 2017, l’Union européenne a elle aussi voté la mise en place de quotas de 30 % de productions européennes. L’objectif n’était que de 20 % mais avait été rehaussé sous pression de la France (quelle surprise !). 

Les quotas de séries et de téléfilms français, c’est une façon de continuer à accorder de l’argent à des productions peu attractives qui ne seraient probablement pas financé par le privé (surtout si on lui laissait totalement le choix).

Tout prétexte est bon pour pomper du pognon. Plusieurs fois par an, la proposition d’élargir la redevance TV aux smartphones, tablettes et PC revient sur la table tel un serpent de mer, comme si France Télévisions ne gaspillait déjà pas assez. Il n’est pas rare que de nouvelles taxes soient proposées. Depuis début 2018, les plateformes de VOD sont taxées à hauteur de 2 % de leur chiffre d’affaires. Motif invoqué ? Financer la création audiovisuelle française au cinéma. Une taxe “YouTube” sur les plateformes.

Tout ce qui bouge, on le taxe. Tout ce qui bouge encore, on le réglemente. Tout ce qui ne bouge plus, on le subventionne. Ce qui bouge, c’est Netflix, Amazon Prime Video et YouTube. Ce qu’on subventionne, c’est les séries françaises incapables de percer. 

Plutôt que de chercher à concurrencer en proposant ce que les gens veulent on finance ceux qui n’en ont pas besoin


Salto, le nouveau flop “à la française” ?

À la fin des années 2000, l’État français s’était dit qu’il fallait protéger développer la “pépite française” qu’était Dailymotion pour concurrencer YouTube. L’État s’est immiscé au capital de Dailymotion via le Fonds stratégique d’investissement (FSI), a investi quelques millions seulement… et a freiné le développement de la plateforme. Pourquoi ? Parce que les représentants du FSI (et donc de l’État) ne comprenaient pas ce que voulait le grand public, ni ce dont avaient besoin les créateurs et la plateforme. Pendant que l’État n’investissait que 7 pauvres millions d’euros, Google investissait des centaines de millions de dollars dans YouTube. Google a pu fournir à YouTube les infrastructures nécessaires à son développement (notamment un vrai moteur de recherche et des serveurs pour la colossale demande en stockage), tandis que Dailymotion a dû faire face à des problèmes récurrents sur ces mêmes points.

Ancien logo de Dailymotion

Lorsque des investisseurs étrangers comme Qualcomm et surtout Yahoo! ont voulu racheter le site, l’État s’y est vigoureusement opposé. Après avoir débouté Qualcomm, l’État a forcé Orange a racheter près de la moitié du capital, puis la totalité. Mais Orange ne voulait pas de Dailymotion et n’en a pas fait grand-chose. Lorsque Yahoo! (qui avait un vrai moteur de recherche et les infrastructures côté serveurs) a voulu racheter le site, idem : refus encore plus ferme du gouvernement. C’est finalement le groupe français Vivendi (propriétaire de Canal+ et de C8) qui a mis la main sur le site, mais Dailymotion avait déjà raté le coche depuis longtemps. Aujourd’hui, ce qui était autrefois un sérieux challenger face à Dailymotion à ses débuts se contente surtout d’être la plateforme de replay de Vivendi et de louer son player à d’autres sites. Tous les créateurs connus qui avaient commencés sur Dailymotion (Cyprien, Norman, Mister V, etc) sont passés sur YouTube depuis bien longtemps. Le “YouTube à la française” est passé aux oubliettes pour le grand public.

Avec Qwant, même situation. Le site avait du mal à se développer, mais plutôt que de laisser des investisseurs étrangers investir les capitaux nécessaires, l’État a préféré entrer lui-même au capital. Et encore une fois, des gens ne savant pas de quoi l’entreprise avait besoin se sont retrouvés au conseil d’administration. Et les investissements ont encore une fois été insuffisants. Face au manque d’attractivité et rentabilité de l’entreprise, l’État a décidé de jouer le rôle de bouée de sauvetage… en faisant de Qwant le moteur de recherche par défauts de l’administration française. Le “Google à la française” n’a pas convaincu grand monde chez les particuliers et les entreprises. Même sur le plan technique, il y avait de quoi rester perplexe : Qwant se basait sur des résultats provenant de Bing, filiale américaine de Microsoft.

Page d’accueil de Qwant

Après le flop du “YouTube à la française”, du “cloud à la française” et du “Google à la française”, on aurait pu se dire que l’État avait retenu les leçons et qu’il n’était pas apte à orienter des start-ups innovantes. Mais non, ça n’était pas suffisant. Cette fois-ci, c’est France Télévisions qui veut son “Netflix à la française”. Pour développer cela, le groupe audiovisuel public s’est associé avec ses concurrents privés TF1 et M6. Objectif : concurrencer Netflix en proposant “le meilleur” des contenus de TF1, France Télévisions et M6. Cette prétention folle suffit à faire craindre une nouvelle catastrophe “à la française”. Si c’est pour diffuser des séries sur des brocanteurs ruraux, des cagoles marseillaises avec l’accent parisien ou des téléfilms sur des instituteurs dépressifs, Salto risque fort de faire un flop. Pourquoi les spectateurs français iraient-ils payer un abonnement pour des séries et des téléfilms de France Télévisions qu’ils payent annuellement la redevance audiovisuelle qui finance ces mêmes programmes qu’ils peuvent déjà voir sur la TNT ? Et pourquoi payeraient-ils pour voir des contenus qu’ils peuvent voir gratuitement sur M6 et TF1, moyennant du “temps de cerveau disponible” ?

Pour que Salto soit attractif, il faudrait que la plateforme propose principalement des créations originales qui ne soient pas déjà disponibles sur France Télévisions, TF1 ou M6. Et il faudrait surtout concentrer les moyens sur quelques projets ambitieux plutôt que de saupoudrer sur des productions peu intéressantes et peu vendeuses. En 2018, le directeur général de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) estimait que Salto n’avait “aucune chance face à Netflix” avec les productions françaises actuelles. Il recommandait aussi de faire preuve de “davantage d’audace” en diversifiant les productions, notamment avec de la fiction historique.

Mais quand on voit l’aversion de France Télévisions à produire une série à gros budget, il est clair que la prochaine Casa de Papel et le prochain Stranger Things ne seront pas produits par l’audiovisuel public français. Si la tendance reste aux téléfilms pourris et aux séries sur des gens dépressifs, le Salto de France Télévisions risque de se terminer sur la tête. Et l’État jouera encore l’ambulancier en venant subventionner abondamment ou en jouant sur la fiscalité et les taxes sur la concurrence et les téléspectateurs… 

En subventionnant trop de projets voués à l’échec commercial, l’audiovisuel public français ne rend pas service à la culture française. Non seulement les téléfilms et les séries peu intéressantes ne s’exportent pas, mais en plus elles sont largement boudées par les moins de 30 ans en France.