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Quelle armée pour la France ?

Le Tonnant SNLE de classe “Le Redoutable” - Marine Nationale, 2004

Charles de Gaulle disait « La France fut faite à coups d’épées. La fleur de lys, symbole d’unité nationale, n’est que l’image d’un javelot à trois lances. ». Longtemps encerclée par des forces frontalières hostiles (Allemagne, Angleterre, Espagne, Italie), la nation française a très tôt été obligée de se constituer une armée pour conserver sa souveraineté. De l’ost royal de Philippe-Auguste aux Mousquetaires de Louis XIV, du citoyen-soldat de la Révolution aux Poilus de 14-18 en passant par la Grande Armée de Napoléon, la France a toujours été une grande puissance militaire ; respectée et crainte pendant des siècles voire des millénaires. Aujourd’hui armée de métier, la force militaire française traverse une crise profonde ; entre féminisation imposée, réduction d’effectifs et augmentation parallèle des sollicitations. D’une armée citoyenne à une armée professionnelle, la France a connu un changement de modèle évident qui induit des transformations. Pour autant, le modèle adopté en 1997 par le président Chirac est-il le plus adapté et efficace face aux défis du XXIème siècle ? Pour répondre à cette question, il convient de revenir sur le déclin militaire français, puis de questionner l’armée professionnelle avant de convenir du modèle le plus adapté pour le pays aux milles victoires.

Le déclin militaire de la France

Longtemps, le Royaume de France a été le plus puissant pays d’Europe (et donc du Monde). Engagé dans des guerres civiles et frontalières, il a constitué une tradition militaire importante. Contre les Anglais, il a conservé sa souveraineté. Contre les Allemands, il a protégé son « pré carré ». Contre les Italiens, il a répandu sa culture. Contre les Espagnols, il a imposé son roi. De Clovis à Louis XVI, la France a remporté de nombreuses guerres et batailles. L’armée royale, auparavant intermittente (levée à l’occasion de guerres) devient permanente en 1429 au cours de la guerre de Cent-Ans et sous l’impulsion de Charles VII. Les « compagnies d’ordonnance », financées par les recettes fiscales, participent à la reconquête du pays face aux Anglais. Lors de la bataille de Castillon (1453) qui marque la fin du conflit, l’armée française est la plus puissante du monde grâce à une technologie de pointe : l’artillerie. Sous François Ier comme Louis XIV, la France et son armée triomphent. Elle confirme son rang européen et mondial. Malgré sa défaite lors de la guerre de Sept-Ans au cours de laquelle il perdra l’Amérique, le Royaume est encore craint et respecté. C’est grâce à l’armée française que les États-Unis d’Amérique parviennent à vaincre les Britanniques.

La Révolution française transforme le modèle d’armée, mettant fin au mercenariat et instaurant le « citoyen-soldat ». Le Français, reprenant la tradition citoyenne grecque et romaine, doit servir la Nation en payant le tribut du sang, peu importe sa richesse. Pourtant, dans les faits, il existe encore beaucoup d’exemptions (pères de famille, religieux, etc.). Sous-estimée par les puissances monarchiques européennes, l’Armée française, grevée par l’exil de la noblesse, triomphe en conquérant les Pays-Bas autrichiens que les rois avaient toujours convoités. Aux mains de génies militaires comme Napoléon Bonaparte, elle renverse des ordres établis. La Grande Armée, fondée en 1804, conquiert et soumet l’Europe, répandant le Code civil et les idéaux révolutionnaires. Les troubles institutionnels du XIXème siècle accouchent du traumatisme de 1870. Écrasée par la masse allemande, la France est humiliée et son armée entachée de honte. Réformée par la nouvelle République, cette dernière parachève le rêve citoyen de la Révolution lorsqu’en 1905, la loi Berteaux met fin aux tirages au sort et exemptions diverses. Le choc de 1914 redonne à l’Armée française ses lettres de noblesses. Cet état de grâce, provisoire, est achevée par la défaite de 1940, écho sinistre de celle de 1870. Aux rangs des vainqueurs, in fine, la France maintient en Europe une armée de premier rang dans le cadre de la Guerre Froide, devenant une puissance nucléaire en 1960. D’une grande qualité opérationnelle, l’armée française est la première force militaire d’Europe encore aujourd’hui alors que la fin de l’Union soviétique a mené à la fin du service national et une chute drastique des effectifs.

En 2020, l’Armée française est forte de 250 000 hommes, 200 chars d’assaut, 300 avions de combat, 1 porte-avions nucléaire, 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et 300 têtes atomiques. Déployée tous azimut pour défendre les intérêts de la France à l’étranger, celle-ci remplit les mêmes missions avec des effectifs parfois divisés par deux. La crise économique de 2008 plombe encore les forces françaises qui subissent de plein fouet les coupes budgétaires. Fragilisée par la féminisation, issue d’une volonté politique, l’armée, traditionnellement conservatrice et virile, traverse un désert bien chaud et aride.

Un modèle d’armée en crise ?

L’armée professionnelle est défendue depuis des siècles par différents doctrinaires. L’Ancien Régime, via le recours au mercenariat et la noblesse, défendait ce modèle. C’est la Révolution qui va instaurer une vision et une doctrine universaliste et citoyenne, impliquant le Français dans la défense de son pays. L’institution militaire devient une école citoyenne, faisant sortir les citoyens de leurs villages et leur faisant prendre conscience qu’ils appartiennent à une nation fraternelle grâce à l’esprit de corps propre à l’Armée. Bien sûr, les cadres sont des professionnels et les régiments sont des unités d’active que les citoyens viennent renforcer en cas de conflit. Longtemps considérée comme le principal ascenseur social et méritocratique, l’Armée accouche d’exemples légendaires : Napoléon Bonaparte, Joachim Murat, Jean Lannes, ou encore Michel Ney. Après la défaite de 1870, l’Armée est l’un des derniers bastions royalistes. C’est l’entrée en masse des conscrits et la polémique affaire Dreyfus qui entraîne une progressive républicanisation de l’institution militaire. Pour autant, la motorisation de la Grande Guerre entraîne une refonte doctrinale au sein de certains militaires comme Charles de Gaulle qui défend un modèle professionnel fait de techniciens aidés par des conscrits d’appoint. Aux vues de l’évolution technique, De Gaulle et d’autres considèrent rapidement que les guerres de masse sont en plein déclin. Le progrès scientifique de l’après Seconde Guerre mondiale ne le dément pas. Et aujourd’hui, un Rafale cause autant de dommage à un adversaire qu’un raid de bombardiers effectuant un tapis de bombes. La menace de la « vague soviétique » étant écartée à partir de 1991, c’est Jacques Chirac qui va instaurer une armée de métier ; professionnelle.

Une armée de métier induit une haute technicité due à une formation améliorée. Débarrassée de l’encadrement des conscrits, le militaire peut se concentrer sur son cœur de métier et y exceller. Ce changement de modèle induit donc un gain qualitatif par rapport à une armée de conscrits. Mais c’est oublier tous les « à côté ». Les conscrits étaient une force d’appoint permettant aux militaires de ne pas avoir à effectuer des tâches annexes chronophages. Désormais, un militaire doit accomplir son métier mais aussi des travaux secondaires, augmentant ainsi sa charge de travail quotidienne. Car si le modèle a changé, l’esprit est toujours le même : le militaire est un soldat avant tout et non un spécialiste. Ce paradoxe que connaît l’Armée française est un facteur paralysant pour le bon accomplissement du devoir national de chaque militaire.

De plus, d’autres facteurs grèvent la force militaire nationale. Le premier est économique, le budget alloué à la Défense n’ayant eu de cesse d’être revu à la baisse depuis 1969. Ainsi, lorsque Charles de Gaulle démissionne, l’État français y dédie 4% du PIB. Sous François Hollande, il tombe à 1,5%. Ces questions financières ont conduit à un affrontement sans précédent entre Emmanuel Macron nouvellement élu président de la République et Pierre de Villiers, alors chef d’état-major des armées (CEMA) en 2017, conduisant à la démission du second qui effectuait son devoir en rendant compte à son supérieur. Le second facteur aggravant est la féminisation, imposée par le pouvoir politique via une politique de quotas. Mêlées aux autres soldats, les femmes concourent à la fragilisation de la cohésion et la remise en cause des valeurs et traditions militaires d’autant que leur place au combat n’est pas forcément justifiée. La coexistence de barèmes sportifs différents pour chaque sexe participe enfin à la frustration.

Restaurer la confiance entre Nation et Armée

L’Armée est face à des défis divers mais critiques : finances, féminisation, manque d’effectifs, etc. Plus encore, malgré un lien privilégié avec la population, elle subit une déconnexion intellectuelle, conséquence de sa professionnalisation. Au-delà de la raison officielle, la professionnalisation de l’Armée a été voulue par le pouvoir politique pour empêcher les mutineries et autres renversements de pouvoir. Ainsi, fini les fraternisations entre soldats et vignerons de 1907 ou les mutineries de 1917. Une armée de conscrits constitue, en soi, une menace pour le pouvoir politique en cela qu’elle est constituée de citoyens lambdas qui peuvent déposer les armes à chaque moment, d’autant plus lors de contextes extrêmement critiques. L’inverse est vrai cependant. Avec une base d’Appelés, un coup d’État militaire peut être écarté par une désobéissance civile.

Est-ce à dire qu’une armée de conscrits et un rétablissement du service national est à désirer ? Rétablir le service militaire recréerait un lien entre la Nation et la population, réintroduisant une « école de la vie » et de la « fraternité ». L’Armée, avec ses valeurs traditionnelles, permettrait de combattre le progressisme et la dérive gauchiste de la société française, fortement influencée par l’influence impérialiste américaine. Un tel retour permettrait une restauration de la démocratie car une armée de conscrits empêche toute dérive dictatoriale tant de l’Armée elle-même que de l’État.

Enfin, une redistribution des richesses vers l’Armée pour une refonte matérielle est nécessaire. Non pas pour promouvoir de nouveaux matériels mais pour équiper correctement et en quantité suffisante les forces aériennes, maritimes et terrestres françaises. Un réinvestissement permettrait non seulement de redynamiser le complexe militaro-industriel abandonné depuis les années 1990 mais aussi de faire revivre des villes de campagne via la conscription (grands travaux pour les casernes, bases aériennes et navales, consommation des conscrits, revitalisation des provinces, etc.).

Conclusion

L’Armée française est en crise à l’image de la société. Le manque de moyens financiers et matériels, la féminisation imposée par le pouvoir politique conduisant à une fragilisation de corps et la déconnexion intellectuelle de l’institution militaire avec la population conduit à une nécessaire refondation. Pour affronter les défis du XXIème siècle, il lui faudrait sans doute revenir au modèle précédent, associant le citoyen à son armée. Cette restauration du service militaire permettrait tant une lutte contre la dérive progressiste et antidémocratique qu’une construction patriotique du jeune citoyen Français. Une armée comptant des citoyens issus de la société civile, permet une reconnexion et l’instauration d’un instrument démocratique primordial.

Sources :

Le fil de l’épée, Charles de Gaulle (1932)

Vers l’armée de métier, Charles de Gaulle (1934)

La France et son armée, Charles de Gaulle (1938)

Histoire de l’Armée française – De 1914 à nos jours, Philippe Masson (1999)

La Guerre invisible, Leïla Minano & Julia Pascual (2014)

Armée au féminin, Jean-Marc Tanguy (2016)

Les chiffres clés de la défense – 2019, Ministère des Armées (2019)